Question de M. RETAILLEAU Bruno (Vendée - NI) publiée le 05/11/2004
Question posée en séance publique le 04/11/2004
M. Bruno Retailleau. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat aux affaires étrangères.
La semaine passée a été marquée par deux événements extrêmement révélateurs s'agissant de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
Le premier s'est déroulé à Berlin, avec le sommet franco-allemand, où MM. Gerhard Schröder et Jacques Chirac ont réaffirmé, d'une voix commune, que l'objectif des négociations qui s'ouvriront en décembre prochain était bien l'adhésion pleine et entière de la Turquie à l'Union. Dont acte.
Le deuxième événement s'est produit à Rome, avec la signature du traité constitutionnel de l'Union, dont l'acte final a été cosigné par la Turquie.
Le rouleau compresseur est en marche : vous le constatez, chers collègues, c'est toujours la même méthode qui est utilisée, à savoir celle des petits pas, de l'engrenage.
A chaque fois, pris isolément, aucun acte ne nous est jamais présenté comme décisif ou définitif ; mais pris dans leur ensemble, ils forment une chaîne, en tout cas ils ont une signification précise, et suivent la logique de l'irréversibilité.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous ne pouvez ignorer que, dans une large majorité, les Français sont opposés à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, pour des raisons de bon sens.
En effet, la Turquie n'est pas européenne, ni par sa géographie, ni par son histoire, ni même, et à plus forte raison, par sa civilisation et par sa culture.
Mme Nicole Borvo. Sa civilisation !
M. Bruno Retailleau. Cependant, la question turque à un aspect positif : elle nous contraint à déterminer le modèle européen que nous voulons, à dire ce qu'est l'Europe, ce qu'elle n'est pas et jusqu'où va l'Europe.
Or il me semble qu'il existe une incompatibilité flagrante entre le modèle unitaire que l'on est en train de nous construire et l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.
Ma question est double.
Premièrement, le Gouvernement ne peut pas continuer à repousser éternellement le débat, car le repousser, c'est déjà le trancher, c'est déjà considérer que l'adhésion de la Turquie est d'abord une affaire de critères, alors qu'il s'agit avant tout d'une affaire de principe. Monsieur le secrétaire d'Etat, quand les Français seront-ils consultés, avant qu'il ne soit trop tard, et quand, dans cet hémicycle, y aura-t-il un débat, avec un vote, je l'espère, contrairement à ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale ?
Deuxièmement, il faut éviter le piège qui nous est tendu ; il faut sortir du dilemme entre exclusion déstabilisatrice et adhésion déstabilisatrice. Le Gouvernement doit ouvrir une troisième voie : celle d'un accord spécifique avec ce grand pays qu'est la Turquie. Il y va de son intérêt, du nôtre, comme de celui de l'Europe.
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Réponse du Secrétariat d'Etat aux Affaires étrangères publiée le 05/11/2004
Réponse apportée en séance publique le 04/11/2004
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères. Je tiens tout d'abord à saluer la présence, dans les tribunes, du président de l'Assemblée nationale de la République d'Arménie. (Applaudissements.)
Monsieur le sénateur, vous avez posé une question sur l'absence de débat ou de vote au Sénat s'agissant de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.
Je puis vous assurer que le Parlement sera régulièrement informé sur la question de la candidature de la Turquie à l'Union européenne, dans le respect de notre Constitution.
Le Gouvernement veut associer le Parlement, ses deux chambres, à ce processus déterminant pour l'avenir de l'Europe et de notre pays.
Pour autant, dans la mesure où il ne s'agit pas d'un projet de nature législative, le Gouvernement n'aura pas l'obligation de le soumettre au vote du Parlement.
M. le ministre des affaires étrangères l'a rappelé lors du débat à l'Assemblée nationale le 14 octobre dernier, il y aura un compte rendu, après le Conseil européen du 17 décembre prochain, devant le Parlement.
Si des négociations viennent à s'ouvrir, il y aura, à chaque étape de la négociation, une information régulière du Parlement, dans le respect de notre Constitution.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Au Sénat ?
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. Par ailleurs, il n'y a pas eu de demande formelle de la conférence des présidents du Sénat pour inscrire un débat sur la Turquie à l'ordre du jour de votre assemblée. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. C'est un peu fort !
M. René-Pierre Signé. C'est l'aveu !
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. Dès que cette demande sera formulée, le Gouvernement se prêtera bien sûr au débat, comme il l'a fait à l'Assemblée nationale. Et vous êtes vous-même, monsieur Retailleau, représenté par M. Adnot à la conférence des présidents.
Quant à une troisième voie entre l'adhésion et la non adhésion, si le Conseil européen du 17 décembre décide d'ouvrir des négociations d'adhésion avec la Turquie, il s'agira d'un long processus dont l'issue reste ouverte. Trois possibilités sont envisageables.
Première hypothèse : les négociations aboutissent, d'ici dix à quinze ans, à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Les Français seront alors consultés par référendum : ils pourront dire oui ou ils pourront dire non.
M. René-Pierre Signé. Heureusement ! C'est une grande vérité ! Vous n'aviez pas besoin de note pour dire ça !
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. Deuxième hypothèse, qui ne peut être écartée, le processus échoue.
Enfin, troisième hypothèse, pour des raisons tenant à la Turquie ou à l'Union européenne, les négociations d'adhésion sont réorientées vers une autre forme de lien.
Je rappelle que ce processus est soumis à la règle de l'unanimité. Chaque Etat membre pourra faire entendre sa voix à tout moment et arrêter, s'il le souhaite, le processus.
Si ce processus aboutit, les Français seront appelés à se prononcer par référendum, comme le Président de la République s'y est engagé.
Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, la représentation nationale et les Français auront le dernier mot : il n'y aura ni dogmatisme ni tabou sur cette question.
Mme Nicole Borvo. Heureusement !
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. Pour conclure, je veux évoquer un sujet qui me tient tout particulièrement à coeur : le génocide arménien.
La tragédie de 1915 reste très présente dans la mémoire des Français, notamment des nombreux Français d'origine arménienne.
Le projet européen est un projet de paix et de réconciliation : paix entre les pays, réconciliation de chacun avec lui-même et avec son histoire. Il y a donc un travail de mémoire à entreprendre. La perspective européenne l'encouragera, voire le rendra nécessaire.
La question n'est pas préalable à l'ouverture des négociations, mais elle sera un élément important de la discussion.
M. le président. Je vous prie de bien vouloir terminer, monsieur le secrétaire d'Etat
Mme Christiane Hummel. C'est un sujet important !
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. La Turquie devra donc faire ce travail de mémoire sur son histoire.
Mon père a été déporté et a donné la croix de Lorraine à la France libre. Nous venons de fêter le soixantième anniversaire de la libération de notre pays et notre continent est en paix. Ce que nous avons pu faire sur notre continent, nous pourrons le faire à nos frontières.
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