Question de M. TRILLARD André (Loire-Atlantique - UMP) publiée le 02/10/2004
M. André Trillard appelle l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales sur la grave crise que connaît actuellement le secteur maraîcher nantais, confronté à une chute des cours à la production qui a une incidence directe sur le chiffre d'affaires et la trésorerie des entreprises. Actuellement, plusieurs centaines d'emplois sont menacés chez les maraîchers et leurs fournisseurs. Ces difficultés tiennent à différentes causes structurelles : marges abusives de la grande distribution, distorsions de concurrence dues à des écarts, parfois abyssaux, de coût de main-d'oeuvre avec la plupart des pays européens, concurrence directe exercée par des pays tiers comme le Maroc, augmentation du prix des intrants (acier, carburant et, plus généralement, énergie). Ainsi, au-delà des mesures d'urgence demandées à très court terme par la profession, sur lesquelles il souhaite connaître la réponse apportée par le Gouvernement, une réflexion de fond suivie de décisions doit s'engager sur les moyens à mettre en oeuvre pour compenser les disparités fiscales et sociales existant dans ce secteur au plan européen. Il le remercie de bien vouloir lui communiquer ses intentions en la matière.
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Réponse du Ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales publiée le 20/10/2004
Réponse apportée en séance publique le 19/10/2004
M. André Trillard. Monsieur le président, je tiens à mon tour à vous dire le plaisir que nous éprouvons à vous voir siéger en tant que vice-président.
Monsieur le ministre, la profession maraîchère nantaise subit actuellement une crise particulièrement aiguë. En témoigne l'importance de la chute des cours à la production, qui a une incidence directe sur le chiffre d'affaires : 35 % de diminution pour certaines productions !
Chez les maraîchers nantais ainsi que chez leurs fournisseurs, plusieurs centaines d'emplois sont actuellement menacés.
La particulière gravité de cette crise tient pour beaucoup à ses origines, que l'on ne saurait réduire à une classique inadéquation entre l'offre et la demande, tant il est vrai que pèsent lourdement des facteurs extérieurs.
En effet, quels qu'aient été les efforts d'organisation réalisés par la profession - et ils ont été importants -, ils sont demeurés vains face à la concurrence directe exercée par des pays désormais européens, telle la Pologne, ou par des pays tiers, comme le Maroc, dont le rapport différentiel en termes de coût de main-d'oeuvre par rapport au nôtre varie de 1 à 10.
Il n'est cependant guère besoin d'aller si loin. Ainsi, l'Allemagne, avec un recours massif à ces contrats saisonniers à très bas coûts, est redevenue autosuffisante en asperges et a quasiment éliminé la Sologne du circuit.
Parallèlement aux distorsions salariales et sociales que subissent inexorablement nos entreprises, l'augmentation des matières premières que sont l'acier, le plastique et surtout l'énergie n'est plus guère maîtrisable. Cette augmentation est d'autant plus inquiétante lorsque l'on sait que le prix du gaz naturel, l'énergie la plus utilisée par la profession, est indexé sur le baril de pétrole, alors même que la part de la facture énergétique représente entre 25 % et 30 % du chiffre d'affaires.
Dans un marché tel que celui des fruits et légumes, ces hausses, vous le savez bien, ne sont pas « répercutables », d'autant qu'une autre série de contraintes tient aux exigences toujours plus pressantes de la grande distribution.
A côté d'un ballon d'oxygène vital, constitué de mesures d'urgence fortes et significatives afin d'éviter la disparition d'entreprises, dont certaines sont au bord de la faillite, avec le cortège de drames humains qui en découlent, il faut redonner un avenir durable et lisible à la filière fruits et légumes. Seule la mise en oeuvre de mesures structurelles destinées à compenser les disparités fiscales et sociales actuelles et à restaurer, sur le plan européen, les conditions d'une concurrence économique loyale sera de nature à garantir la pérennité d'un secteur dont chacun, en Loire-Atlantique, souhaite qu'il conserve sa place parmi les fleurons de notre économie.
Monsieur le ministre, les dispositions que vous avez annoncées le 7 octobre dernier à Nantes ont le mérite de montrer que le Gouvernement a pris conscience du problème ; toutefois, en mesure-t-il toute la gravité ?
En effet, le compte n'y est pas totalement. Le volume des crédits réellement débloqués reste infiniment modeste par rapport à l'urgence d'une situation qui ne cesse d'empirer. Rien n'est fait, dans l'immédiat, pour alléger le coût de l'énergie et de la main-d'oeuvre. Quelles mesures le Gouvernement est-il disposé à prendre pour pallier l'envolée du coût de l'énergie qui conduit certaines de nos entreprises droit à la faillite ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Vous avez raison de souligner que le secteur des fruits et légumes, en particulier les entreprises légumières, a souffert au cours des derniers mois, pour des raisons liées à la fois à l'abondance de l'offre, européenne ou non, et au peu d'entrain d'une consommation marquée par une météo défavorable.
La situation est donc très difficile pour de nombreuses exploitations, notamment pour les maraîchers du pays nantais, que j'ai rencontrés sur place il y a dix jours et qui m'ont fait part de leurs problèmes liés à la rémunération de leurs produits, au coût de l'énergie et à la concurrence extérieure.
Il faut aider les entreprises qui en ont besoin à passer le cap ; il faut répondre à cette urgence là où elle s'exprime et traiter les situations individuelles les plus sensibles avec le souci de cibler nos efforts avec rapidité et efficacité, c'est-à-dire au plus près de la réalité du terrain et de la diversité des situations, des régions et des productions.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé de débloquer une première enveloppe de 10 millions d'euros d'aides directes de trésorerie. Celle-ci sera répartie par les services déconcentrés, au sein d'une dotation départementale, sur la base d'un examen des situations les plus difficiles, en particulier dans le secteur légumier, au cas par cas, et selon les priorités établies sur le plan local. A cet égard, une attention particulière devra être portée aux jeunes récemment installés.
Ce travail, auquel les professionnels seront bien entendus associés, permettra aussi de restaurer la confiance et de réunir autour de la table tous les partenaires des entreprises - banquiers, fournisseurs, mutualité sociale agricole, administrations - afin de mobiliser une vraie dynamique de soutien.
Mes services finalisent la répartition de cette première enveloppe, qui sera notifiée aux préfets dans les tout prochains jours. Il est évidemment tenu compte des difficultés des différents types de production, qui ne sont pas identiques en fruits et en légumes. Le travail se met également en place dans les directions départementales de l'agriculture et de la forêt. Tout est mis en oeuvre afin que les premiers paiements parviennent aux bénéficiaires d'ici à décembre.
Pour beaucoup d'exploitants, les problèmes ne se limitant pas à des difficultés de trésorerie, il a également été décidé de dégager une enveloppe exceptionnelle de prêts de consolidation de 50 millions d'euros, permettant d'étaler sur cinq ans, à coût réduit et avec un différé d'un an, les échéances bancaires des producteurs de fruits et légumes en difficulté financière.
Cette mesure permettra de financer la totalité des annuités en intérêts et en capital de prêts bancaires à moyen et long terme dues par les exploitants endettés touchés par la crise.
Cette « année blanche » en matière de remboursements d'emprunts bancaires constitue un ballon d'oxygène qui permettra de soulager la trésorerie des entreprises fragilisées et de faciliter leur redémarrage.
En complément, 1 million d'euros supplémentaires seront délégués dans quelques jours aux départements concernés pour la mise en place d'échéanciers des cotisations MSA et des prises en charge partielles dans les cas les plus graves.
Parce qu'il faut aussi préparer l'avenir, j'ai décidé de compléter ces mesures conjoncturelles par un plan de 10 millions d'euros en faveur de l'Office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture, l'ONIFLHOR, afin d'engager des actions structurantes aujourd'hui nécessaires.
Dans ce cadre, une priorité sera donnée à la modernisation de l'outil de production des exploitations serristes. Un effort sera également consenti pour encourager les dynamiques commerciales et une meilleure intégration des producteurs non organisés à la politique de la filière. Enfin, l'expérience de ces derniers mois a montré qu'il est nécessaire de doter la filière d'un outil de communication spécifiquement dédié à la gestion de marché.
II nous faut maintenant nous mettre au travail tous ensemble, dans le cadre de l'Office, afin de préciser les différents axes de cet effort significatif pour en faire un véritable levier de modernisation de la filière.
J'ai également saisi les ministres compétents afin qu'une mission interministérielle, mobilisant les services des ministères de l'agriculture, des finances et de l'emploi, examine les facteurs de distorsion de concurrence intra-européens, notamment sur le coût de la main-d'oeuvre, et formule des propositions destinées à y porter remède.
Comme vous le savez, monsieur le sénateur, les conclusions de la commission Canivet viennent d'être présentées au Gouvernement. Elles portent sur les relations amont-aval, dont on connaît l'importance pour le secteur des fruits et légumes. D'ailleurs, ce n'est pas par hasard si tout un chapitre de ce rapport concerne spécifiquement ce secteur.
S'agissant de ce volet particulier, je relève qu'il est proposé de supprimer les remises, rabais et ristournes que les distributeurs imposent aujourd'hui aux producteurs. Je note aussi que le renforcement des interprofessions et le principe de contrats type entre producteurs et distributeurs font partie des recommandations de cette commission.
Ces préconisations vont dans le bon sens. Sur le plan législatif, je suis prêt à ce que l'on avance sur cette question dès la deuxième lecture au Sénat du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux.
S'agissant de la question du coût de l'énergie, que vous évoquez légitimement, le Gouvernement a considéré que, face au niveau atteint par le prix du baril, la spécificité de la profession agricole devait être prise en compte, en raison de l'impact de cette hausse sur les coûts d'exploitation et le revenu agricole, d'autant qu'il n'est pas possible aux agriculteurs de répercuter cet alourdissement de leurs charges.
Le Gouvernement, au terme d'un travail mené par mon ministère et celui de Nicolas Sarkozy, a décidé, à titre exceptionnel, d'accorder aux agriculteurs une réduction de la taxe intérieure sur les produits pétroliers de 4 centimes d'euro par litre de fioul domestique pour la période comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre 2004.
Les bénéficiaires de la mesure sont les exploitants agricoles à titre individuel ou sociétaire, y compris dans le secteur de l'aquaculture marine, les entreprises de travaux agricoles ou forestiers, les coopératives d'utilisation en commun de matériel agricole, les autres sociétés ou personnes morales ayant une activité de production agricole.
La traduction législative de cette mesure sera inscrite dans le projet de loi de finances rectificative pour 2004. Les instructions nécessaires ont été données aux services concernés afin que les remboursements correspondant à cette période du second semestre de 2004 soient versés dès janvier 2005.
En outre, mes services travaillent avec ceux du ministère de l'économie et des finances pour apporter une réponse à long terme aux fluctuations des marchés pétroliers et pour en amortir les chocs. Plusieurs pistes sont suivies, dont l'adaptation de dispositifs existants pour y intégrer la dimension pétrolière.
J'ajoute que nous travaillons également à la question du fioul lourd, afin de tenir compte de la spécificité pétrolière des serristes, ainsi qu'à celle du gaz pour les agriculteurs.
M. le président. La parole est à M. André Trillard.
M. André Trillard. Monsieur le ministre, votre réponse est très complète, mais je me permets d'insister sur deux points.
Bruxelles, qui est toujours si prompte à dénoncer les distorsions de concurrence, pourrait utilement exercer ses talents sur ce dossier très éloquent. Nous comptons sur vous pour l'y inciter.
Structurel n'est pas incompatible avec urgent. J'ai bien noté que les premiers résultats de la réflexion conduite sur le plan interministériel pourraient avoir une traduction législative rapide. Je pense à la deuxième lecture du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux. Nous comptons bien que cet échéancier ne souffrira pas de retard.
Je ferai une dernière remarque : le problème, nous le savons tous, n'est pas seulement européen. Les quotas d'importation des pays tiers sont aussi à réexaminer.
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