Question de M. PEYRONNET Jean-Claude (Haute-Vienne - SOC) publiée le 25/02/2004

M. Jean-Claude Peyronnet attire l'attention de M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche sur le démantèlement du service public de l'Education nationale. Le rectorat vient de rendre officielle la carte scolaire pour 2004 faisant apparaître la suppression de dix-huit formations au sein de lycées professionnels, et mettant en sursis l'apprentissage de langues vivantes et/ou anciennes dans les filières générales. De telles mesures menacent l'existence même des structures éducatives et vont à l'encontre des efforts entrepris pour maintenir un maillage efficace du territoire en matière d'éducation et de formation. L'académie de Limoges a certes perdu un certain nombre d'élèves, mais la démographie est redevenue positive. Aussi, cela ne saurait expliquer de telles mesures et, la péréquation entre les régions ne peut pas justifier une atteinte de cet ordre au maintien d'un service public aussi essentiel. Aussi, et parce qu'il en va de l'avenir de la jeunesse et de la cohésion territoriale, il souhaiterait qu'il lui explique en quoi la carte scolaire nouvellement établie traduit bien la prise en compte de l'intérêt des élèves et non l'expression d'une logique purement comptable.

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Réponse du Ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche publiée le 03/03/2004

Réponse apportée en séance publique le 02/03/2004

M. Jean-Claude Peyronnet. Ma question s'adresse à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

Mon inquiétude rejoint, je crois, celle de l'ensemble des élus de mon département, et plus encore celle de la majorité des parents d'élèves face à ce que nous considérons comme une remise en cause du service public de l'éducation nationale et une grave entorse à l'égalité de traitement entre les Français.

Le rectorat de l'académie de Limoges a, voilà quelques semaines, rendu officielle la carte scolaire pour 2004, laquelle fait apparaître la suppression de dix-huit formations - je ne parle pas de postes - au sein des lycées professionnels, ce qui n'est pas obligatoirement un bon choix et qui met notamment en sursis l'apprentissage des langues vivantes ou des langues anciennes dans les filières générales.

Or, pour assurer autant que possible sur tout le territoire un maillage serré des formations, les collectivités locales font un effort considérable, dans le souci de présenter une offre diversifiée aux jeunes élèves. Cet effort se traduit par exemple dans le domaine des transports scolaires : toute suppression de classe, voire de filière, entraîne automatiquement un glissement financier en direction des collectivités locales, plus spécialement des départements, puisqu'un nouveau circuit de transport scolaire se met en place. Cela représente pour mon département la somme considérable de 11 millions d'euros.

Un effort est fait par les communes en milieu rural lorsqu'elles sont amenées à constituer des regroupements pédagogiques et aussi, bien sûr, par les départements et les régions qui investissent quatre à six fois plus que l'Etat n'investissait avant la décentralisation.

Pourquoi cet effort ? Précisément parce que, à notre avis, l'enseignement doit être bien réparti sur l'ensemble du territoire à la fois pour des raisons d'aménagement de ce territoire, mais aussi pour des raisons sociales, les familles les plus modestes ayant besoin, à l'évidence, d'avoir un service de proximité pour une question de coût.

Toutefois, si l'Etat ne fait pas bien son devoir, s'il supprime des postes ou des filières de formation afin de regrouper ces dernières dans des endroits plus peuplés, il instaure une inégalité.

Mme Borvo posera tout à l'heure une question sur la région parisienne, qui connaît de gros problèmes s'agissant des zones d'éducation prioritaires, les ZEP.

Si supprimer une filière dans un lycée du Ve arrondissement de Paris ne doit pas soulever d'énormes difficultés parce que l'offre de formation dans ce secteur géographique est suffisante, il n'en va pas de même si vous supprimez une filière à Bellac, haut lieu que vous connaissez, monsieur le ministre, grâce à Jean Giraudoux ! Dans ce dernier cas, la suppression est ressentie par les parents comme une pénalisation grave des élèves et je crois que, fondamentalement, ils ont raison.

L'académie de Limoges a certes perdu des élèves au cours des années passées, mais, même si ce n'est qu'un frémissement, le solde redevient positif. Aussi, je ne peux m'expliquer de telles mesures, et la péréquation entre les régions ne me semble pas justifier une réduction des moyens de cette académie dans les proportions que vous proposez.

Monsieur le ministre, parce qu'il en va de l'avenir de la jeunesse de notre pays, je me demande si vous n'avez pas une vision un peu courte et essentiellement comptable de l'éducation nationale, alors qu'une vision plus ample s'imposerait.

M. Raymond Courrière. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur le sénateur, la rectrice de l'académie de Limoges a présenté en effet dernièrement au conseil académique de l'éducation nationale des mesures qu'elle envisage de prendre pour la rentrée prochaine.

Pour préparer cette rentrée, j'ai étudié les choses de très près. La rectrice a tenu compte non seulement des évolutions démographiques scolaires que vous avez évoquées, mais également de la nécessité de maintenir des structures scolaires sur l'ensemble du territoire de l'académie, notamment sur les territoires éloignés des principaux centres de la région.

Je vous rappelle que, de 1987 à 2003, l'académie a perdu très exactement 8 261 élèves dans le second degré. Conséquence inévitable, certaines formations ont connu une désaffectation considérable.

Je vous livre trois chiffres impressionnants, qu'un recteur responsable ne peut pas négliger même s'il essaie - et je vous dirai comment - d'en tenir compte de façon non arithmétique, en intégrant de manière intelligente la problématique de l'aménagement du territoire : 107 formations en lycée professionnel comptent huit élèves ou moins ; 25 % des places - ce n'est pas rien ! - sont vacantes en première année de baccalauréat professionnel ; 298 enseignements optionnels comprennent moins de huit élèves en lycée général de technologie.

Comment tenir compte de ces chiffres, et pourquoi le faire ?

Il est nécessaire, à l'instar de ce qu'a fait la rectrice de l'académie de Limoges, de regrouper les formations en faisant de chaque lycée un pôle de spécialités et d'excellence. Ce n'est pas simplement pour des raisons de gestion, sachant que ces formations sont inévitablement fragiles à cet égard, mais surtout pour des raisons pédagogiques qui sont d'ailleurs avancées par le plan régional de développement des formations, lequel recommande très fortement de tels regroupements. C'est seulement à ce prix que l'on permettra à de petits lycées de se maintenir avec une vitalité suffisante.

Par ailleurs, vous avez évoqué la suppression annoncée de dix-huit formations : je vous indique qu'elles concernent des sections dont le nombre d'élèves est devenu littéralement dérisoire.

Certaines d'entre elles seront néanmoins maintenues. Ce sera le cas, pour citer un exemple précis, de la filière « réalisation d'ouvrages chaudronnés et de structures métalliques », malgré la faiblesse de ses effectifs - entre trois et cinq élèves -, pour tenir compte des débouchés régionaux et des nécessités d'aménagement du territoire.

En ce qui concerne les langues, surtout anciennes, les chiffres sont, hélas ! très impressionnants : pour toute l'académie, quatre élèves seulement ont passé l'épreuve de grec au baccalauréat et vingt-quatre élèves, celle de latin. Malgré cela, contrairement à certaines hypothèses qui avaient été évoquées, toutes les sections d'enseignement du grec et du latin seront maintenues à la prochaine rentrée, sauf celle de grec du lycée de Guéret qui ne compte pas un seul candidat. Comme vous le voyez, nous faisons un véritable effort.

La rectrice fait également le maximum pour maintenir l'offre de formation, la diversité des langues vivantes enseignées, en particulier s'agissant de l'allemand, pour lequel, vous le savez, un effort très particulier est fait. Les classes bilingues en sixième sont même développées dans l'académie.

Monsieur le sénateur, les informations dont vous disposez ne me semblent pas tout à fait justes. En tout cas, elles sont incomplètes et ne prennent pas l'ensemble du problème à bras-le-corps. Dans cette académie, comme dans les autres, nous avons fait non seulement tout ce qui était nécessaire pour maintenir une offre de formation de qualité à la prochaine rentrée, mais aussi beaucoup plus en termes de gestion à court terme et d'arithmétique d'efficacité et de rentabilité du système éducatif.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.

M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le ministre, j'ai bien entendu vos propos et je ne conteste pas qu'un certain nombre de filières ou de formations sont peu fréquentées pour des raisons démographiques. Il n'en demeure pas moins qu'un problème social existe puisque, dès lors que l'on réduit l'offre, il en résulte une sorte de mutilation pour un certain nombre de familles.

Plus largement, créer des pôles d'excellence, c'est à l'évidence un bel habillage pour l'éloignement et le regroupement des formations en un lieu donné. Je comprends qu'ils puissent être constitués. Mais il faut souligner le souci et les charges ainsi créés pour les familles et les collectivités.

Depuis longtemps - vous n'êtes pas en cause, monsieur le ministre -, l'éducation nationale a une façon de gérer la carte scolaire qui relève du psychodrame. Elle a ses rites et provoque un choc tous les ans au mois de mars. Je me demande s'il ne faudrait pas procéder différemment. J'avais proposé, mais cela n'avait pas été bien perçu, de procéder à des regroupements pédagogiques de collèges géographiquement proches, qui permettraient de bénéficier d'une offre élargie. Cela pourrait s'organiser très facilement avec les transports scolaires.

Enfin, je me demande, monsieur le ministre, si votre ministère ne devrait pas envisager un conventionnement sur la durée avec les collectivités. Lorsque deux ou trois communes se voient proposer par vos services un regroupement pédagogique intercommunal, qu'elles acceptent de réaliser les investissements correspondants et que, trois ans plus tard, il leur est annoncé que le nombre d'élèves est insuffisant et que des suppressions de formations sont envisagées, elles ont l'impression d'avoir réalisé des investissements pour rien !

De même, pour les collèges et lycées, il serait souhaitable de travailler avec les collectivités locales, par département et par région, pour trouver des pistes de concertation sur une durée assez longue afin de leur donner l'assurance, du moins pour un certain temps, que les investissements qu'elles auront réalisés seront bien pertinents et que des formations et des postes ne seront pas supprimés.

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