Question de M. CARLE Jean-Claude (Haute-Savoie - UMP) publiée le 21/01/2004
M. Jean-Claude Carle attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation sur la réforme du mode de financement du service public de l'équarrissage (SPE). Pour remplacer la " taxe sur les achats de viandes ", a été créée une taxe d'abattage assise sur le poids des viandes et des déchets d'abattoir qui sera supportée exclusivement par l'aval de la filière, la distribution. Les artisans bouchers supportent déjà un certain nombre de contraintes légitimes et comprises au nom de la qualité et de la sécurité du consommateur. Ce nouveau dispositif pour financer le SPE risque d'être contreproductif à double titre : il fragilisera certainement un peu plus le réseau des petits distributeurs qui, pour survivre dans une activité de monoproduit, se reporteront sur la viande importée, et par voie de conséquence, ce sont nos éleveurs qui seront, une fois de plus, mis en péril. A ce titre, il lui demande s'il envisage d'aménager cette nouvelle taxe de telle manière qu'elle ne soit pas subie exclusivement par l'aval de la filière.
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Réponse du Ministère délégué au budget et à la réforme budgétaire publiée le 04/02/2004
Réponse apportée en séance publique le 03/02/2004
M. Jean-Claude Carle. Ma question porte sur la réforme du mode de financement du service public de l'équarrissage.
Afin que notre législation soit en conformité avec le droit communautaire, la taxe sur les achats de viande supportée par la grande distribution a été abrogée par la loi de finances pour 2004. Cette taxe finançait le service public de l'équarrissage, c'est-à-dire l'élimination des cadavres de gros bovins en ferme, le retrait des déchets à haut risque en abattoir et l'élimination des colonnes vertébrales chez les bouchers. Elle a été remplacée par une taxe d'abattage assise sur le poids des viandes et les déchets d'abattoirs. Celle-ci ne sera pas supportée par l'amont de la filière, mais elle sera répercutée en aval sur la distribution. Or la distribution est constituée non seulement de grandes surfaces, mais également d'artisans bouchers, et ces derniers ont déjà à leur charge le test de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB, qui n'est plus subventionné aujourd'hui.
Le coût de ce test représente, pour un artisan boucher, 10 centimes d'euro par kilogramme. Le poids moyen d'un boeuf est de quatre cents kilogrammes. L'artisan boucher supporte donc une charge supplémentaire de 40 euros en moyenne par bête.
Par ailleurs, l'obligation d'enlever la colonne vertébrale implique l'investissement dans un matériel spécifique particulièrement onéreux. C'est aussi une opération délicate - elle va du désossement à la désinfection, en passant par le conditionnement - et qui monopolise plusieurs heures de travail.
Ces opérations sont indispensables et comprises par les acteurs concernés au nom de la garantie de la qualité et de la sécurité des consommateurs. Cependant, la perspective de supporter le coût des déchets des autres acteurs de la filière suscite aujourd'hui l'incompréhension.
Si ce dispositif s'inscrit en faveur des éleveurs - et c'est tant mieux, car ces derniers souffrent beaucoup depuis ces dernières années -, prenons garde à ce qu'il ne pénalise pas les autres acteurs de la filière.
Mon propos a pour objet de démontrer que nous risquons de déstabiliser aussi bien l'amont que l'aval de la filière, parce qu'il s'agit d'un secteur dans lequel tous les acteurs sont interdépendants.
Ce nouveau dispositif pourrait avoir des répercussions dramatiques à plusieurs titres. Dans mon département, on dénombre environ deux cents entreprises de boucherie. Elles représentent un réseau de commerces de proximité qui participe à la vie locale. Elles constituent donc un moteur indispensable à l'aménagement harmonieux du territoire. Elles sont créatrices d'emplois, puisque certaines comptent jusqu'à dix salariés. Bien entendu, elles soutiennent la viande française. Les artisans bouchers qui vendent de la viande importée sont encore, fort heureusement, très largement minoritaires.
Les conséquences de ce dispositif sont donc simples et, pour en mesurer l'intensité, il faut en avoir à l'esprit deux aspects. L'artisan boucher sera dans l'incapacité de répercuter la charge supplémentaire qui lui incombera sur le consommateur, ce pour des raisons évidentes de compétitivité par rapport aux grandes surfaces. En raison d'une monoproduction, il n'aura aucune marge de manoeuvre pour compenser cette surcharge.
Par conséquent, fragiliser ce réseau, c'est prendre le risque de fragiliser non seulement la vie de nos villages, l'emploi dans nos territoires, mais aussi le commerce de viande française, donc l'avenir des éleveurs. En effet, le danger est grand de voir les distributeurs développer la distribution de viande importée. Celle-ci arrivant le plus souvent travaillée, elle n'engendre, elle, aucun coût supplémentaire.
Ce nouveau dispositif, qui est censé protéger les éleveurs, risque donc de les desservir et d'être contre-productif à un double titre : il pourrait fragiliser aussi bien l'amont que l'aval de la filière.
Monsieur le ministre, au regard de ces différents aspects, quelles mesures envisagez-vous de prendre en faveur des bouchers, qui se trouvent déjà dans une situation difficile du fait du changement des comportements alimentaires ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur le sénateur, il est vrai que nous devons être attentifs à ne pas mettre en danger les artisans bouchers, qui exercent des missions très utiles. Ils favorisent notamment le commerce dans les centres-villes ou dans les bourgs-centres de nos régions. Mais je tiens à insister sur le fait que le nouveau mode de financement du service public de l'équarrissage est plutôt favorable aux bouchers, puisqu'ils ne sont pas assujettis à la taxe d'abattage, alors que certains d'entre eux, je le rappelle, étaient redevables, jusqu'au 31 décembre 2003, de la taxe sur les achats de viande. J'y insiste, car c'est très important pour l'équilibre économique de leur activité.
Vous avez expliqué les conditions dans lesquelles la nouvelle taxe d'abattage a été instaurée par la loi de finances pour 2004.
La Commission européenne et la Cour de justice des Communautés européennes, dans un arrêt rendu le 20 novembre 2003 dans l'affaire GEMO, interdisent - je souligne ce mot - de continuer à faire supporter aux entreprises de la distribution le coût de l'élimination des déchets relevant du service public de l'équarrissage et imposent que ce coût soit supporté par les opérateurs producteurs de ces déchets, conformément au principe établi par le droit communautaire « pollueur-payeur ».
Pour autant, il n'est pas interdit aux entreprises redevables de cette taxe de chercher à en répercuter l'incidence dans leurs prix de vente.
De plus, le Gouvernement a prévu une disposition imposant à tout abatteur d'informer chacun de ses clients du montant des charges dont il s'acquitte au titre du financement du service public de l'équarrissage, à proportion des viandes ou des prestations d'abattage facturées. Cette somme fera l'objet d'une mention particulière au bas de la facture destinée à chaque client.
Cette disposition, qui est incluse dans un projet de décret d'application, est de nature à favoriser la négociation commerciale pour les opérateurs des filières viandes et les industries de transformation.
S'agissant du mode de financement, je vous confirme que les bouchers ne sont pas assujettis à la taxe d'abattage, alors que certains d'entre eux - je pense à ceux dont le chiffre d'affaires annuel était supérieur à 763 000 euros, montant qui était d'ailleurs assez vite atteint - restaient redevables, jusqu'au 31 décembre 2003, de la taxe sur les achats de viandes.
Au total, on ne peut pas dire que le dispositif proposé par le Gouvernement et adopté par le Parlement défavorise les bouchers - nous avons tout fait pour que ce soit le contraire - face à des dispositions communautaires qui interdisent de financer le service public de l'équarrissage par des crédits budgétaires. Le Gouvernement a pris des mesures qui lui paraissent équilibrées. A défaut, c'est le financement du service public de l'équarrissage, donc la qualité de notre viande et la confiance des consommateurs, qui serait mis en question, ce qui serait préjudiciable à tous les éleveurs de notre pays.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le ministre, je vous remercie des précisions que vous m'avez apportées et du ton très compréhensif de votre réponse, même si je n'en partage pas tous les points.
Certes, c'est le rôle et même le devoir de l'Etat et du Gouvernement de faire respecter le droit, fût-il européen. Mais l'Etat et le Gouvernement ont également pour mission de faire en sorte qu'une réforme, et en particulier celle-ci, ne pénalise pas trop fortement un maillon de la filière, en l'occurrence les artisans bouchers. En effet, vous l'avez dit, ce sont les abatteurs qui supporteront la taxe et je ne me fais pas beaucoup d'illusions : ils la répercuteront sur l'aval de la filière, en particulier sur les bouchers. Or ceux-ci, contrairement à d'autres, puisque leur activité ne concerne qu'un seul produit, n'ont pas une grande marge de manoeuvre : ils ne peuvent répercuter cette taxe que sur le consommateur, ce qui ne me paraît pas être la bonne décision.
Je souhaite, monsieur le ministre, que le Gouvernement engage une concertation avec l'aval de la filière, c'est-à-dire les grossistes, les distributeurs et les artisans bouchers, car il y va de l'avenir de ces derniers, acteurs de notre économie mais aussi acteurs importants de l'aménagement du territoire, en particulier des territoires ruraux.
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