Question de M. GUERRY Michel (Français établis hors de France - UMP) publiée le 21/11/2003

M. Michel Guerry attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur la sécurité des journalistes français à l'étranger et les conditions d'exercice de leur métier. Il lui expose que l'assassinat odieux, à Abidjan le 21 octobre 2003, d'un journaliste de Radio France International (RFI) a été ressenti comme un affront au valeurs universalistes que défend la France à travers le monde et que la rapidité et la force de la réaction, tant du président de la République que du Gouvernement, ont marqué la volonté de la France de ne pas laisser ce crime impuni. Il lui relate l'émotion suscitée par ce crime, en particulier dans les communautés françaises à l'étranger et la légitime colère de l'ensemble des professionnels de l'information et plus particulièrement ceux de RFI directement visés. Il lui indique que l'expulsion du Sénégal de la correspondante permanente de RFI, le 24 octobre 2003, bafoue, quant à elle, l'article 19 de la déclaration universelle des Droits de l'homme de 1948. Il lui indique que dans ces ceux affaires c'est la question même de la liberté de l'information et de la sécurité de ceux qui en ont la charge qui est au coeur des préoccupations et qui est un sujet de grande inquiétude des Français en Côte-d'Ivoire. Il souhaite connaître la position du Gouvernement sur les assurances données à la France par le gouvernement ivoirien pour que l'enquête parvienne bien à son terme. Il souhaite également être informé de l'état d'avancement actuel de l'enquête et notamment savoir si ce crime est un acte isolé ou un acte prémédité. Il lui demande quelle position compte adopter la France à l'égard d'autres États qui soumettraient à l'arbitraire nos compatriotes journalistes exerçant leur métier d'information et quelles réponses concrètes notre pays est en mesure d'apporter quant à la nécessaire sécurité de nos compatriotes à l'étranger.

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Réponse du Ministère délégué à la coopération et à la francophonie publiée le 28/01/2004

Réponse apportée en séance publique le 27/01/2004

M. Michel Guerry. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et concerne la sécurité des journalistes français à l'étranger.

Le 24 octobre 2003 intervenait l'expulsion du Sénégal de la correspondante permanente de RFI à Dakar, Sophie Malibeaux.

Cette expulsion bafoue l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, aux termes duquel « tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ».

Quelques jours plus tôt, le 21 octobre, l'assassinat odieux, à Abidjan, de Jean Hélène, journaliste de RFI, a été ressenti comme un ultime affront aux valeurs universalistes que défend notre pays à travers le monde.

On comprend, dès lors, l'émotion suscitée par ce crime, en particulier dans nos communautés françaises à l'étranger, et la légitime colère de l'ensemble des professionnels de l'information, plus particulièrement de ceux de RFI, directement visés.

Je tiens ici à rendre solennellement hommage à Jean Hélène et à son travail de journaliste de terrain.

Le Président de la République ainsi que le Gouvernement, par la rapidité et la force de leur réaction à son assassinat, ont marqué la volonté de la France de ne pas laisser ce crime impuni.

Je salue la détermination du ministère des affaires étrangères, qui a pu obtenir du gouvernement ivoirien l'assurance que l'enquête sur l'assassinat de Jean Hélène serait menée correctement à son terme, malgré une campagne, particulièrement inacceptable, de déstabilisation de l'enquête dans la presse ivoirienne, malgré les nombreuses perturbations qui se sont déroulées durant la reconstitution du crime et les agressions qui ont eu lieu envers les journalistes étrangers qui suivaient l'enquête.

Le procès de l'assassin de Jean Hélène, le sergent de police ivoirien Théodore Séry Dago, a abouti à la condamnation de ce dernier à dix-sept ans de réclusion criminelle. Il ne m'appartient évidemment pas de commenter une décision de justice. Néanmoins, il me semble qu'en allant au-delà des réquisitions du procureur les jurés ont tenu à marquer leur indépendance par rapport à l'invraisemblable pression des médias ivoiriens et à leur appel à la haine.

Avec l'issue de ce procès, dont nous pouvons nous satisfaire puisque justice a été rendue, ne peut-on également voir dans ce jugement un véritable premier geste d'apaisement vis-à-vis de la France et de ses ressortissants en Côte d'Ivoire, alors que le président Gbagbo est attendu en France en février ?

Vous le comprendrez, monsieur le ministre, c'est la question même de la liberté de l'information et de la sécurité de ceux qui en ont la charge qui est au coeur de mes préoccupations.

Pour la seule année 2003, quarante-deux journalistes sont morts à travers le monde dans l'exercice de leur métier d'information.

Mes pensées vont, bien entendu, non seulement vers la famille de Jean Hélène, mais également vers celle de Frédéric Nérac, disparu le 22 mars 2003 en Irak, dans des circonstances extrêmement floues. Plus de neuf mois après sa disparition, nous sommes toujours sans nouvelles de lui et de ce qui a pu lui advenir.

Tout dernièrement, le 14 décembre, deux journalistes du magazine L'Express, Marc Epstein et Jean-Paul Guilloteau, ont été arrêtés au Pakistan et condamnés à la prison ferme pour une simple faute admnistrative et un défaut de visa. Il s'en est suivi une interminable attente, pleine d'angoisse pour leur famille, ne sachant pas le sort qui allait être le leur. Durant un mois, le Pakistan a soufflé le chaud et le froid sur leur avenir, avant le dénouement heureux du 12 janvier qui a vu leur libération et, depuis, leur retour en France.

Monsieur le ministre, ma question s'articule autour de plusieurs interrogations.

Tout d'abord, concernant la disparition en Irak de Frédéric Nérac, je souhaiterais connaître l'état de l'enquête promise par le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, à Mme Nérac, qui l'a interpellé à ce sujet.

Par ailleurs, quelle position compte dorénavant adopter notre pays à l'égard d'autres Etats qui soumettraient à l'arbitraire nos compatriotes journalistes exerçant leur métier d'information ?

Enfin, d'une manière plus générale, quelles réponses concrètes sommes-nous en mesure d'apporter quant à la nécessaire sécurité de nos compatriotes à l'étranger ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le sénateur, le Gouvernement partage, bien entendu, la préoccupation que vous venez d'exprimer au sujet de la sécurité des journalistes français qui opèrent à l'étranger, surtout lorsqu'ils se trouvent dans des zones de tension.

Chaque fois que des menaces apparaissent - quand elles sont prévisibles - ou que des événements dangereux se produisent, tout est fait pour apporter aide et assistance à nos journalistes.

En ce qui concerne l'odieux assassinat, le 21 octobre dernier, de Jean Hélène, à la mémoire duquel vous avez à juste titre rendu hommage, le Président de la République a aussitôt exigé, vous vous en souvenez certainement, que s'applique une justice exemplaire. Il a en outre souligné que les autorités françaises se montreraient très attentives aux suites données à cet assassinat.

Nous connaissons maintenant le verdict, rendu le 22 janvier et que vous avez rappelé : le policier, arrêté sur-le-cham, a été reconnu coupable d'homicide et condamné à dix-sept ans de prison ferme, peine assortie d'autres condamnations. L'Etat ivoirien a par ailleurs été condamné à verser la somme de 137 millions de francs CFA de dommages et intérêts à la famille de la victime.

On peut relever que la justice ivoirienne a conduit la procédure avec rapidité et dans le plein respect du droit. Tout au long de l'enquête comme du procès, les autorités françaises sont restées en contact étroit avec les autorités ivoiriennes, qui se sont montrées très ouvertes à cette coopération. Deux magistrats français, le procureur de la République de Paris et le vice-président près le tribunal de grande instance de Paris, accompagnés d'un expert, se sont rendus sur place dans le cadre de l'enquête.

S'agissant de M. Frédéric Nérac, nous nous sommes mobilisés dès que nous avons appris la disparition de notre compatriote et de son assistant, le 22 mars, près de Bassora en Irak.

Les services du ministère des affaires étrangères sont en contact avec tous les interlocuteurs susceptibles de nous apporter des éléments d'information. Dans la région, les diplomates français, à Bagdad comme à Koweït, cherchent à vérifier toutes les pistes de renseignements et d'informations disponibles. Cette mission figure parmi les priorités qui ont été confiées à notre représentant diplomatique en Irak.

A Londres, nos diplomates sont en contact régulier avec la chaîne ITN et avec les enquêteurs britanniques.

Comme vous l'avez souligné, le Gouvernement français a sollicité le concours des gouvernements britannique et américain dans cette opération. Le ministre britannique Jack Straw a ouvert une enquête officielle à Londres le 27 mai 2003 ; quant au secrétaire d'Etat américain, M. Colin Powell, il s'est engagé à transmettre toutes les informations en sa possession.

Toutefois, pour l'instant, nous n'avons malheureusement pas reçu d'éléments nouveaux. Nous sommes donc dans l'attente d'informations et je ne suis pas en état de vous en donner puisque nos différents contacts ne nous ont pas permis d'en recevoir.

En dehors des cas dramatiques de l'assassinat de Jean Hélène et de la disparition de Frédéric Nérac, vous avez évoqué plus généralement les conditions d'exercice de la profession de journaliste dans certains pays et, en particulier la situation de Mme Sophie Malibeaux, correspondante de RFI au Sénégal.

Nous sommes, bien sûr, très attentifs à ce que les journalistes de Radio France Internationale, qui dispose d'un réseau de correspondants très important dans le monde, puissent exercer leur métier d'information dans de bonnes conditions. Ce n'est pas toujours facile - nous le savons bien -, surtout lorsque des tensions politiques apparaissent dans certains pays. La liberté de la presse est un combat permanent. Il appartient au Gouvernement et aux autorités diplomatiques qui le représentent sur place d'essayer d'apporter leur concours pour permettre à la presse d'exercer effectivement son métier.

En ce qui concerne le cas de M. Jean-Paul Guilloteau et de M. Marc Epstein, journalistes de L'Express, arrêtés au Pakistan, la réaction des autorités françaises a été très rapide pour faciliter un règlement de leur situation. Nous nous félicitons de constater que cela a été possible.

De manière générale, la France se montre vigilante quant à l'application par les autres Etats des conventions internationales qui concernent la protection de ses ressortissants. Elle veille à ce que ceux contre lesquels des poursuites judiciaires ont été engagées ou qui sont placés en détention bénéficient des droits de la défense, ou, en cas de conflits armés, des protections et garanties que le droit international humanitaire accorde aux personnes détenues, qu'elles aient ou non le statut de prisonnier de guerre.

Le cas des journalistes en mission professionnelle dans les zones de conflit armé est particulier puisque, juridiquement, ils sont considérés comme des civils pour autant qu'ils puissent justifier de leur qualité de journaliste par une carte d'identité l'attestant.

Bref, la défense permanente de nos compatriotes, notamment des journalistes, particulièrement exposés, s'inscrit dans notre combat constant en faveur de la liberté d'expression et le Gouvernement, je voudrais vous en assurer, veille attentivement à l'application de ces principes.

M. le président. La parole est à Michel Guerry.

M. Michel Guerry. Monsieur le ministre, je vous remercie des réponses que vous m'avez apportées.

Notre préoccupation est d'autant plus d'actualité que le Président de la République populaire de Chine, M. Hu Jintao, effectue depuis hier une visite d'Etat en France. Notre pays, par la voix de M. le Président de la République, a saisi cette opportunité pour réaffirmer officiellement sa position au regard de la défense des droits de l'homme.

La présence à Paris du président chinois ne devrait-elle pas être également l'occasion pour la France de sensibiliser M. Hu Jintao sur les entraves, encore trop nombreuses en Chine, au libre exercice du métier de journaliste, tant pour les étrangers que pour les Chinois ?

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