Question de Mme BEAUDEAU Marie-Claude (Val-d'Oise - CRC) publiée le 05/11/2003
Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité sur la réglementation de la fabrication, de la mise en vente, de l'importation et de l'emploi de substances et préparations dangereuses pour les travailleurs, telles qu'elles sont définies dans le titre III du livre II du code du travail. Elle lui fait observer que l'article L. 231-7 du code du travail stipule que " peuvent être limitées, réglementées ou interdites " les activités susmentionnées. Elle lui fait également remarquer que l'obligation faite à tout fabricant ou importateur de " fournir les informations nécessaires à l'appréciation des risques encourus par les travailleurs susceptibles d'être exposés " à ces substances ne s'impose que pour les substances n'ayant pas fait l'objet d'une mise sur le marché avant le 18 septembre 1981, par application de la directive 67/548/CEE. Or, elle lui fait observer que les substances dites " existantes " (c'est-à-dire déclarées avant le 18 septembre 1981) représentent plus de 99 % du volume total des substances se trouvant sur le marché, selon le Livre blanc de la Commission européenne du 27 février 2001 relatif à la future politique dans le domaine des substances chimiques. Elle lui demande donc de lui faire savoir les mesures qu'il envisage de prendre pour soumettre ces substances aux mêmes tests d'évaluation des risques et d'autorisation d'emploi, de fabrication et de mise en vente que les substances dites " nouvelles ", mises sur le marché depuis le 18 septembre 1981.
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Réponse du Ministère délégué à l'industrie publiée le 17/12/2003
Réponse apportée en séance publique le 16/12/2003
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'industrie chimique européenne, la première au monde, emploie 1,7 million de salariés, pour une production annuelle de 400 000 tonnes de substances chimiques et un chiffre d'affaires de 500 milliards d'euros.
Or 22 % des salariés de l'Union européenne sont ou ont été exposés à des substances toxiques et 16 % en manipulent quotidiennement au travail. Cette exposition provoque de nombreux accidents du travail - perte de la vue ou de l'ouïe, infirmités à la suite d'explosions - ainsi que de graves maladies professionnelles telles que des cancers, des malformations foetales, des problèmes de stérilité.
En 1981, on dénombrait 100 106 produits chimiques. Depuis cette date, 2 700 nouvelles substances ont été autorisées sur le marché européen. L'article L. 231-7 du code du travail prévoit la possibilité de limiter ou d'interdire les substances dangereuses pour les salariés, mais cet article ne s'applique qu'aux produits apparus après 1981, soit moins de 1 % du volume total des substances utilisées sur le marché ! Et, même pour les substances apparues après 1981, seuls 5 % des produits ont, à ce jour, fait l'objet d'une évaluation !
Dès lors, aucune prévention efficace et aucune réparation juste des accidents du travail et des maladies professionnelles ne sont possibles.
Quelles solutions les pouvoirs publics proposent-ils ?
Le document unique d'évaluation des risques souffre de nombreuses et majeures limites. Il est rédigé par le seul employeur, et selon une échelle et une classification des risques souvent pour le moins irréalistes.
Le programme européen dénommé REACH, voté au Parlement européen, constitue une première avancée. Cependant, sa portée a été, depuis le Livre blanc sur les substances chimiques de 2001, largement amoindrie par une action conjointe des industriels de la chimie, mais aussi de M. le Président de la République, de MM. Blair et Schröder, et même du secrétaire d'Etat américain au commerce !
Le texte proposé est donc bien en deçà des propositions de 1981 et, plus encore, des attentes des salariés.
Il limite l'évaluation aux produits fabriqués ou importés à plus d'une tonne par an, ce qui correspond à 30 000 seulement des 100 000 substances chimiques existantes !
Il n'est prévu aucune évaluation des produits intermédiaires, qui constituent une famille très nombreuse, avec, par exemple, le benzène, l'acétone, le propylène ou l'éthanol. Quant aux polymères, macromolécules très courantes que leur dégradation rend particulièrement dangereuses et toxiques, elles sont aussi exclues de l'évaluation.
Seules les substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction et les polluants organiques persistants seront soumis à autorisation spéciale.
Madame la ministre, vous le voyez, il s'agit d'un texte aux répercussions éminemment politiques et financières. Nous ne comprendrions pas que des arguments financiers tenant notamment au coût de cette évaluation soient opposés aux risques sanitaires pour les salariés et pour l'environnement.
M. le ministre des affaires sociales a beau insister, dans un article du journal de l'Institut national de la recherche scientifique de mai 2003, sur le rôle clé de l'Agence française de sécurité et de santé environnementale, en matière de travaux sur ces questions de santé au travail et d'évaluation des risques, je n'en constate pas moins que les crédits de cette agence - le Sénat vient de les voter - baissent, pour 2004, de 3,6 % !
Madame la ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour soumettre toutes les substances chimiques et tous les produits intermédiaires, apparus avant ou après 1981, à des tests d'évaluation des risques et d'autorisation d'emploi, de fabrication et de mise en vente ? Comment le Gouvernement compte-t-il renforcer les mesures du programme européen afin que celui-ci puisse pleinement jouer son rôle de dispositif de protection des salariés et de leur santé, mais aussi des consommateurs et de l'environnement ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Madame la sénatrice, comme vous l'avez vous-même rappelé, les conditions d'évaluation et de mise sur le marché des substances chimiques sont fixées au niveau européen dans des directives d'harmonisation totale entre les Etats membres.
Ainsi, l'article L. 231-7 du code du travail précise, en conformité avec les textes communautaires, les obligations en matière d'évaluation des dangers et des risques des substances chimiques, les conditions de leur mise sur le marché et les obligations d'information incombant aux responsables de la mise sur le marché de ces substances.
Néanmoins, le dispositif communautaire a montré ses limites. Un travail de révision en profondeur a été engagé à l'échelon européen avec l'élaboration d'un projet de règlement REACH.
Dans son état actuel, ce projet prévoit de traiter l'ensemble de ces substances de façon identique, indépendamment de la date de première mise sur le marché, afin que les connaissances des dangers et des risques des substances chimiques soient développées de manière significative.
Ces réglementations en cours d'élaboration présentent des enjeux sociaux importants en termes de sécurité sanitaire des travailleurs, de la population et de l'environnement. C'est pourquoi je soutiens fermement les orientations du Livre blanc « chimie », qui doivent permettre d'améliorer la connaissance et l'information sur les produits chimiques et faciliter l'accès à l'information.
Le Gouvernement participera activement aux discussions, à l'échelon tant national qu'européen, relatives aux dispositions du projet de règlement.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Cependant, elle est insuffisante, et je me vois dans l'obligation d'attirer votre attention sur deux points.
D'abord, la diminution des crédits alloués aux agences sanitaires françaises, notamment à l'INVS, l'Institut de veille sanitaire, à l'INRS, l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, à l'AFSSE, l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale, et à l'INSERM, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, rend difficile l'évaluation du Livre blanc et des politiques à arrêter.
Ensuite, il faudrait, sans attendre le résultat final des évaluations que vous venez d'annoncer, appliquer le principe de précaution et procéder à une substitution pour tous les produits dont les dangers ont déjà été démontrés dans des travaux scientifiques - je pense notamment aux éthers de glycol, au benzène et aux goudrons - ou pour lesquels existe une présomption de toxicité et de conséquences sur la santé humaine. Si la substitution est impossible, il convient alors d'interdire tout usage, toute fabrication, toute importation du produit, pour les salariés comme pour les consommateurs. En outre, il faut fixer pour toutes les substances chimiques pures ou mélangées des valeurs moyennes et des valeurs limites d'exposition professionnelle, en prévoyant bien entendu la révision de leurs critères d'élaboration. Sinon, madame la ministre, nous allons au-devant de dangers très importants.
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