Question de M. LAFFITTE Pierre (Alpes-Maritimes - RDSE) publiée le 05/11/2003
M. Pierre Laffitte rappelle à M. le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat que lorsque le Parlement vote une loi, les médias en parlent et la population et beaucoup d'élus pensent que la loi est applicable. Le contrôle de l'Etat par le Parlement conduit à constater qu'il n'en est rien et que nombre de décrets d'application ne sont pas publiés, même dans certains cas, plusieurs années après. Ainsi, pour la loi n° 99-587 du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche un décret n'a pu être publié qu'après plus de deux ans par suite de désaccords interministériels. Il a fallu un amendement sénatorial, qualifié d'amendement Laffitte par le ministre de la recherche pour pouvoir faire aboutir le décret. Dans de très rares cas, les décrets sont préparés en même temps que la loi. La réforme de l'Etat ne devrait-elle pas résoudre ce problème : en généralisant la préparation des décrets en même temps que les projets de loi ; en personnalisant les responsabilités des services des divers ministères concernés par la rédaction des décrets, ce qui faciliterait les investigations parlementaires sur l'état d'avancement de l'application des lois ; la décision de payer au mérite les fonctionnaires pourrait-elle trouver une application concrète dans ce domaine ?
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Réponse du Ministère délégué aux libertés locales publiée le 28/01/2004
Réponse apportée en séance publique le 27/01/2004
M. Pierre Laffitte. Ma question concerne la réforme de l'Etat et, par voie de conséquence, l'ensemble des ministres. Je pense donc que M. Devedjian aura à coeur de m'apporter une information sur le délai de parution des décrets d'application des lois. Ce problème n'est pas nouveau. Je me suis même laissé dire que les décrets d'application de certaines lois votées il y a cinquante ans n'étaient toujours pas parus. Sans doute n'était-ce pas capital...
Nos concitoyens manifestent la volonté de voir la loi s'appliquer dès lors que le Parlement l'a votée et que la presse les en a informés. Quelle n'est pas leur surprise lorsqu'ils s'aperçoivent, six mois, voire des années plus tard, que la loi n'est pas applicable. Ils se demandent parfois si ce n'est pas l'administration qui manifeste un léger désaccord en freinant un peu les choses ou bien si elle fait preuve d'indolence. Et comme c'est le Gouvernement qui dirige, ils le rendent responsable de la situation.
Le Parlement pourrait, le cas échéant, décider de créer une mission d'information, car, dans certains cas, c'est vraiment très gênant.
Je prendrai l'exemple récent de la loi Aillagon, du 1er août dernier, relative au mécénat, aux associations et aux fondations. Plusieurs ministres se sont engagés - je pense en particulier à Claudie Haigneré ou à Nicole Fontaine - en affirmant que cette loi permettrait de renforcer notamment l'aide à la recherche, à la médecine, au développement industriel, etc. Le Premier ministre et même le Président de la République y ont également fait allusion. Ce n'est donc pas un problème mineur. Or l'article 1er est déclaré non applicable. C'est un amendement du Sénat. On conçoit qu'il faille étudier plus en détail les amendements parlementaires. L'article 3 résultant d'un amendement de l'Assemblée nationale est lui aussi non applicable ; certaines dispositions correspondent cependant au texte initial. Article 6 relatif au renforcement des incitations fiscales au mécénat des entreprises : non applicable. Article 15 concernant l'obligation d'établissement de comptes certifiés pour les organismes bénéficiaires de dons : non applicable.
Autrement dit, la quasi-totalité de la loi n'est pas applicable. Pourtant, nombre de fondations se référant à la loi ont déjà entamé des campagnes pour obtenir des fonds. Cette loi devait être applicable à partir du 1er janvier dernier.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous donner des précisions à cet égard ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Monsieur le sénateur, à l'évidence, je comprends votre préoccupation. Lorsque la loi est promulguée et lorsqu'un texte réglementaire est nécessaire, celui-ci doit être pris le plus rapidement possible, afin que la volonté du législateur soit respectée. C'est le fondement même de notre démocratie : si les lois votées par le Parlement ne sont pas mises en oeuvre, il est fait échec à la volonté populaire.
Dans le 55e rapport annuel du Sénat, qui est paru récemment, il est une nouvelle fois constaté que de nombreuses lois sont encores partiellement, sinon totalement, inappliquées, faute de textes d'application. Cette situation est évidemment intolérable.
C'est pour y remédier que, sur la proposition d'Henri Plagnol, secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat, le Premier ministre a, dans une circulaire du 30 septembre 2003, défini un certain nombre d'orientations qui doivent progressivement conduire à s'interroger sur la nécessité de produire de nouvelles normes.
Cette circulaire prescrit en particulier l'élaboration, pour chaque loi promulguée, d'un échéancier prévisionnel des décrets nécessaires à l'application de la loi et la communication aux deux assemblées de cet échéancier, afin d'assurer l'information des parlementaires. Ces échéanciers feront l'objet d'une diffusion publique sur le site Légifrance et seront régulièrement mis à jour au fur et à mesure de la publication des décrets.
Aux termes de cette circulaire, chaque ministère doit également désigner un correspondant chargé de suivre l'application des textes et préparer une « charte de la qualité de la réglementation », qui devra naturellement porter sur l'amélioration de la gestion de la préparation des textes par les administrations.
Le Premier ministre a rappelé les grandes lignes de cette circulaire dans sa communication au conseil des ministres du 31 décembre 2003, et il a demandé à tous les ministres d'apporter au suivi réglementaire des lois promulguées la même attention politique qu'à la préparation de la loi.
Il faut évidemment trouver les moyens d'améliorer les délais de parution des textes d'application, mais il faut aussi s'attacher, plus généralement, à maîtriser la production normative, à commencer par la loi. L'excès de législation nuit à la sécurité juridique, et il existe d'autres instruments pour mener une politique de réforme efficace. En effet, bien souvent, la loi « répète », simplement dans un soucis de proclamation.
C'est également pour apporter des réponses à ces évolutions que le Gouvernement s'est engagé dans un effort sans précédent de simplification du droit, au travers de lois d'habilitation qui préservent, il faut le rappeler, tous les droits du Parlement.
La quasi-totalité des ordonnances prévues dans la loi d'habilitation promulguée le 2 juillet dernier, d'ailleurs nourrie de nombreux amendements d'origine parlementaire, sortira avant le terme d'un an fixé dans la loi elle-même. En outre, un second projet de loi d'habilitation sera soumis au Parlement au cours du premier semestre 2004, afin précisément de mettre un peu d'ordre et de cohérence, car, très souvent, l'absence d'application de la loi provient aussi du désordre législatif.
Vous soulignez, monsieur le sénateur, un problème fondamental pour l'expression de notre démocratie. Il est certain qu'un effort de rationalisation, qui est déjà en cours, doit être accompli.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Je tiens d'abord à vous remercier, monsieur le ministre, de la précision de votre réponse. Elle montre que la question est complexe. Je suis moi-même passé par la fonction publique. Je connais donc la façon dont réagissent un certain nombre de chefs de service. A l'évidence, malgré la circulaire très importante à laquelle vous avez fait allusion et la communication du Premier ministre en conseil des ministres à la fin du mois de décembre, un problème de fond subsiste eu égard à la démocratie.
A l'instar de l'Assemblée nationale, qui a évoqué la possibilité de demander au rapporteur d'une loi d'en suivre l'application pendant un certain nombre de mois, le Sénat pourrait très bien formuler une demande analogue. Nous pourrions ainsi apporter une aide aux différents ministères concernés.
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