Question de Mme BEAUDEAU Marie-Claude (Val-d'Oise - CRC) publiée le 14/05/2003
Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales sur les difficultés croissantes en matière de sécurité pour le convoyage, le transfert des fonds, l'emploi et la vie des convoyeurs de fonds. Elle lui demande de lui confirmer l'échec des technologies nouvelles, ainsi que de l'utilisation des voitures banalisées aussi bien en matière de sécurité pour les personnels que d'efficacité de la protection des fonds. Elle s'étonne de constater l'existence de licenciements décidés par les sociétés de transport de fonds, qui devraient plutôt procéder à de nouvelles embauches pour aboutir à la mise en place de fourgons blindés, avec trois convoyeurs armés ayant reçu une formation professionnelle suffisante notamment en matière de maniement des armes. Ce qui suppose une politique tout à fait nouvelle de recrutement. Elle lui demande de lui faire connaître les mesures qu'il envisage pour contraindre les sociétés de transport de fonds à recruter les personnels en nombre suffisant et leur assurer la formation professionnelle nécessaire. Elle lui demande enfin s'il n'estime pas que le bilan des mises en conformité des installations industrielles, bancaires ou commerciales recevant des fonds appelle de nouvelles mesures d'aménagement ou de construction avec obligation de les inscrire dans un dossier de permis de construire ou de déclaration de travaux avec avis des collectivités locales concernées et des services de la préfecture.
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Réponse du Ministère délégué aux libertés locales publiée le 04/06/2003
Réponse apportée en séance publique le 03/06/2003
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le ministre délégué aux libertés locales, une fois de plus, je sollicite le Gouvernement pour que de nouvelles mesures soient prises face au « milieu », qui semble vouloir investir en hommes et en moyens et faire de l'attaque des transferts de fonds un secteur d'activité du grand banditisme.
La toute dernière période a été marquée par une recrudescence du nombre des agressions et vous en connaissez bien entendu la liste.
Nous sommes confrontés à un problème de société. Le transport de fonds est un des réseaux forts de l'économie française. Ainsi, 70 000 sites sont desservis, dont plus de 45 000 distributeurs de billets. L'argent liquide en petits montants est un attrait pour la pègre.
Les 10 000 personnes employées par les sociétés de transport de fonds comptent 7 000 convoyeurs, et 1 200 à 1 400 véhicules sont en circulation. Dans ces véhicules, on trouve parfois plus de 5 millions d'euros en espèces, et 2 000 à 3 000 salariés travaillent chaque jour la peur au ventre.
Est-il vrai, monsieur le ministre, qu'il existerait une cinquantaine de bandes bien organisées qui disposeraient d'une technologie criminelle élaborée en la matière ? Ce nombre progresse-t-il ? Ces bandes peuvent-elles devenir de véritables dangers publics ?
J'ai relu avec attention les éléments que nous possédons au sujet des principales attaques. Nous sommes souvent en présence de truands aguerris, en possession d'un armement de guerre allant jusqu'au lance-roquettes antichar.
Vous partagez en partie mon inquiétude puisque des évolutions dans les textes ont conduit à l'adoption d'un dernier décret modifié, mais de façon encore insuffisante à mon gré.
Ce matin, je vous poserai, monsieur le ministre, trois questions concrètes.
La première porte sur ce qui est appelé couramment les « nouvelles technologies ».
Je suis persuadée que, dans votre intervention, vous en noterez les mérites. Malheureusement, monsieur le ministre, elles se révèlent inefficaces et dangereuses.
Elles sont inefficaces car la neutralisation des billets est loin d'être garantie. Des procédés nouveaux semblent être susceptibles d'effacer l'encre maculant les billets. Ce moyen d'action est complémentaire.
Le procédé est également dangereux : il appelle la voiture banalisée, le camouflage, l'anonymat du convoyeur. Mais très vite, les voitures banalisées sont détectées, repérées, et les convoyeurs livrés sans défense à l'agression. Les premiers résultats sont là ; ils démontrent l'insuffisance de ces technologies.
Monsieur le ministre, dans le décret, vous avez admis que cette mesure pourrait être autorisée à titre exceptionnel. Or, elle se généralise. Pourquoi ?
Est-il vrai que des projets européens viseraient à généraliser l'utilisation de la voiture banalisée sans protection ?
Que comptez-vous faire pour que toutes les sociétés de transport s'équipent de fourgons blindés avec au moins trois hommes à bord et un armement suffisant ?
Ma deuxième question porte sur les pratiques des entreprises de transfert de fonds. Pour assurer la présence de trois convoyeurs par fourgon, des embauches sont nécessaires. Or, des plans sociaux apparaissent.
Les entreprises ont-elles fait le choix du véhicule banalisé ?
On retrouve aussi la même irresponsabilité en matière de formation professionnelle. Dans une entreprise dont je ne citerai pas le nom, sur 120 convoyeurs, seuls 10 ont reçu la formation au maniement des armes, ce qui a risqué de se traduire dernièrement par un drame. La presse s'en est fait l'écho. Que comptez-vous faire avec le Gouvernement pour vous opposer à tout plan de licenciement et pour contraindre les entreprises à se doter des emplois et des formations nécessaires ?
Est-il vrai que la Brink's se prépare à licencier 400 salariés, que Valiance s'apprêterait à en licencier 200 dans un premier temps et 200 dans les mois à venir ?
Ma troisième et dernière question porte sur la mise en conformité des installations industrielles, bancaires et commerciales pour la fin de l'année 2003.
Les commissions départementales travaillent, mais elles constatent beaucoup de retard, de mauvaise volonté et d'insuffisances en matière d'aménagements permettant le transfert direct des fonds du véhicule au local.
Nous ne pouvons plus nous contenter de simples avis et orientations, y compris de la part des commissions départementales. Des dispositions doivent être prises pour contraindre les sociétés de transport. Etes-vous prêt à les envisager, à les décider et à résister aux orientations fixées par la Communauté européenne ? Etes-vous prêt également à vous opposer à tout plan de licenciement décidé par les sociétés de transport de fonds ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Madame la sénatrice, vous avez fait part au ministre de l'intérieur de vos préoccupations relatives à l'exercice du métier de convoyeur de fonds et vous avez manifesté votre scepticisme à l'égard des nouvelles technologies, par exemple l'utilisation de véhicules banalisés.
Avant de vous répondre chiffres à l'appui, je voudrais rendre hommage à la conscience professionnelle et au courage des employés des compagnies de transports de fonds et réaffirmer que le principal souci du Gouvernement, en cette matière, est naturellement d'épargner les vies humaines. C'est la première préoccupation.
Les statistiques récentes font apparaître que, de 1999 à mars 2003, le nombre d'attaques sur les véhicules banalisés est proportionnellement plus élevé. Mais neuf convoyeurs ont été tués et vingt-quatre blessés au cours de quarante-neuf agressions contre des transports en véhicules blindés, tandis que quarante-sept agressions menées contre des véhicules banalisés utilisant de nouvelles technologies n'ont fait que huit blessés. L'utilisation de véhicules banalisés a donc donné lieu à une diminution importante du nombre de tués et même de blessés : aucun tué et huit blessés, c'est toujours trop mais c'est déjà beaucoup mieux.
Par ailleurs, lors de la table ronde du 11 juillet 2002, il avait été décidé de constituer un groupe interministériel composé de membres des inspections générales des finances, de l'administration, de la police nationale, de l'inspection générale du travail et des transports, ainsi que du conseil général des ponts et chaussées.
Ce groupe avait pour mission : d'abord, de dresser un bilan de la mise en oeuvre des dispositions législatives et réglementaires destinées à sécuriser la phase piétonne du transport de fonds et d'évaluer le mode de fonctionnement des commissions départementales de sécurité et de transport de fonds ; ensuite, d'effectuer un diagnostic global de toutes les questions de sécurité dans le transport des espèces - pièces et billets - dans l'ensemble de la filière fiduciaire ; enfin, de formuler, au vu de ces expertises et de l'analyse des législations européennes, les propositions qui lui paraissent susceptibles d'assurer une sécurité plus grande des personnels, de la circulation des espèces sur le territoire et de permettre la mise en oeuvre, dans les meilleures conditions, de la loi du 10 juillet 2000 et des textes réglementaires.
Le groupe de travail interministériel a rendu récemment ses conclusions. Affirmant que la sécurité des hommes doit prévaloir sur toute autre considération, il préconise la généralisation progressive du recours aux nouvelles technologies de neutralisation ou de destruction de valeurs afin de créer une dynamique globale de moindre violence et de plus grande dissuasion. Il soutient que les investigations qu'il a conduites n'ont pas permis de déceler, en l'état, de failles susceptibles de remettre en cause la confiance dans ces dispositifs. Enfin, il présente le recours à ces nouvelles technologies comme un socle commun de protection qui doit être considéré comme autosuffisant mais non exclusif éventuellement d'autres modes complémentaires. Le blindage des véhicules, l'armement des convoyeurs sont autant de modes complémentaires qui, bien sûr, pourront être maintenus.
Le Gouvernement, soucieux de parvenir à un système optimal de protection des convoyeurs de fonds, procédera à l'examen détaillé des propositions de la mission, en concertation avec l'ensemble de la filière du transport de fonds. A l'issue de cette démarche qui va être engagée dans les prochaines semaines, les textes en vigueur seront, le cas échéant, modifiés.
Pour ce qui concerne les aménagements des locaux desservis par les entreprises de transport de fonds, les donneurs d'ordre disposent jusqu'au 31 décembre 2003 d'un délai pour leur permettre de réaliser les travaux nécessaires, sous le contrôle des commissions départementales pour la sécurité des transports de fonds. Les textes en vigueur prévoient les conditions d'urbanisme qui s'imposent dans chaque dossier. Un bilan global sera effectué.
Enfin, s'agissant de la politique de recrutement des sociétés de transport de fonds le Gouvernement n'a nullement l'intention de contraindre, de quelque manière que ce soit, des acteurs économiques qui exercent leur activité dans un contexte de libre entreprise. Il observe cependant qu'une approche globale de la question fait ressortir que les différentes modalités de transport de fonds sont susceptibles de favoriser l'emploi et que les emplois liés à la sécurité vont connaître une progression significative si le choix est fait de la protection maximale de la sécurité des convoyeurs de fonds.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le ministre, tout d'abord, il me semble que votre réponse est contradictoire : d'un côté, vous ne vous opposeriez pas, au nom de la libre entreprise, aux licenciements et aux plans sociaux dans les différentes entreprises de transport de fonds, et, d'un autre côté, vous semblez reconnaître qu'il faudrait augmenter les effectifs pour assurer la sécurité des convoyeurs. Je ne vois pas comment lever cette contradiction.
Je note par ailleurs que, comme vous le savez, les gendarmes s'inquiètent du nombre croissant d'agressions commises à l'encontre des transporteurs de fonds en véhicule léger banalisé, piloté par un homme seul, sans protection et sans limitation du nombre de conteneurs embarqués et des valeurs transportées.
Vous avez cité des chiffres concernant le transport en fourgons blindés, qui existent depuis longtemps, et en voitures banalisées, qui sont récentes. Mais il est difficile d'établir une comparaison entre ces deux modes de transport puisque 95 % des transports de fonds sont réalisés par véhicules blindés alors que 5 % seulement le sont par véhicules banalisés. Si cette proportion était inversée, il faudrait compter 250 attaques contre les véhicules légers et non plus 13 et 20 contre les véhicules blindés, comme c'est le cas aujourd'hui. La voiture banalisée représente donc un danger sérieux.
En ce qui concerne le transport des fonds sur les voies piétonnes en centre-villes il est étrange que le permis de construire initial ou modifié soit nécessaire pour réaliser les travaux. Il convient d'alléger la procédure pour que les élus puissent contraindre les donneurs d'ordres, notamment les banques, les grandes surfaces et les magasins à réaliser des travaux lourds parfois, mais absolument nécessaires.
Monsieur le ministre, j'ai bien noté que vous rendiez hommage au travail des transporteurs de fonds, mais au-delà des paroles, il faudra des actes pour que le nombre des assassinats diminue.
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