Question de M. LAFFITTE Pierre (Alpes-Maritimes - RDSE) publiée le 08/11/2002

M. Pierre Laffitte attire l'attention de Mme la ministre de la défense sur les dépenses de recherche et de développement militaire. Les dépenses de recherche et de développement du département de la défense des Etats-Unis croissent régulièrement même lorsque le budget militaire de ce pays était en décroissance. En France, les dépenses de recherche et de développement au contraire décroissent fortement depuis de nombreuses années. Cette récession est d'autant plus grave que la sophistication croissante des méthodes et moyens militaires implique une logistique et des méthodes élaborées qui nécessitent sur terre, dans l'espace et sur mer beaucoup de recherche et de développement. Le ministre peut-il donner une indication sur le sursaut nécessaire massif rendu désormais possible par la croissance du budget et la volonté d'engager des programmes dans ce domaine tant au niveau français que bilatéral ou multilatéral européen. C'est indispensable pour la crédibilité de la stratégie de la France et de l'Europe. C'est tout aussi nécessaire pour éviter que les entreprises de haute technologie européennes soient défavorisées. Elles ne bénéficient pas des retombées de la recherche militaire " duale " qui est pratiquée largement outre Atlantique et qui profite tout particulièrement les industries spatiales, aéronautiques, informatiques et microélectroniques, qui conditionnent pour une large part la puissance des économies contemporaines.

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Réponse du Ministère de la défense publiée le 15/01/2003

Réponse apportée en séance publique le 14/01/2003

M. Pierre Laffitte. Madame la ministre, je me réjouis, comme la majorité de notre assemblée, de l'augmentation du budget de la défense pour l'année 2003. Ma question porte essentiellement sur la partie recherche et développement de celui-ci.
Depuis dix-sept ans, je rapporte pour avis le budget de la recherche au nom de la commission des affaires culturelles et je suis régulièrement amené à constater que, contrairement à ce qui se passe outre-Atlantique, la part du budget militaire consacrée à la recherche diminue. C'est assez curieux, car la sophistication croissante des fonctions de défense devrait normalement s'accompagner d'une sophistication croissante des armes, et donc d'un accroissement des dépenses de recherche et de développement.
J'ai demandé, à l'occasion de la préparation de mes rapports, leurs avis aux responsables de la direction générale de l'armement, la DGA, et à plusieurs hauts responsables militaires, qui m'ont déclaré préférer acheter « sur étagères » certains produits et services. Bien entendu, ils procèdent aussi à des développements internes et collaborent avec le Commissariat à l'énergie atomique et le Centre national d'études spatiales, mais, d'une façon générale, ils ne considèrent pas que la notion de recherche duale puisse être appliquée en France, faute surtout de crédits mais aussi parce que cette notion ne correspond pas à notre politique.
Madame la ministre, ma question est très simple : compte tenu de la nécessité de renforcer le développement et la recherche dans le domaine militaire, envisagez-vous d'opter pour une stratégie et pour une politique différentes ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le président, puisqu'il s'agit de la première séance du Sénat cette année, permettez-moi, en mon nom personnel et au nom du Gouvernement, d'adresser mes voeux pour 2003 aux membres de la Haute Assemblée.
Monsieur Laffitte, la recherche et la préparation de l'avenir sont en effet essentielles, et elles le sont tout particulièrement en matière de défense. Vous avez donc parfaitement raison : alors que nous entrons dans une programmation de production - nous en reparlerons cet après-midi puisque le Sénat entamera l'examen du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 -, il est plus que jamais nécessaire de faire un effort.
Nous devons toujours nous projeter dans l'avenir et, je tiens à vous rassurer, la recherche et la préparation de l'avenir sont bien une priorité de mon ministère, priorité qui se traduira très concrètement dans la loi de programmation militaire puisque j'ai décidé d'inscrire dans celle-ci un effort financier significatif sur les cinq ans à venir, soit 3,8 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation de plus de 16 % par rapport à la précédente loi de programmation militaire.
Grâce à cet effort, le différentiel entre le budget de la France et celui de la Grande-Bretagne par exemple sera pratiquement ramené à zéro au cours de la programmation. Bien entendu, nous serons encore loin de l'effort financier qui est réalisé par les Etats-Unis en la matière, mais nos pays n'ont pas non plus la même taille !
Je veux cependant vous faire remarquer que le différentiel qui a toujours existé ne nous a pas empêché d'être très performants dans divers domaines. Il suffit à cet égard de citer Airbus et Ariane, exemples qui montrent que nous sommes capables d'être en tête, même si globalement nos crédits sont moins importants.
Cela signifie simplement que nous sommes obligés de mieux cibler notre effort de recherche.
Un travail prospectif à trente ans, réactualisé chaque année, nous permet d'identifier les technologies qui nous seront nécessaires et, ainsi, de les inscrire dans le développement des futurs programmes. L'une des caractéristiques des programmes du ministère de la défense est qu'ils s'étalent souvent sur quinze ou vingt ans, et que nous sommes obligés de nous projeter très loin dans l'avenir.
L'accent est mis sur les technologies qui concourent aux moyens de communication, d'observation et de renseignement. Il est en effet essentiel pour notre indépendance nationale en matière de défense de disposer des éléments d'information qui nous permettent d'établir notre jugement et de faire nos choix.
Un effort portera aussi sur les systèmes de commandement et de moyens, autres éléments qui nous permettent d'être maîtres de notre politique de défense.
D'autres systèmes de force font également l'objet d'une attention toute particulière : la préparation de l'amélioration à mi-vie du M 51, la capacité antimissiles balistiques ou encore la furtivité des avions et des drones, qui devient une exigence dans les conflits modernes.
Enfin, si nous avons moins de crédits, nous devons les affecter de manière optimale. De ce point de vue, j'ai demandé à la DGA d'étudier avec les industriels les moyens d'optimiser les crédits puis de me faire des propositions.
Bien entendu, nous ne travaillons pas seulement dans le cadre national. Il est important de mettre nos efforts en synergie avec ceux des autres pays européens.
Dans le cadre européen d'une stratégie globale et cohérente indispensable et du programme baptisé European Technology Acquisition Program, un large partenariat a été instauré avec les industriels en mesure de concevoir des systèmes et d'y contribuer en tant qu'équipementiers.
Cette démarche s'appuie sur une étude conjointe qui a été lancée pour clarifier les besoins capacitaires de l'Europe à l'horizon de 2020, puis pour nous permettre d'identifier et de mettre en oeuvre les systèmes qui répondront aux besoins d'une défense nationale et européenne.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Madame la ministre, votre réponse me confirme que nous nous trouvons à un tournant.
Nous sommes à huit jours du quarantième anniversaire du traité de l'Elysée signé par le général de Gaulle et le chancelier Adenauer - je m'honore d'ailleurs d'avoir reçu le prix de Gaulle-Adenauer - et il serait particulièrement intéressant qu'à cette occasion puisse être relancé en faveur de la recherche militaire européenne - terme pour l'instant banni des discours bruxellois - le moteur franco-allemand, d'autant que, dans ce domaine, la Grande-Bretagne a, pour une fois, une ligne de pensée militaire assez proche de la nôtre. Nous pouvons donc envisager de réunir au moins quatre ou cinq grands pays européens.
Cela nous permettrait non seulement de renforcer la sécurité du programme Galileo, que notre gouvernement a eu le mérite d'appuyer fortement, mais aussi de développer ce qui a fait la force de l'Amérique. On ne sait pas assez en effet que, pour la Silicon Valley comme pour la région de Boston, tout est parti de contrats avec le Département de la défense : ce sont ces contrats militaires qui ont permis de relancer la machine économique et stratégique.
Après tout, l'Europe est aussi puissante que les Etats-Unis sur le plan économique, et nous devrions tirer parti de cet état de fait. Quoi qu'il en soit, je vous remercie, madame la ministre, de votre prise de position ferme et claire.

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