Question de M. SIDO Bruno (Haute-Marne - RPR) publiée le 16/10/2002
M. Bruno Sido appelle l'attention de M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées sur les problèmes liés aux installations de distributeurs-échangeurs de seringues. La mise en place de ces appareils soulève deux interrogations principales par rapport à leur efficacité et à la sécurité. Concernant leur efficacité, en terme de santé publique, y a-t-il aujourd'hui des évaluations officielles et précises attestant d'une baisse des cas d'hépatite B ou de HIV, liée à leur installation ? N'est-il pas plus dangereux pour la population des toxicomanes qui y a recours, de les laisser livrés à eux-mêmes sans aucun encadrement, contrairement à celui qu'ils peuvent trouver dans les points d'accueil-écoute, et alors même que l'objectif d'engager une démarche de désintoxication ne doit jamais être négligée. Ces appareils ne peuvent-ils pas être considérés comme une tolérance de la drogue voire une incitation pour les jeunes ? En termes de sécurité, ne constituent-ils pas un risque de voir s'installer des zones de non-droit, préjudiciables tant pour les intéressés que pour le reste de la population ? Récemment un incident dramatique s'est produit à Chaumont, où la personne chargée d'approvisionner le distributeur a été agressée et criblée de coups de piqûres de seringues usagées. Elle est actuellement sous trithérapie. Il souhaiterait donc connaître sa position sur ce sujet, et lui demande si ces expériences ne lui paraissent pas aller dans le sens inverse de la politique de prévention qu'il a engagée concomitamment avec les ministères de l'éducation nationale et de l'intérieur ?
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Réponse du Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées publiée le 06/11/2002
Réponse apportée en séance publique le 05/11/2002
M. Bruno Sido. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un incident dramatique s'est récemment produit à Chaumont, en Haute-Marne : un employé du centre hospitalier, qui devait assurer le réapprovisionnement d'un distributeur-échangeur de seringues mis à la diposition des toxicomanes a été agressé et criblé, par ses racketteurs, de coups de piqûres avec des seringues usagées.
Cette personne est actuellement sous trithérapie d'urgence. Il reste à espérer que la victime n'a pas contracté une hépatite B ou le sida.
La question qui se pose, monsieur le ministre, est de savoir si cet incident ne deviendrait pas un fait divers dans l'hypothèe où l'implantation de ces distributeurs devrait se généraliser. Pour la Haute-Marne, par exemple, il pourrait être question d'en installer dans les deux autres plus grandes villes du département : Saint-Dizier et Langres. Le risque de voir se développer une zone d'insécurité, voire de violence, autour d'eux n'est pas hypothétique.
Au-delà de ce type de conséquences, la question de la sécurité se pose également en d'autres termes. Que penser, en effet, de l'impact psychologique que peuvent avoir ces distributeurs sur les plus influençables et les plus jeunes, en particulier par rapport à l'usage de la drogue ? N'est-ce pas mettre leur sécurité en danger que de leur offrir ainsi une facilité, voire une tentation à la consommation ?
Cette mise en libre-service ne signifie-t-elle pas tolérance ? Cette banalisation de l'usage de la drogue n'est-elle pas totalement contradictoire avec les campagnes de prévention orchestrées par votre propre ministère et ceux de l'éducation nationale et de l'intérieur ?
On connaît trop maintenant les ravages à court et à long terme de la drogue pour la mettre, indirectement, j'en conviens, en distributeur automatique gratuit.
Concernant maintenant les toxicomanes à l'usage desquels ces distributeurs sont destinés, dans un souci de protection contre des contaminations par l'échange de seringues, je me demande si on n'assurerait pas mieux leur protection en favorisant plutôt les points d'accueil-écoute, où un dialogue peut être établi et une démarche de désintoxication engagée.
La population toxicomane, que l'on pourrait qualifier d'« installée », précisément parce qu'elle a le souci de sa protection, sait qu'elle peut y trouver, là ou dans les pharmacies, des seringues neuves. Les psychiatres, qui suivent cette question dans le cadre de la commission d'établissement départementale se sont montrés très réservés.
Au fond, ces distributeurs automatiques ne sont-ils pas un aveu d'impuissance, voire un quasi-abandon des drogués, livrés à eux-mêmes ? Ne signifient-ils pas : « On ne peut plus rien pour vous, inutile de discuter, plus la peine de chercher à vous connaître, à vous canaliser, à vous soigner, à vous aider » ?
Monsieur le ministre, je ne doute pas que vous aurez à coeur de rompre avec ces procédés cache-misère qui ont été très utilisés par l'ancien gouvernement, mais qui, loin de traiter la maladie, ne peuvent que l'empirer. Je vous remercie de me préciser vos intentions dans ce domaine, qui reste malheureusement d'actualité.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le sénateur, vous avez appelé mon attention sur l'efficacité et sur la sécurité des installations de distributeurs-échangeurs de seringues. Comme vous le savez, l'accès au matériel d'injection stérile est l'une des composantes de la politique de réduction des risques en faveur des usagers de drogues.
Cette politique de réduction des risques a pour objectif principal la prévention des contaminations par le virus du sida et par les virus des hépatites. Elle constitue un premier palier de la prise en charge des usagers de drogue en visant à promouvoir des comportements de prévention. Elle impose une politique réaliste fondée sur la mise à disposition de seringues en vente libre.
L'accès au matériel d'injection stérile passe en effet par la vente en pharmacie, qui date de 1988 et qui constitue la plus importante source d'approvisionnement pour ces publics, soit par la délivrance de seringues par des automates échangeurs implantés sur la façade d'une pharmacie, sur la voie publique ou sur le mur d'un hôpital. Dans ce dernier cas, leur gestion incombe aux communes ou, mieux, est confiée à des associations intervenant dans le champ de la réduction des risques. Un bilan national dressé en 2001 recensait 227 automates échangeurs installés en France.
Depuis la mise en place de cette politique et des outils sur lesquels elle s'appuie, de nombreuses communes - j'en veux pour preuve mon expérience personnelle à Marseille, où le maire Jean-Claude Gaudin m'a confié, depuis sept ans, la lutte contre le sida et contre la toxicomanie - se sont investies dans cette approche des usagers de drogues. La décision d'implanter un distributeur-échangeur de matériel d'injection stérile se fait bien évidemment sur la base d'un consensus entre les élus, les services de police, la justice, l'éducation nationale, le conseil de l'ordre des médecins et des pharmaciens, les associations, les services sanitaires et les comités de quartier.
Je rappelle que la stratégie de la politique de réduction des risques est une stratégie concertée, qui repose, outre sur les automates distributeurs-échangeurs, sur les pharmacies d'officine, sur les programmes d'échanges de seringues mobiles, comme le bus itinérant de Médecins du monde à Marseille, et sur les lieux d'accueil pour substitution, auxquels vous avez fait allusion.
Cette politique doit impliquer une prise en charge permanente avec des entretiens et une surveillance assurés, par exemple, par des associations, comme, à Marseille, Médecins du monde et SOS Drogue International.
Il existe une évaluation annuelle de l'impact de cette politique : à Marseille, c'est l'Observatoire régional de la santé, qui est mandaté par la ville.
Les résultats sont largement positifs : grâce aux distributeurs-échangeurs de seringues, une population qui, jusqu'à présent, n'avait pas accès à la filière de soins peut désormais en bénéficier. Ces résultats sont tellement positifs qu'ils ont fait l'objet d'une publication internationale en langue anglaise dans une revue de médecine américaine.
L'impact de la politique de réduction des risques en termes de santé publique a été également évalué dans plusieurs études réalisées par l'Institut de veille sanitaire, qui publie régulièrement des indicateurs de suivi de cette politique.
Habituellement, c'est un apport très important, à condition de savoir avec intelligence accorder surveillance et prévention.
Enfin, l'accident qui s'est produit à Chaumont, que vous évoquez dans votre question et qui - je le comprends - vous trouble, semble être un cas isolé, sur lequel mes services n'ont même pas été alertés.
Monsieur le sénateur, il est vrai qu'on ne fait accepter par la population un distributeur-échangeur de seringues que lorsque la décision de l'implanter a été prise par l'ensemble des acteurs et que cet automate est pris en charge par la collectivité. Dès lors - je peux vous l'assurer - la police veille aux alentours ; mais l'automate n'est pas un piège à toxicomanes.
Par ailleurs, je précise que les associations en profitent pour nouer le dialogue et faire entrer les toxicomanes dans la filière de soins. J'ai bien sûr demandé à la direction générale de la santé de procéder, pour le cas particulier que vous avez évoqué, à une enquête dont je serai très heureux, monsieur le sénateur, de vous donner les conclusions.
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. Je vous remercie, monsieur le ministre, de toutes les précisions que vous venez d'apporter.
Mon intention n'était pas du tout de remettre en cause cette noble politique de la prévention des risques engendrés par l'utilisation de seringues usagées. Je souhaitais uniquement attirer votre intention sur l'insécurité qui peut régner sur la place d'une gare, par exemple, loin de toute pharmacie, de tout hôpital, à une heure du matin, surtout quand des toxicomanes veulent s'emparer de tout le stock de seringues neuves quand le responsable les apporte.
Ainsi, à Chaumont, un employé a été sauvagement agressé et criblé de piqûres avec des seringues usagées par des toxicomanes. J'espère qu'il n'y aura pas un nouveau cas de sida ou d'hépatite B en France !
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