Question de M. ABOUT Nicolas (Yvelines - RI) publiée le 10/10/2002
M. Nicolas About attire l'attention de M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées sur l'ordonnance du tribunal administratif de Lille, en date du 25 août 2002, faisant injonction au centre hospitalier régional hôtel-Dieu de Valenciennes de ne pas procéder à l'administration forcée d'une transfusion sanguine à une femme témoin de Jéhovah. La façon dont la presse a rendu compte de cette décision et l'interprétation pour le moins hâtive qui en a été donnée ont suscité une vive émotion parmi les professionnels de santé et, semble-t-il, dans l'opinion publique. Les articles de presse ont en effet qualifié cette décision du tribunal administratif de " revirement jurisprudentiel " dans la mesure où elle privilégiait, disait-on, le respect absolu de la volonté du patient sur les obligations déontologiques du médecin. En réalité, cette interprétation ne résiste pas à l'examen de la décision du tribunal administratif, laquelle s'inscrit au contraire dans le droit-fil de la jurisprudence administrative en la matière. L'ordonnance considère en effet que l'absence de respect de la volonté de la patiente par l'hôpital constitue une atteinte " grave et manifestement illégale (aux) libertés fondamentales " dans la mesure où il n'est pas allégué par l'hôpital que " le refus de respecter la volonté de la patiente serait rendu nécessaire du fait d'un danger immédiat pour sa vie ". Cette ordonnance a de fait été rendue dans un contexte très particulier marqué par l'absence des représentants de l'hôpital à l'audience. Dans ce contexte de grande confusion, il apparaît aujourd'hui indispensable de dire le droit, de dissiper les malentendus et de rassurer pleinement les professionnels de santé. C'est pourquoi il lui demande de confirmer que cette décision de justice ne modifie en rien le droit positif, lequel prévoit que lorsque le pronostic vital d'un patient est en jeu et lorsque l'urgence commande de prendre une décision, il ne saurait être reproché à un médecin de pratiquer les actes indispensables à la survie du patient, au besoin contre la volonté de ce dernier.
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Réponse du Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées publiée le 06/11/2002
Réponse apportée en séance publique le 05/11/2002
M. Nicolas About. Je vous remercie, monsieur le ministre de la santé, d'être venu ce matin répondre personnellement à ma question, d'autant plus importante à mes yeux qu'elle concerne un combat dans lequel je suis engagé depuis de nombreuses années.
Je voudrais attirer votre attention sur l'ordonnance du tribunal administratif de Lille en date du 25 août 2002, faisant injonction au centre hospitalier régional Hôtel-Dieu de Valenciennes de ne pas procéder à l'administration forcée d'une transfusion sanguine à une femme témoin de Jéhovah.
La façon dont la presse a rendu compte de cette décision et l'interprétation pour le moins hâtive qui en a été donnée ont suscité une vive émotion parmi les professionnels de santé et, semble-t-il, dans l'opinion publique.
Les articles de presse ont en effet qualifié cette décision du tribunal administratif de « revirement jurisprudentiel » dans la mesure où elle privilégiait, disait-on, le respect absolu de la volonté du patient sur les obligations déontologiques du médecin.
En réalité, cette interprétation ne résiste pas à l'examen de la décision du tribunal administratif, laquelle s'inscrit au contraire dans le droit-fil de la jurisprudence administrative en la matière, et je dois dire que les magistrats ont été les premiers surpris de l'interprétation faite par la presse.
L'ordonnance considère en effet que l'absence de respect de la volonté de la patiente par l'hôpital constitue une atteinte « grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales » dans la mesure où il n'est pas allégué par l'hôpital que « le refus de respecter la volonté de la patiente serait rendu nécessaire du fait d'un danger immédiat pour sa vie ». Cette ordonnance a de fait été rendue dans un contexte très particulier marqué par l'absence des représentants de l'hôpital à l'audience.
Dans ce contexte de grande confusion, il apparaît aujourd'hui indispensable de dire le droit, de dissiper les malentendus et de rassurer pleinement les professionnels de santé.
C'est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, de confirmer que cette décision de justice ne modifie en rien le droit positif, lequel prévoit que, lorsque le pronostic vital d'un patient est en jeu et lorsque l'urgence commande de prendre une décision, il ne saurait être reproché à un médecin de pratiquer les actes indispensables à la survie du patient, au besoin contre la volonté de ce dernier.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le sénateur, l'ordonnance du 25 août dernier faisant injonction à l'établissement hospitalier de Valenciennes de ne pas procéder à une transfusion contre le gré d'une patiente s'inscrit, vous avez raison de le souligner, dans le droit-fil de la jurisprudence.
L'ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat du 16 août 2002, dont on a beaucoup moins parlé, allait par exemple dans le même sens.
Pour motiver sa décision dans cette affaire, le juge d'appel avait ainsi clairement posé que « le droit pour le patient majeur de donner, lorsqu'il se trouve en l'état de l'exprimer, son consentement à un traitement médical revêt le caractère d'une liberté fondamentale ».
Il ajoutait que, toutefois, « les médecins ne portent pas à cette liberté fondamentale une atteinte grave et illégale lorsque, après avoir tout mis en oeuvre pour convaincre un patient d'accepter les soins indispensables, ils accomplissent, dans le but de le sauver, un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état ».
Il précisait en outre « qu'un tel acte, lorsqu'il est réalisé dans ces conditions, n'est pas incompatible avec les exigences qui découlent de la Convention européenne des droits de l'homme ».
La jurisprudence parvient donc à ménager un subtil équilibre entre les obligations et les devoirs en conflit dans des situations d'une extrême difficulté pour le médecin qui doit, en conscience, adopter une attitude compatible avec le droit et les devoirs de sa mission.
Si la jurisprudence est claire, force est de constater que, dans sa rédaction issue de la loi de mars 2002, l'article L. 1111-4 du code de la santé publique n'envisage aucune dérogation explicite à l'obligation du médecin de respecter la volonté du malade dès lors que celui-ci est en état de l'exprimer. A la lettre, le texte oblige donc le médecin à tenter de convaincre le patient et, à défaut, à s'incliner devant son refus.
Mais comment pourrait-on exiger en droit, sous la menace de sanctions, qu'un médecin laisse mourir un malade sans rien tenter pour le sauver, dans le seul but de respecter sa volonté ?
Quel sens pourrait-on donner à la loi pénale qui incrimine et punit l'abstention de porter secours à une personne en péril si un médecin devait être sanctionné malgré son devoir d'agir dans le respect de la vie pour avoir porté secours à un malade en danger de mort ?
La conscience du médecin qui agit dans le respect de la vie rejoint les valeurs essentielles qui fondent l'édifice des principes et droits fondamentaux de la personne.
Il ne manque donc pas d'arguments dans le droit pour expliquer l'absence de faute du médecin qui tente de sauver son patient en danger de mort, malgré son refus du traitement susceptible de lui sauver la vie. C'est bien ce que traduit la jurisprudence ; et la décision de justice du 25 août à laquelle vous avez fait référence ne constitue donc nullement un revirement jurisprudentiel.
M. le président. La parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Je vous remercie, monsieur le ministre, de la confirmation que vous venez de nous donner.
Nous étions confrontés à un conflit de droit entre deux textes. Il est important que M. Jean-François Mattei nous ait rappelé la mesure qu'il convient d'avoir dans ce domaine.
Si, à l'avenir, la jurisprudence devait être modifiée par une interprétation abusive de la loi Kouchner, peut-être, à ce moment-là, serait-il temps pour le Parlement de se ressaisir et d'amender le texte de façon à protéger aussi bien la liberté de conscience que le contenu éthique de la profession de médecin.
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