Question de M. MOREIGNE Michel (Creuse - SOC) publiée le 29/08/2002

M. Michel Moreigne souhaite attirer l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la responsabilité d'un exécutif de collectivité locale agissant comme directeur de publication d'un bulletin d'information générale, en particulier lorsqu'il s'agit du bulletin d'information générale sur les réalisations et la gestion du conseil général d'un département. L'article 9 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a inséré après l'article L. 3121-24 du code général des collectivités territoriales un article L. 3121-24-1 qui prévoit que, lorsque le département diffuse, sous quelque forme que ce soit, un bulletin d'information générale sur les réalisations et la gestion du conseil général, un espace est réservé à l'expression des groupes d'élus. Les modalités d'application de cette disposition sont définies par le règlement intérieur. En application de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans sa rédaction issue de l'article 9 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986, toute publication de presse doit avoir un directeur de publication. Cette fonction de directeur de publication est assurée par l'exécutif départemental lorsque le département diffuse un bulletin d'information générale. Les dispositions de l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoient notamment que les directeurs de publications, quelles que soient leurs professions ou leurs dénominations, sont passibles comme auteurs principaux des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse. Ces dispositions peuvent-elles recevoir application à raison de la teneur de propos insérés dans un espace réservé à un groupe d'élus dans le bulletin d'information générale d'un département ? Dans la négative, est-ce que seule la responsabilité pénale des auteurs d'un article paraissant dans cet espace pourrait, le cas échéant, être recherchée par des tiers ?

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 07/11/2002

Le garde des sceaux a l'honneur de faire connaître à l'honorable parlementaire que les dispositions de l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881 prévoient un dispositif de responsabilité pénale " en cascade ", en cas de commission d'infractions pénales prévues et réprimées par les dispositions de la loi du 29 juillet 1881. Ces règles, à caractère général, valent pour tous types d'ouvrages ou de journaux français susceptibles de recevoir une diffusion publique, qu'ils émanent d'un organe privé comme d'une structure publique telle qu'une collectivité territoriale. Il résulte de ce dispositif que le responsable principal des infractions pénales commises par voie de presse écrite, quel que soit le support, est le directeur de la publication de l'écrit litigieux, les auteurs du document ne pouvant être poursuivis qu'en qualité de complices. Cette présomption de responsabilité pénale ne porte toutefois que sur la preuve de la responsabilité, et n'écarte pas la possibilité pour un directeur de publication de faire la preuve de sa bonne foi. Cependant, la démonstration par un directeur de publication de son absence de responsabilité pénale est très rarement retenue par la jurisprudence : ainsi, un directeur de publication ne saurait s'affranchir de toute responsabilité en prétendant qu'il n'a pas eu connaissance de l'article litigieux, que celui-ci a été inséré à son insu, ou encore qu'il n'a pu s'opposer à sa publication. Néanmoins, la Cour de cassation a admis, à l'occasion de plusieurs décisions (Cass. crim, 14 nov. 1989-17 oct. 1995), dans l'hypothèse d'annonces légales ou de publications au Journal officiel prévues par la loi, que l'ordre de la loi pouvait justifier la diffusion d'un écrit litigieux, dans la mesure où le directeur de publication ne pouvait, sans enfreindre la loi, se dispenser d'une telle publication, et qu'un tel ordre, sur le fondement de l'article 122-4 du code pénal, l'exonérait de toute responsabilité pénale. Toutefois, sans que la question posée par l'honorable parlementaire ne paraisse avoir fait l'objet d'un débat parlementaire lors de l'adoption de ce texte, il ne semble pas, sous réserve de l'appréciation souveraine des juridictions du fond, que les dispositions de l'article L. 3121-24-1 du code général des collectivités territoriales puissent constituer l'ordre de la loi retenu par la jurisprudence. En effet, cet article ne semble pas imposer au président du conseil général, directeur d'une publication d'un bulletin d'informations générales sur les réalisations et la gestion du conseil général, de publier un document donné susceptible de tomber par son propos sous le coup de la loi, mais prévoit simplement qu'un espace doit être réservé, dans la brochure, à l'expression des groupes d'élus. Enfin, ce texte a prévu qu'un règlement intérieur devait fixer les modalités pratiques de diffusion des écrits des groupes élus dans la brochure départementale. A la lumière de la jurisprudence, bien que la notion de loi ait pu être entendue dans un sens large, il ne semble pas qu'un tel règlement intérieur puisse être considéré comme faisant partie des dispositions législatives ou réglementaires, au sens des articles 34 et 37 de la Constitution, susceptibles de constituer l'ordre de la loi prévu par les dispositions de l'article 122-4 du code pénal.

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