Question de Mme BEAUDEAU Marie-Claude (Val-d'Oise - CRC) publiée le 10/01/2002

Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de Mme le secrétaire d'Etat au logement sur la gravité de la décision prise par la Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts (SCIC) et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) de procéder au déconventionnement de 60 000 logements. Elle lui fait part de l'émotion, de la colère de milliers de locataires concernés, confrontés à la suppression de l'aide personnalisée au logement et donc à l'augmentation des loyers. Elle lui demande de lui faire connaître les mesures qu'elle envisage pour annuler de telles décisions contraires à une politique de logement social, et leur substituer une politique radicalement nouvelle d'entretien, de modernisation et de réhabilitation des appartements, des immeubles et de leurs abords et le blocage des loyers de ces logements.

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Réponse du ministère : Logement publiée le 06/02/2002

Réponse apportée en séance publique le 05/02/2002

Mme Marie-Claude Beaudeau. Nous ne doutons pas, madame la secrétaire d'Etat, de votre volonté d'agir en faveur du logement social. Et pourtant, la situation créée par la décision qui a été prise par la Caisse des dépôts et consignations et sa filiale la Société centrale immobilière de la caisse des dépôts - SCIC - de procéder au déconventionnement d'environ 60 000 logements sociaux ne correspond nullement à une politique favorable au logement social.
Pour mémoire, je rappelle qu'une décision prise en 1985 par le ministre de l'économie et des finances de l'époque, M. Laurent Fabius, en faveur du conventionnement du patrimoine social de la SCIC avait permis, puisque c'était le but du conventionnement, la réalisation de travaux de réhabilitation et de modernisation. Il faut rappeler que cette décision de conventionnement s'était accompagnée, pour les locataires, d'augmentations de loyer très importantes, atténuées il est vrai, pour les plus démunis, par le bénéfice de l'aide personnalisée au logement.
Aujourd'hui, la SCIC aurait donc l'intention de déconventionner plusieurs dizaines de milliers de logements. Or cette décision s'accompagnerait, d'une part, de la perte de l'APL, qui permet le maintien dans leur logement de milliers de familles dont les revenus déclinent, d'autre part, de la sortie, du patrimoine social des communes, de logements qui représentent parfois de 10 à 40 % de ce patrimoine locatif. En disant cela, je pense évidemment, vous le savez, à l'application de la loi SRU.
Pourquoi une telle décision ? D'autres décisions sont-elles aujourd'hui prévues ?
Les logements seront mis en vente, mais qui pourra les acheter ? Ce ne seront, en règle générale, ni les organismes d'HLM ni les bailleurs sociaux, dont les difficultés sont connues de tous. En revanche, des sociétés privées, des banques, des gestionnaires de fonds de pension semblent intéressés.
J'ai relevé, dans le rapport du comité de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations de 1999, cette affirmation : « La SCIC a reçu une proposition d'achat concernant 4 110 logements situés en Ile-de-France, représentant 2,2 % de l'ensemble du patrimoine, dont 40 % sont conventionnés. La SCIC estime le rapport financier à 1 milliard de francs. L'acheteur pourrait être une société constituée par la Deutsche Bank, la Lone Star, qui est un fonds de pension américain.
M. Balligand avait précisé à l'époque : « L'opération envisagée permettra d'investir dans un patrimoine mieux situé et plus rentable. » Je voudrais que vous confirmiez ou que vous infirmiez cette réorientation, madame la secrétaire d'Etat.
Pour faire preuve d'objectivité, il me faut ajouter que M. le président du comité de surveillance se montre, dit encore le rapport, extrêmement réservé sur cette opération et exprime son désaccord avec le processus mis en oeuvre.
Depuis le dépôt de ce rapport, le déconventionnement s'est poursuivi, de même que les tentatives de vente de logements.
Nous aimerions savoir combien de logements ont été concernés en 2000 et 2001 et combien le seront en 2002 même si, dans la crainte des prochaines élections, des reports de conventionnement sont envisagés dans certaines circonscriptions.
Confirmez-vous, madame la secrétaire d'Etat, l'intention de vendre 60 000 logements, dont 12 000 dans le seul Val-d'Oise ?
J'ai également sous les yeux un courrier que vous avez adressé aux maires en date du 12 octobre 2001, dans lequel vous écrivez que l'estimation des prix devra être faite par les services des domaines. Cette affirmation est d'ailleurs contestée par M. le directeur de la Caisse des dépôts et consignations, qui estime, lui, dans un autre courrier, que « d'éventuelles transactions ne pourraient se concrétiser qu'à des valeurs économiques de marché, prenant en compte les critères de valorisation usuels entre un acquéreur et un vendeur ».
Vous voyez que la Caisse des dépôts et consignations est loin de défendre l'intérêt du logement social ! Elle cherche de l'argent, des liquidités, et ne s'en cache pas. Ne s'agirait-il pas, en fait, de constituer une partie du capital de la banque Alliance créée par la fusion de la Caisse des dépôts et consignations et de la Caisse d'épargne ? Un pôle financier nouvellement constitué ne cherche-t-il à se renforcer pour s'engager dans des activités spéculatives privées, comme la construction de bureaux ou de logements de standing ?
Une autre utilisation de l'argent provenant des loyers des locataires ne serait-elle pas préférable ?
Je vous demande donc de me faire savoir, madame la secrétaire d'Etat, si le Gouvernement est prêt à arrêter le déconventionnement et la vente des logements de la SCIC, en procédant naturellement au reconventionnement des logements déjà dégagés, mais aussi à mener, avec les fonds disponibles, une campagne de réhabilitation des cités de la SCIC, des immeubles, des logements, des abords, de tous les équipements, pour renforcer la sécurité des locataires et accomplir un effort de restructuration et de résidentialisation.
Madame la secrétaire d'Etat, êtes-vous prête à conduire une telle politique qui serait, elle, une véritable politique en faveur du logement social ?
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au logement. Madame la sénatrice, je suis moi-même très préoccupée par l'attitude de la Caisse des dépôts et consignations et de la SCIC concernant le déconventionnement de ces 60 000 logements.
Vous le savez, de nombreuses discussions avaient eu lieu entre le Gouvernement et la SCIC pour veiller au maintien d'un certain nombre de logements dans le parc social, sauf là où les collectivités sociales elles-mêmes souhaitaient favoriser la diversification. Mais il s'agissait tout de même de faire en sorte que l'essentiel des logements concernés soient maintenus dans le parc social.
A l'époque, mon prédécesseur avait déjà pu constater que tel n'était manifestement pas l'état d'esprit de la Caisse des dépôts et consignations.
Le législateur a introduit, lors du débat sur le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbain, le principe de la pérennisation du conventionnement. Cependant, le Conseil constitutionnel, le 7 décembre 2000, a censuré cette disposition, de sorte qu'aucun outil législatif n'existe aujourd'hui pour imposer à la SCIC le maintien des logements en question dans le parc social.
Compte tenu de cet obstacle juridique, je me suis attachée à essayer de convaincre la Caisse des dépôts et consignations et la SCIC. J'ai ainsi obtenu, dans un premier temps, de la part de M. Lebègue, une sorte d'accord moral sur l'idée suivante : s'il se trouvait un bailleur social prêt à racheter le patrimoine au prix normal, à savoir celui des domaines, la SCIC pouvait de dessaisir de son bien sans être spoliée et le patrimoine visé demeurait dans le parc social.
Malheureusement, force est de constater que la logique qui prévaut aujourd'hui à la SCIC relève plutôt de l'économie de marché. En l'occurrence, la Caisse des dépôts et consignations et la SCIC oublient que ce patrimoine a été largement constitué avec des fonds publics et que ce sont les fonds du livret A, gérés par la Caisse des dépôts, qui financent le logement social.
J'entends encore M. Lebègue clamer, avec beaucoup de vibrato dans la voix, l'importance de la décentralisation et du lien avec les élus locaux, le rôle éminent du logement social. Mais je constate qu'il se fiche éperdument de l'avis des élus locaux et que le logement social, à l'évidence, ne l'intéresse que quand il rapporte ! La Caisse des dépôts et consignations se conduit en fait comme un Etat dans l'Etat et je suis personnellement scandalisée par cette attitude.
Néanmoins, madame la sénatrice, je n'ai qu'une stratégie possible, celle du dialogue et de la conviction. Nous nous sommes efforcés, commune par commune - nous avons commencé avec Sarcelles - d'appuyer les maires en faisant peser le plus possible l'autorité de l'Etat pour convaincre la Caisse des dépôts d'adopter une pratique beaucoup plus conforme à la volonté de maintien du logement social et aux besoins exprimés par les élus locaux, souvent ratifiés par les plans locaux de l'habitat.
Hélas ! en dépit de pressions importantes, la Caisse des dépôts n'a rien changé à ses habitudes. C'est pourquoi je ne vois plus qu'une tactique : les crédits publics à la SCIC seront bloqués tant que nous n'aurons pas obtenu de sa part une attitude responsable, conforme à l'attente des élus locaux et correspondant à la volonté de maintenir le parc social.
Je crois, madame la sénatrice, que je vous devais ce discours de vérité.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la secrétaire d'Etat, je connais votre position pour avoir assisté à plusieurs réunions organisées avant l'été 2001 et pour avoir entendu les maires qui se sont entretenus de cette question avec vous. Vous me permettez néanmoins de m'étonner : la Caisse des dépôts et consignations n'est-elle pas placée sous l'autorité du Gouvernement ?
Vous me confirmez que l'on ne peut pas revenir sur les déconventionnements. Quelle stratégie reste-t-il alors ? A Sarcelles, celle pour laquelle ont opté les locataires, qui sont extrêmement mécontents, c'est l'action. Pour commencer, ils vont refuser tout nouveau bail qui pourrait leur être proposé.
Voilà quelques jours, à Sarcelles, au cours d'une réunion qui rassemblait environ 250 locataires, quelqu'un a fait remarquer que les obstacles juridiques pouvaient aussi être levés grâce à l'action. Les gens y sont prêts !
Cela étant, le Gouvernement a, lui aussi, son rôle à jouer. Vous nous avez fait part de votre intention de bloquer les crédits de la SCIC tant qu'un changement d'attitude n'aura pas été observé. Il reste que des déconventionnements ont déjà eu lieu. La SCIC doit aujourd'hui assurer l'entretien des bâtiments dont elle a la charge. A Sarcelles, ces bâtiments ont maintenant quarante-cinq ans. Les locataires estiment même que, compte tenu de tout l'argent qu'ils ont versé et du peu de travaux qui a été effectué dans des logements qui sont très inconfortables, et ne répondent absolument plus aux normes, la SCIC devrait leur rendre de l'argent !
Madame la secrétaire d'Etat, connaissant votre souci de savoir ce qui se passe sur le terrain, je vous invite à assister à une des réunions qui ont lieu dans le Val-d'Oise pour voir comment, avec les locataires, nous allons faire plier la SCIC. Vous avez aujourd'hui besoin de l'action des locataires pour faire pression sur la SCIC, mais les locataires ont besoin de vous et du soutien du Gouvernement.
Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat. A Sarcelles, une négociation a été engagée entre la municipalité et la SCIC. Nous avons ainsi réussi à faire reculer la volonté de déconventionnement. Cette stratégie très progressive peut être utilisée dans les autres collectivités locales. C'est pourquoi nous engageons ce même dialogue pour les autres communes.
L'action des locataires doit converger le plus possible avec celle des élus locaux de Sarcelles, qui se sont beaucoup mobilisés dans cette affaire et qui ont joué pleinement leur rôle pour défendre les intérêts des habitants. Il ne faudrait pas que les énergies se dispersent si nous voulons être en situation de peser sur le cours des événements.
J'ajoute que la SCIC est l'un des rares organismes d'HLM à ne pas avoir suivi les recommandations en matière de hausse de loyers puisqu'elle a augmenté les siens, en moyenne, de 3,5 % à 4 %, contre environ 2 % pour l'ensemble des organismes. Nous avons donc toutes les raisons d'être alertés par le comportement actuel de la SCIC.

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