Question de M. HYEST Jean-Jacques (Seine-et-Marne - UC) publiée le 14/12/2001
Question posée en séance publique le 13/12/2001
M. Jean-Jacques Hyest. Ma question s'adresse à Mme le garde des sceaux.
Dans le climat général qui règne en matière de sécurité, tout a commencé avec les déclarations, voilà quelques semaines, du responsable d'une organisation professionnelle de magistrats qui justifiaient une décision de justice par une loi votée par le Parlement, alors même que celle-ci n'était pas encore applicable.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. Depuis, trop de dysfonctionnements sont survenus dans la mise oeuvre de la loi relative à la présomption d'innocence. Certains finiraient par laisser croire qu'il ne s'agirait pas de coïncidences. (Murmures de protestation sur les travées socialistes.)
Je n'ai pas mis la loi en cause, veuillez m'écouter jusqu'au bout !
M. Jacques Mahéas. On n'a rien dit !
M. Jean-Jacques Hyest. Depuis lors, le procureur général de la Cour de cassation, un avocat général, et maintenant le syndicat des commissaires de police se prononcent pour la suppression du juge d'instruction. Que va-t-on nous dire demain ?
Plus grave encore, une autre organisation de magistrats, tenant récemment congrès, a demandé à ses membres de contester la loi relative à la sécurité quoditienne et d'en contrarier la mise en oeuvre.
La justice serait, selon les membres cette organisation, tombée bien bas. N'est-ce pas de leur fait ?
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. En dehors des protestations de pure forme, l'autorité de la loi et de l'Etat peut-elle être bafouée impunément par ceux qui sont chargés de la défendre ?
Madame le garde des sceaux, quand et de quelle manière allez-vous réagir à ces crises successives qui mettent en péril notre système judiciaire et la crédibilité de nos institutions ?
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Réponse du ministère : Justice publiée le 14/12/2001
Réponse apportée en séance publique le 13/12/2001
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, je vous réponds d'autant plus volontiers et sur un ton d'autant plus posé que, ayant voté la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, vous avez eu le courage, au moment où elle était tant critiquée, de reprendre la plume et de la défendre de nouveau. Pour autant, vous et moi sommes d'accord que toute loi comporte des inconvénients et qu'il faut toujours avoir le souci de l'évaluer.
Je vous remercie de votre prise de position publique ; actuellement, c'est rare. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Dominique Braye. Heureusement que c'est rare !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Comme vous, j'ai été particulièrement choquée d'entendre deux organisations professionnelles de magistrats, l'une à propos de la loi portant sur la présomption d'innocence et les droits des victimes, l'autre à propos de la loi relative à la sécurité quotidienne, affirmer de la première qu'elle était mauvaise - en employant même, dans certains hebdomadaires, des mots plus durs - et de la seconde qu'elle était inapplicable et ne devrait pas être appliquée.
Au nom de la Constitution, il est hors de question de remettre ce texte en cause, puisque vous comme moi, comme l'ensemble des sénateurs, nous avons pu constater que les attendus de 1995 du Conseil constitutionnel ont été parfaitement respectés.
Les magistrats, qui sont les garants de la démocratie - car l'institution judiciaire, indépendante, porte le droit - ne peuvent pas remettre en cause l'action du législateur, et je l'ai dit avec suffisamment de clarté pour qu'ils l'aient compris. Cependant, je le précisais déjà lundi matin, je ne peux pas traduire une organisation syndicale devant le Conseil supérieur de la magistrature, car je ne peux saisir celui-ci que de cas individuels de désobéissance ou de défaillance.
Vous le savez, je ne tais aucun dysfonctionnement, et cette attitude est si rare - et peut-être nouvelle ! - à la Chancellerie que certains ont cru que je ne parlais que des dysfonctionnements de la justice.
Il s'en produit parfois - sur mille décisions prises, j'en ai recensé quatre : le taux est faible ! -, mais l'ensemble des magistrats de ce pays restent extrêmement sérieux, méthodiques et rigoureux ; et, s'il nous arrive de porter un jugement sur une erreur d'appréciation, nous ne mettons pas en cause l'ensemble des magistrats.
Il serait très dangereux pour notre démocratie, pour ce que nous sommes en train de bâtir ensemble, à l'échelon européen, avec l'appui de toutes les formations politiques du Sénat - ne serait-ce qu'au sujet du mandat d'arrêt européen -, de déstabiliser l'institution judiciaire ; car, ce faisant, nous déstabiliserions l'Etat et la démocratie.
Autant vous me trouverez toujours présente pour demander des sanctions disciplinaires lorsque je le peux - et je le fais - et autant, au nom de la transparence, je rendrai public tout dysfonctionnement, autant j'entends que l'on respecte la loi.
Respectons la loi, respectons aussi l'indépendance de la justice et de l'institution judiciaire. Toute déstabilisation, surtout si elle provient, comme c'est parfois le cas, de parlementaires, est dangereuse.
Monsieur Hyest, vous avez montré l'exemple, et c'est pourquoi je salue, à travers vous, l'ensemble des sénatrices et des sénateurs qui ont un comportement raisonnable.
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