Question de M. TRÉGOUËT René (Rhône - RPR) publiée le 01/02/2001
M. René Trégouët rappelle à l'attention de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, la décision prise par le gouvernement belge d'approuver la dépénalisation de la possession de cannabis pour usage personnel, entraînant la fin des poursuites judiciaires contre les consommateurs. Le point de vue du gouvernement belge est qu'il n'y a pas de raison objective de traiter le cannabis d'une manière différente de l'alcool ou le tabac. Une autre raison évoquée couramment est que la prohibition des drogues génère des trafics et pousse à la mise en place d'organisations mafieuses. Le coût sanitaire de la prise en charge des risques liés à cette consommation étant également jugé important. Il lui demande à cette occasion de bien vouloir lui donner la position officielle du Gouvernement sur ce sujet.
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Réponse du ministère : Justice publiée le 12/04/2001
Réponse. - La garde des sceaux, ministre de la justice, a l'honneur de faire connaître à l'honorable parlementaire qu'à bien des égards, il lui apparaît que les options développées par le gouvernement belge dans son projet de réforme rejoignent celles que le gouvernement français a adoptées dans le cadre du plan triennal 1999-2001 de lutte contre la drogue et la toxicomanie et de prévention des dépendances. En effet, le projet du gouvernement belge semble aller au-delà de la seule dépénalisation, sous certaines conditions seulement, de l'usage de cannabis, puisqu'il propose la mise en uvre d'une politique globale en matière de drogues et toxicomanies et, au plan pénal, le développement de la prise en charge sanitaire et sociale des usagers, ainsi que l'extension des mesures alternatives aux poursuites. A cet égard, il convient de rappeler que le plan triennal adopté le 16 juin 1999 par le comité interministériel de lutte contre la drogue et de prévention des dépendances a certes réaffirmé l'interdit légal pesant sur les substances classées comme stupéfiants, mais également insisté pour que le rappel de cet interdit aille de pair avec une démarche de prévention. Ce plan a assigné à la politique pénale un double objectif : lutter contre la délinquance associée à la consommation de drogues, dont on ne peut nier que la collectivité et l'entourage du toxicomane subissent les effets, et intégrer les préoccupations de santé publique, de manière à assurer l'orientation sanitaire et sociale des usagers. Deux circulaires du garde des sceaux en date du 17 juin 1999 ont fixé les orientations générales de la politique pénale en la matière : l'une est relative à la lutte contre le trafic de stupéfiants et traduit la volonté du gouvernement de se doter des outils nécessaires pour mieux réprimer les filières d'approvisionnement et pour atteindre plus efficacement le patrimoine des trafiquants. L'autre circulaire est relative aux réponses judiciaires aux toxicomanies et repose sur une approche pragmatique de la problématique des usagers de la drogue, dans le respect de la sécurité comme de la santé publique. Dans cette optique, il est demandé aux procureurs de la République de diversifier les réponses judiciaires à tous les stades de la procédure. Cette politique pénale n'est pas centrée sur le produit en cause mais sur le rapport qu'entretient l'usager avec le produit, notamment lorsque sa consommation cause des dommages sanitaires ou sociaux pour l'usager même ou pour autrui. Ainsi, les procureurs de la République sont invités à tenir compte de la distinction entre les comportements d'usage occasionnel (fréquents pour les usagers de cannabis), d'abus ou de dépendance, pour opérer un choix entre les différentes options procédurales, telles que le classement sans suite avec rappel à la loi, le classement sans suite avec orientation vers une structure permettant une prise en charge sanitaire ou sociale, l'injonction thérapeutique, ou encore la poursuite devant le tribunal correctionnel. Il convient de préciser que dans ce dernier cas, les impératifs de santé sont pris en compte, puisque, entre l'engagement des poursuites et la date de l'audience, doit être proposée à la personne concernée la possibilité d'amorcer une démarche de soins ou d'insertion. De même, au moment de la phase de jugement, la circulaire insiste sur la nécessité de recourir plus fréquemment à des aménagements de peine, tels l'ajournement du prononcé de la peine ou les peines alternatives à l'incarcération. Il est apparu, à la lumière du premier rapport annuel de politique pénale, présenté lors de la réunion des procureurs généraux le 22 avril 2000, que l'ensemble des parquets ont adapté leur politique pénale en matière d'usage de stupéfiants dans le sens préconisé par la circulaire du 17 juin 1999, et se sont notamment résolument engagés dans un travail de partenariat avec les acteurs locaux de la lutte contre la drogue et la toxicomanie (structures sanitaires et sociales, associations de réinsertion, associations de contrôle judiciaire ...), dans le cadre du dispositif des conventions départementales d'objectifs. Ce dispositif leur a notamment permis de mettre en place, à destination des personnes placées sous main de justice qui présentent les comportements addictifs à l'égard de produits classés stupéfiants ou de produits licites comme l'alcool, des permanences d'orientation, permettant d'appréhender la personnalité de l'usager ainsi que ses besoins en termes de soins et d'insertion. L'évaluation de la politique pénale conduite en matière de lutte contre la drogue et la toxicomanie se poursuit cette année afin de s'assurer dans le long terme de la conformité des pratiques mises en uvre localement avec les orientations générales définies par la circulaire de 1999. D'autre part, la loi du 23 juin 1999 a prévu que la procédure dite de composition pénale, désormais en vigueur depuis le décret du 29 janvier 2001, est applicable à l'infraction d'usage de produits stupéfiants : cette nouvelle modalité de réponse pénale trouve d'autant plus sa place dans la politique pénale ci-dessus décrite qu'elle a vocation à entraîner, à son terme, l'extinction de l'action publique. En conséquence, la législation française actuelle comme les pratiques judiciaires permettent d'ores et déjà d'apporter des réponses judiciaires diversifiées et adaptées à l'usage de produits stupéfiants, les poursuites devant les tribunaux correctionnels n'étant réservées qu'à une minorité des usagers : en 1999, sur un total de 80 000 usagers interpellés, 3 282 personnes ont été condamnées pour l'infraction unique d'usage de produits stupéfiants. Enfin, une analyse approfondie permet d'observer, au-delà de la diversité des législations européennes sur l'usage de drogues, une certaine harmonisation des pratiques, caractérisée par la volonté de mener conjointement des politiques de prévention et de réduction des risques et de lutte contre les trafics.
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