Question de Mme BEAUDEAU Marie-Claude (Val-d'Oise - CRC) publiée le 03/10/2000
Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de Mme le secrétaire d'Etat au tourisme sur les difficultés rencontrées par l'industrie touristique pour pouvoir embaucher les travailleurs saisonniers dont elle a besoin. Le début de la saison touristique démontre le manque de plusieurs dizaines de milliers d'employés saisonniers. Elle lui demande de lui faire connaître le bilan des emplois, des demandes non satisfaites par région pour l'an 2000 et son analyse sur cette situation. Elle lui demande de lui faire connaître la suite donnée aux propositions faites par le rapport établi en janvier 1999 par Anicet Le Pors pour l'amélioration de la situation sociale et professionnelle des travailleurs saisonniers du tourisme, ainsi que l'application du programme d'action en quinze mesures adopté par le conseil des ministres du 9 février 2000. Elle lui demande de lui faire connaître les mesures prises ou envisagées en faveur de l'augmentation des salaires, du logement, de la protection sociale et du bénéfice de la médecine de travail qui s'imposent pour les employés saisonniers en vue de favoriser le recrutement dont la France a besoin dans l'industrie du tourisme.
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Réponse du ministère : Tourisme publiée le 11/10/2000
Réponse apportée en séance publique le 10/10/2000
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 862, adressée à Mme le
secrétaire d'Etat au tourisme.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la secrétaire d'Etat, cette année, 73 millions de touristes
ont visité notre pays. L'an prochain, ils seront 75 millions, voire davantage. La France est bien
devenue la première destination touristique au monde. Il s'agit d'un secteur porteur pour notre
économie. Le chiffre d'affaires dépasse les 700 milliards de francs. L'excédent de la balance des
paiements s'est accru, l'an dernier, de 19 milliards de francs, pour avoisiner les 100 milliards de
francs.
Ces chiffres sont ceux que vous avez publiés, madame la secrétaire d'Etat, et tel n'est pas l'objet de
mon propos.
Aujourd'hui, je voudrais attirer votre attention sur les créations d'emplois induites par ces évolutions ;
35 000 emplois supplémentaires déclarés ont été créés ces dernières années.
Parmi les deux millions d'emplois connus et reconnus, beaucoup sont de caractère saisonnier - au
moins 25 % - et l'on note une tendance à l'accroissement.
Or, madame la secrétaire d'Etat, on estime à plusieurs dizaines de milliers la pénurie de
main-d'oeuvre, s'agissant notamment des saisonniers dans le secteur de l'hôtellerie et de la
restauration.
Des mesures nouvelles doivent donc être prises. En deux mois et demi, des employeurs veulent
réaliser un chiffre d'affaires et des bénéfices commerciaux d'une année ou presque. Des organisations
syndicales ont pu dénoncer, chiffres à l'appui, que des établissements de « front de mer » emploient
des jeunes mal payés accomplissant plus de cent heures de travail par semaine.
Cette anarchie doit être corrigée. N'oublions pas que, dans certaines régions à forte concentration
touristique, 40 % de jeunes travaillent sans être déclarés, sans parler des « extras » devenant
permanents et non déclarés. La plupart du temps, les heures supplémentaires ne sont ni reconnues
ni payées.
Sur le plan social, cette situation est grave et non fatale. Il n'est qu'à voir la situation des garçons de
café et l'acquis des luttes qui, avec la loi Godard de 1934, a stabilisé une profession et garanti les
qualités d'un service reconnu comme étant le meilleur du monde.
Il est également de l'intérêt du tourisme français d'avoir des personnels mieux payés, qualifiés,
disponibles car disposant de garanties de salaires, et ayant la volonté de réussir dans leur travail.
La France s'honore qu'un Français ait été déclaré meilleur sommelier du monde, voilà quelques jours.
Il est aussi important d'avoir des saisonniers disponibles et qualifiés.
Le problème d'un statut est posé.
Un statut signifie des réponses s'agissant du logement, du respect du droit au travail, de l'ouverture
des droits à la formation, de la protection sociale, d'autant plus que beaucoup de saisonniers ont une
activité temporaire de travail substitutive à leurs vacances.
Ces problèmes - je le sais, madame la secrétaire d'Etat - ne vous ont pas échappé. Vous avez
demandé à Anicet Le Pors, ancien ministre, conseiller d'Etat, d'établir un rapport et des propositions
tendant à l'amélioration de la situation sociale et professionnelle des salariés du tourisme. Les
propositions, articulées autour des grands thèmes de vie des salariés du tourisme, répondent à l'idée
majeure selon laquelle le progrès social doit accompagner le développement du secteur touristique.
Trente et une propositions ont été dégagées. Je sais également que, le 9 février dernier, vous avez fait
adopter en conseil des ministres deux séries de propositions concernant le logement et les droits
sociaux de cette profession.
Aujourd'hui, nous pouvons faire le point. Peu de progrès ont été réalisés, madame la secrétaire d'Etat,
et ce non parce que vos propositions étaient mauvaises, mais tout simplement parce qu'elles sont
restées volontairement ignorées des employeurs et de l'inspection du travail isolée, dotée de peu
d'effectifs et sans moyens réels.
A l'issue de cette année où la pénurie des saisonniers s'est amplifiée, il faut être réaliste : il convient
de définir non pas seulement des objectifs multiples et généreux, mais bien plus des règles
contraignantes à faire appliquer par les employeurs.
Imaginez un saisonnier quittant sa banlieue de Paris, de Lyon ou de Lille pour aller travailler trois
mois à Nice, l'été, et trois mois à Courchevel, l'hiver. Il devrait pouvoir partir avec un contrat en poche,
au lieu de simples promesses paternalistes, démenties le plus souvent par les faits, et avec ses frais
de transport payés. Ce contrat doit définir des conditions de logement, de rémunération, et celles
dans lesquelles se déroulera, par exemple, la visite médicale du travail. Il doit être exprimé sous
forme de contraintes fortes pour les employeurs et constituer un engagement réciproque avec
signature des deux parties.
Ce contrat doit définir clairement la saisonnalité en termes de durée minimale et maximale. Il doit
inclure la garantie d'ouverture du droit au chômage, une clause automatique de reconduction pour les
saisons suivantes.
Le contrat doit reconnaître, bien entendu, le paiement obligatoire des heures supplémentaires.
La médecine du travail doit s'exercer par site. Les conditions de logement doivent être définies à la
signature du contrat et elles ne doivent pas prendre la forme d'un hébergement précaire.
Je n'oublie pas, madame la secrétaire d'Etat, que le code du travail, dans son article L. 122-1-1 3°,
précise que « le caractère saisonnier d'un emploi concerne des tâches normalement appelées à se
répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes
de vie collectifs » et « que de l'ensemble des contrats de travail qui se sont succédé pendant plus de
quatre ans sans autre interruption que la période des congés scolaires résulte une relation de travail
d'une durée globale indéterminée ».
Compte tenu du développement du tourisme en France, cette relation de travail ne mérite-t-elle pas
d'être mieux définie et de permettre l'octroi de garanties valables et de qualité nouvelle pour le
saisonnier et l'employeur ?
La saison d'hiver approche, madame la sécrétaire d'Etat. Ne pourriez-vous pas, avant l'ouverture de la
saison d'hiver, rappeler avec fermeté les employeurs à leurs obligations et à leurs devoirs ?
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme. Comme vous venez de le rappeler,
madame la sénatrice, l'industrie touristique, notamment le secteur des hôtels, cafés et restaurants,
est confrontée à un déficit de main-d'oeuvre que l'on peut estimer à près de 60 000 emplois.
Parmi les raisons de ces difficultés de recrutement, deux raisons m'apparaissent essentielles : d'une
part, les niveaux de rémunération insuffisants ; d'autre part, les contraintes liées au temps et aux
conditions de travail.
En ce qui concerne les saisonniers, il faut ajouter à ces deux raisons la précarité de l'emploi.
Aujourd'hui les jeunes, qui forment l'essentiel de la population des saisonniers, peuvent, du fait de la
baisse du chômage, accéder à d'autres types d'emploi.
Pour développer la qualité de l'industrie touristique et assurer son développement, j'ai fait de
l'amélioration des conditions de vie et de travail des saisonniers un axe essentiel de ma politique.
Comme vous le soulignez, j'ai, à la suite du rapport de M. Le Pors, présenté quinze mesures en
conseil des ministres, le 9 février 2000.
Outre son caractère concret, cette démarche nouvelle a aussi une valeur pédagogique. Il est en effet
important de démontrer que la précarité des emplois touristiques n'est pas une fatalité.
Ces mesures sont axées autour de l'amélioration des conditions de logement et des droits sociaux
des salariés. Certaines d'entre elles ont déjà reçu un début de mise en oeuvre et de prise en compte.
Ainsi, s'agissant des logements saisonniers, l'importante proposition faite par mon collègue Louis
Besson de lancer un programme de 6 000 logements, avec une aide financière à l'appui, a abouti à la
préparation de projets à Villard-de-Lans, à Belle-Ile-en-Mer, à Ouessant et à Nice, ou dans les
départements des Pyrénées-Orientales ou de la Savoie.
Pour ce qui concerne la médecine du travail, il est à noter que ma collègue Martine Aubry a demandé
aux services médicaux du travail de mieux prendre en compte les saisonniers, en leur faisant passer
la visite médicale avant la saison.
Les contrôles de l'inspection du travail ont été renforcés sur le littoral et en montagne.
Un accord a été conclu dans le secteur des remontées mécaniques en vue de sécuriser les
saisonniers et de les indemniser en cas d'aléa climatique, notamment d'absence de neige.
Des réponses locales telles que les groupements d'employeurs, l'échange entre sites de salariés
saisonniers ont été mises en oeuvre, notamment dans le Morbihan et la Savoie.
A ce jour, des initiatives sont prises dans vingt-cinq départements. J'ai par ailleurs demandé aux
préfets, dès le mois de juin, de réunir l'ensemble des partenaires sociaux. Un certain nombre d'entre
eux se sont déjà engagés, ce qui se traduit par la mise en oeuvre de programmes locaux, sur le
logement, la formation et l'information des salariés, notamment dans les Hautes-Alpes, à
Villard-de-Lans, etc.
J'entends aussi développer la formation et la qualification des saisonniers afin de leur permettre
d'accéder de façon pérenne à un emploi dans le secteur touristique. C'est le sens de la convention
que je signerai prochainement avec ma collègue Nicole Péry et le conseil régional de la région
Provence-Alpes-Côte d'Azur.
La validation des acquis professionnels, élément extrêmement important de reconnaissance des
qualifications, sera examinée au Parlement au début du mois de janvier 2001.
Dans le cadre de la loi portant réduction du temps de travail de janvier 2000, le contrat de travail
intermittent a été créé afin de permettre la fédéralisation des contrats des salariés saisonniers.
Des maisons de saisonniers seront prochainement mises en place, les deux premières dans les
gorges de l'Ardèche et à Serre-Chevalier.
Pour accélérer et pérenniser davantage la mise en oeuvre de ces mesures et de dispositions
particulières selon les bassins d'emplois - la réalité n'est pas la même en montagne et sur le littoral -,
je souhaite la mise en place de commissions départementales de l'emploi touristique chargées
d'aider à leur application. Ces commissions seront composées des principaux acteurs de l'industrie
touristique, qu'ils soient employeurs ou salariés.
Enfin, je confierai dans les prochains jours à l'inspection générale du tourisme une mission visant à
évaluer la mise en oeuvre concrète des mesures annoncées le 9 février 2000.
Si ce plan d'action est mis en place trop lentement, selon vous, je rappelle que, dans le passé,
aucune mesure n'a jamais été mise en place en faveur des saisonniers du tourisme. Il y a donc,
madame la sénatrice, une dynamique nouvelle sur le terrain.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la secrétaire d'Etat, je connais votre attachement à la
défense du monde du travail en général et des salariés permanents ou saisonniers du tourisme en
particulier. Ce matin, vous l'avez exprimé une fois de plus devant le Sénat.
Toutefois, aujourd'hui, des besoins nouveaux en matière de main-d'oeuvre s'expriment : vous
reconnaissez vous-même que 60 000 emplois auraient pu être créés dans le domaine du tourisme.
Je suis persuadée que les employeurs, c'est-à-dire les hôteliers et les restaurateurs, mais aussi les
entreprises du bâtiment, se rendent compte que, s'ils veulent trouver de la main-d'oeuvre, il leur faudra
revoir les conditions de travail et de rémunération qui sont pratiquées actuellement. Des dispositions
nouvelles doivent être définies et, surtout, vous le savez bien, appliquées.
Mon intervention ne visait pas ce matin à contester votre action, madame la secrétaire d'Etat, même
s'il faut reconnaître que des insuffisances subsistent encore en matière de réglementation du travail
des saisonniers.
Ce matin, la presse faisait encore état d'une reprise du chômage durant l'été et de l'aggravation de la
situation du travail des jeunes, avec des inégalités dénoncées et reconnues. Mais les mesures à
prendre ne relèvent pas, je le sais, de votre seule responsabilité, elles concernent l'ensemble des
ministères.
En tout cas, je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d'Etat.
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