Question de Mme BORVO COHEN-SEAT Nicole (Paris - CRC) publiée le 22/06/2000

Mme Nicole Borvo attire l'attention de M. le Premier ministre sur la directive européenne 98/44/CE du 6 juillet 1998. Cette directive européenne prévoit de breveter le génome humain. Pourtant le génome humain est un patrimoine commun de l'humanité. Le corps humain, y compris ses gènes, n'est pas une marchandise. D'ailleurs, la collecte du sang échappe, en France notamment, au mercantilisme, démontrant que l'on peut faire autrement que ce qui est prévu par cette directive. En conséquence, on ne peut que s'opposer à l'appropriation des séquences géniques qu'induit la logique des brevets. Nombre de chefs d'Etat dont le Président des Etats-Unis et le Premier ministre de Grande-Bretagne se sont prononcés en ce sens. En France, madame le ministre de la justice a déclaré que la directive en question était incompatible avec les lois françaises. Quant au comité consultatif national d'éthique il se déclare en désaccord avec cette directive. A partir du 1er juillet 2000 la France va présider l'Union européenne. Que compte-t-elle faire pour abroger ces textes ? Ne serait-il pas juste également de suspendre toute attribution de brevets sur le génome ? Par ailleurs, la question des nouvelles technologies du vivant impliquant de nouveaux dangers, ne serait-il pas logique qu'un débat public et transparent s'établisse en vue d'établir de nouvelles limites qui garantiraient l'intégrité de la personne humaine ?

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Transmise au ministère : Recherche


Réponse du ministère : Recherche publiée le 10/05/2001

Réponse. - Les progrès très rapides des sciences du vivant nous confrontent tous aux mêmes interrogations et à une demande d'éthique fortement exprimée par la société, face à un bouleversement qui est perçu de manière ambivalente comme étant à la fois un facteur de progrès et un facteur d'inquiétude. Ainsi, les découvertes sur le génome humain devraient avoir des effets très positifs pour l'invention de nouvelles thérapies et de nouveaux médicaments. Mais, en même temps, elles font craindre parfois des manipulations de la substance vivante avec le clonage reproductif, ou une commercialisation, une " marchandisation " du vivant. Il faut rappeler que la position du Gouvernement français a toujours été celle de la non-appropriation du corps humain. Le débat concernant la brevetabilité des séquences du génome humain a débuté en 1991, un an après le lancement du programme " Génome humain ". A cette date, un chercheur d'un organisme public américain revendiquait deux brevets couvrant plus de 1 300 séquences d'ADN dont la fonction et les applications n'étaient pas décrites. De nombreux scientifiques, notamment français et américains, s'opposèrent à cette démarche. La position du Gouvernement français fut exemplaire et, à la fin de l'année 1991, le ministre de la recherche français s'opposait dans la revue scientifique internationale " Science " à la brevetabilité des séquences d'ADN de fonction inconnue et, par là même, à la mainmise américaine sur le génome humain. En 1993, sous la pression internationale, les demandes initiales de brevets étaient retirées. Entre 1992 et 1996, des rapports portant sur la brevetabilité du vivant ont été publiés par l'Académie des sciences en France et par l'Académie de médecine aux Etats-Unis. Cette position franco-américaine était rejointe par l'Allemagne et la Fondation Wellcome Trust en Grande-Bretagne. A partir de 1996, les directeurs de centres de séquençage du Consortium public génome humain ont été obligés de s'engager à publier immédiatement les séquences d'ADN identifiées (règle des Bermudes). Cependant, au cours de la même période, et afin de créer une jurisprudence en la matière, plusieurs petites entreprises américaines de génomique ont déposé des demandes de brevets similaires aux demandes initiales (séquences d'ADN dont la fonction et les applications potentielles n'étaient pas décrites). Pour éviter que le droit en sciences du vivant ne puisse dépendre que de la jurisprudence anglosaxonne, l'Europe a voulu créer un cadre juridique fixant les règles de la brevetabilité du vivant et a publié la directive européenne 98/44/CE du 6 juillet 1998. Afin de mettre en cohérence le droit européen avec le droit français, le secrétaire d'Etat à l'industrie a sollicité l'avis du comité national consultatif d'éthique, avis qui fut rendu en juin dernier. Très récemment, sous la présidence de la France et à son initiative, le G 8 Recherche (Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Russie, Japon, Canada, France) élargi à l'Inde, à la Chine, au Mexique et au Brésil s'est réuni les 24 et 25 juin dernier. Le ministre de la recherche français a souhaité que les douze ministres de la recherche puissent notamment réfléchir ensemble sur la brevetabilité du génome humain. Cette réunion était précédée d'un colloque international intitulé " Sciences du vivant, éthique et société ", au cours duquel le ministre de la recherche français a réaffirmé les principes fondamentaux de la position française : principe de non-commercialisation du corps humain ; principe du libre accès à la connaissance du gène ; principe de partage de cette connaissance. Le ministre de la recherche a également souligné que le décodage du génome humain ouvre des perspectives considérables pour la prévention ou le traitement de certaines maladies, jusqu'ici incurables, et pour l'invention de nouveaux médicaments. La mise au point d'outils diagnostiques et de moyens thérapeutiques doit donc pouvoir être brevetée afin de faciliter les découvertes et les progrès. Ces deux principes sont compatibles. Il existe un consensus pour dire que les données brutes du séquençage du génome humain et la simple annotation de la séquence d'ADN ne sont pas brevetables, mais que l'identification précise de la fonction d'un gène conduisant à la mise au point d'outils diagnostiques ou de moyens thérapeutiques est brevetable. La directive européenne stipule à l'alinéa 2 que " l'application industrielle d'une séquence ou d'une séquence partielle d'un gène doit être concrètement exposée dans la demande de brevets ". Pour conclure, le ministre de la recherche est favorable à la transposition de la directive européenne et à la brevetabilité des procédés. Le Gouvernement a cependant saisi la Commission européenne d'une demande de confirmation de son interprétation du texte de la directive 98/44/CE. Dans une première réponse à l'automne 2000, la Commission européenne a confirmé l'interprétation française concernant le caractère concret de la description nécessaire au brevet. Dans une nouvelle lettre à la Commission européenne datée du 7 février 2001, la France souhaite une précision renouvelée concernant l'article 5, alinéa 2 et alinéa 3. Dans l'attente d'une réponse sur ce point, les travaux préparatoires à la transposition du reste de la directive ont été engagés. Par ailleurs, les services juridiques des départements ministériels étudient les possibilités d'étendre à l'ensemble du vivant les systèmes de licences obligatoires dans l'intérêt de la santé actuellement limitées au domaine du médicament.

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