Question de M. DEMUYNCK Christian (Seine-Saint-Denis - RPR) publiée le 07/05/1999
M. Christian Demuynck attire l'attention de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les carences du système judiciaire en matière d'atteintes aux représentants de l'ordre public. La généralisation de la violence urbaine s'accompagne d'un rejet inquiétant de toute forme d'autorité. Les forces de police sont, au premier chef, concernées. Elles subissent chaque jour dans l'exercice de leur difficile mission, les manifestations les plus outrageantes. Dernière en date : l'agression de quatre policiers plaignants par les prévenus eux-mêmes lors de la comparution de ces derniers devant la 17e chambre correctionnelle de Bobigny, le 2 février dernier. Cet épisode navrant doit faire réfléchir. Car si, face à cet outrage, l'inaction politique et l'impunité prévalent, comment éviter alors la démoralisation des forces de l'ordre ? Pourtant, notre code pénal n'offre-t-il pas aux juges les moyens d'une sanction ? A terme, qui pourra parler d'égalité de tous les citoyens devant la sécurité ? Il y a donc urgence ! Il lui demande quelles seront les mesures prises par le ministre de la justice pour que l'outrage à un représentant de l'Etat soit mieux sanctionné et les dispositions du code pénal appliquées avec fermeté.
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Réponse du ministère : Fonction publique publiée le 09/06/1999
Réponse apportée en séance publique le 08/06/1999
M. Christian Demuynck. Ma question était en effet destinée à Mme le garde des sceaux, mais puisque c'est M. le
ministre de la fonction publique qui me répondra, c'est à lui que je vais m'adresser.
Je souhaiterais attirer votre attention, monsieur le ministre, sur l'extrême clémence du tribunal de grande instance de
Bobigny face aux atteintes graves dont sont victimes les représentants de l'ordre public, clémence d'autant plus
insupportable que la violence gangrène nos quartiers et que les zones de non-droit prolifèrent dangereusement et à très
grande vitesse.
Les faits sont simples.
Le 2 février dernier, un policier ayant échappé à la mort se retrouvait devant celui qui, en fonçant avec sa voiture, avait
voulu délibérément le tuer, ou du moins le percuter. La victime - je le répète, un policier - et trois de ses collègues venus
le soutenir ont été copieusement insultés par le prévenu et sa famille ainsi que par quelques comparses durant les six
heures qu'il ont dû attendre avant d'être entendus par le magistrat. Il est à noter que, dans ce tribunal, personne n'est
intervenu pour faire cesser ces agissements honteux.
Le 27 février dernier, quatre policiers, dont deux blessés lors d'une interpellation, y étaient entendus dans le cadre du
procès de deux dangereux délinquants, accusés de rébellion, pris armes à la main, pas des lance-pierres mais des
armes de sixième catégorie.
Au cours de l'audience, le juge a affiché un mépris certain vis-à-vis des policiers. Comment ceux-ci sont-ils censés
réagir à des remarques du magistrat du style : « Vous me direz, au moins pendant que vous êtes ici, vous ne faites pas
autre chose. » ?
Quant aux verdicts prononcés dans ces deux affaires, nous croyons à une plaisanterie de mauvais goût : 3 000 francs
d'amende pour rébellion avec armes mais, surtout, six mois avec sursis et 6 000 francs de réparation pour la tentative
d'homicide volontaire !
J'ajoute que, mardi dernier, deux jeunes pris et arrêtés en flagrant délit de braquage par la police, reconnus par la police
et déférés au parquet, ont été relâchés immédiatement !
Je ne vous cacherai pas, monsieur le ministre, la colère des policiers et, surtout, leur sentiment d'humiliation.
Ces jugements du tribunal de Bobigny sont la porte ouverte à tous les abus. Ils déclarent la chasse ouverte aux
policiers, et quand je dis aux « policiers », c'est parce que je suis bien élevé.
Comment, dès lors, éviter l'écoeurement et le découragement des forces de police ? Je rappelle que des policiers qui
doutent, c'est, à terme, la fin de l'égalité de tous devant la sécurité, c'est la loi de la jungle.
Notre code pénal autorise pourtant des sanctions exemplaires. L'Etat dispose des moyens juridiques pour protéger ses
agents. Ma question est très simple : quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour que les outrages et
les violences subis par nos policiers soient sanctionnés avec toute la sévérité qu'ils méritent ?
M. le président. Pour répondre à cette question grave, la parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Monsieur le
sénateur, vous avez bien voulu interroger ma collègue Mme le garde des sceaux sur les carences du système judiciaire
en matière d'atteintes aux représentants de l'ordre public, et elle vous en remercie.
Ne pouvant être présente, car retenue à l'Assemblée nationale, Mme le garde des sceaux m'a chargé de vous apporter
les éléments de réponse qui vont suivre. N'ayant pas entendu l'intégralité de votre propos, elle ne répondra peut-être pas
point par point sur tous les éléments que vous avez évoqués.
En premier lieu, elle tient à vous assurer de toute la détermination des autorités judiciaires à poursuivre sans faille ni
complaisance les outrages dont sont victimes, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leur mission, les
représentants de l'ordre public.
Les dispositions du code pénal apparaissent de nature à permettre une répression efficace et dissuasive de tels
comportements, l'article 433-5 punissant d'une peine de six mois d'emprisonnement et de 50 000 francs l'outrage
adressé à une personne dépositaire de l'autorité publique.
Les juridictions appliquent ce texte avec toute la fermeté nécessaire. Ainsi, suivant les dernières statistiques
disponibles, 9 670 peines ont été prononcées pour des faits d'outrage à agents de la force publique en 1997, dont 3 907
peines d'emprisonnement, à savoir 1 075 peines d'emprisonnement ferme et 2832 peines d'emprisonnement avec
sursis. Le nombre des condamnations est donc en augmentation puisqu'il s'élevait seulement - si je puis dire - à 9 439
en 1996.
En outre, le code pénal retient spécialement comme circonstance aggravante de différents délits d'atteintes volontaires
à l'intégrité de la personne le fait que ces atteintes soient exercées à l'encontre d'un militaire de la gendarmerie ou d'un
fonctionnaire de la police nationale, des douanes ou de l'administration pénitentiaire.
C'est dire si la loi a voulu protéger, par le jeu des qualifications pénales aggravées, ces catégories d'agents publics
confrontés souvent, c'est vrai, à la violence de nos concitoyens.
Le recours, par la quasi-totalité des parquets de France, au traitement en temps réel des procédures pénales a, par
ailleurs, renforcé l'effectivité des poursuites pénales engagées à l'encontre des auteurs de tels délits, qui sont
désormais jugés dans des délais beaucoup plus rapides - c'est important - et par des décisions contradictoires, la
convocation devant le tribunal correctionnel leur étant remise en main propre.
Il ne saurait être question ici, pour des raisons bien compréhensibles par tous, d'évoquer dans le détail l'affaire
particulière à laquelle il est fait référence dans la question posée, et qui concerne quatre fonctionnaires. Mme la
ministre est cependant en mesure de préciser, en se fondant sur les renseignements qui lui ont été fournis par le
parquet compétent, qu'aucune impunité ne peut être invoquée dans cette affaire : les deux auteurs d'outrages ont été
déférés selon la procédure de la comparution immédiate et, après renvoi de la procédure, condamnés par le tribunal
correctionnel de Bobigny, l'un à une peine d'emprisonnement d'un mois avec sursis, l'autre à une amende de 3 000
francs. Voilà un instant, vous avez souligné le fait que ces condamnations vous paraissaient faibles. Sur ce point, nous
sommes dans le domaine d'appréciation des magistrats dans une échelle de peines possibles, dont l'une, je le répète,
peut aller jusqu'à six mois d'emprisonnement.
En conclusion, Mme la ministre souhaite redire devant la Haute Assemblée toute l'attention que l'Etat porte à la
protection de ses agents les plus exposés dans l'exercice quotidien de leur mission.
M. Christian Demuynck. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le ministre, vous avez évoqué la loi, précisant que son application était laissée à
l'appréciation des juges. C'est vrai ! Mais comment allons-nous pouvoir combattre cette délinquance si les policiers ne
sont pas soutenus, si les juges font des commentaires peu amènes à leur endroit et si, par ailleurs, les délinquants ne
sont pas condamnés fermement ?
Le département de la Seine-Saint-Denis connaît une situation absolument dramatique puisque la délinquance y
progresse avec une rapidité vertigineuse, à l'inverse d'ailleurs, des effectifs qui, eux, diminuent. Ainsi, on ne compte plus
les agressions contre des chauffeurs de bus, des agents de la RATP, de la SNCF ou des pompiers. Pourquoi ?
Simplement parce que les délinquants ont un sentiment d'impunité : ils peuvent ainsi « foncer », tenter de renverser,
voire de tuer un policier, ne risquant - vous l'avez dit, monsieur le ministre - que six mois de prison avec sursis. Cela
n'est pas tolérable, cela ne peut pas continuer ainsi ! Vous démoralisez complètement les fonctionnaires de police.
Il faut donc faire quelque chose ! Il faut expliquer aux juges que cela ne peut pas durer et que la justice doit relayer sur
le terrain les policiers. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Je demande la
parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Je ne voudrais
pas que nous restions sur un malentendu.
La question posée par M. Demuynck portait sur la répression d'outrages, notamment verbaux. L'échelle des peines que
j'ai évoquée dans ma réponse faite aux lieu et place de Mme le garde des sceaux visait donc ce type d'agression et non
pas, bien sûr, les violences sur la personne, voire les tentatives de meurtre.
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