Question de M. CHARASSE Michel (Puy-de-Dôme - SOC) publiée le 04/02/1999
M. Michel Charasse indique à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, qu'à la suite d'une récente décision du Conseil constitutionnel relative à la compatibilité d'un traité international avec la Constitution, le Conseil a été conduit à rappeler que nos institutions ne permettent pas à une juridiction internationale d'engager des poursuites à l'encontre de certaines autorités de la République française qui bénéficient d'un régime particulier d'immunité ou de procédure pénale à raison de leurs fonctions et qui ne relèvent pas, de ce fait, du droit commun pénal français. A cette occasion, le Conseil a rappelé que le Président de la République ne pouvait être poursuivi, pendant qu'il est en fonction, que devant la Haute Cour de justice et pour des faits qualifiés de haute trahison, que ceux-ci aient été commis avant ou pendant son mandat. Ce rappel très clair conduit donc logiquement à considérer que, quelle que soit l'origine des poursuites, seule la Haute Cour de justice est compétente pour connaître, pendant toute la durée du mandat du chef de l'Etat, les faits susceptibles d'être imputés au Président de la République, pour les qualifier et pour les juger. Il en résulte donc que les éventuelles procédures en cours au moment de l'élection, ou survenant après elle mais pour des faits antérieurs, doivent être automatiquement suspendues, sans que cette suspension puisse entraîner la prescription, et renvoyées au procureur général près la Haute Cour de justice, à charge pour lui de les porter à la connaissance des assemblées du Parlement, seules habilitées à mettre en oeuvre la procédure de la Haute Cour. Or, à la suite de cette décision du Conseil constitutionnel, qui, aux termes de l'article 62 de la Constitution, s'impose " aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles " à la fois par son contenu mais aussi par les motifs " qui en sont le soutien nécessaire " (décision du Conseil du 16 janvier 1962), plusieurs organes de presse, s'appuyant parfois sur des " sources judiciaires " ont cru pouvoir affirmer que les juridictions pouvaient de toute manière agir comme elles l'entendent - c'est-à-dire sans tenir compte de la décision du Conseil -, et que ce serait finalement à la Cour de cassation d'apprécier s'il convient ou non de respecter l'immunité conférée au Président de la République par nos institutions. Cette prise de position de principe, si elle émane bien des " sources judiciaires ", est particulièrement inquiétante, pour la République et pour la souveraineté nationale, quant à la conception que certains magistrats se feraient des institutions, de la loi et de leur mission qui, pourtant, ne découle que de la loi, expression d'une volonté générale à laquelle les magistrats ne participent, comme tous les citoyens, qu'avec leur seul suffrage, et doivent strictement la respecter, que la loi leur plaise ou non. Aussi, étant chargée du respect de la Constitution dans son domaine de compétences, il lui demande quelles conclusions elle tire de ces commentaires et quelles instructions elle envisage d'adresser aux diverses juridictions relevant de son ministère afin de leur rappeler l'existence et la portée de l'article 62 de la Constitution. Il lui demande, en outre, dans l'hypothèse ou un magistrat ou une juridiction refuserait de se soumettre à ses obligations constitutionnelles, si ces manquements seraient susceptibles d'entraîner des sanctions disciplinaires, voire pénales.
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Réponse du ministère : Justice publiée le 14/10/1999
Réponse. - Le garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire qu'aux termes de l'article 62 de la Constitution, " les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ". Cette autorité qui, comme le rappelle le conseil, " s'attache non seulement à leur dispositif mais aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même " (62-182 L du 16 janvier 1962) permet ainsi de donner toute sa portée aux décisions du Conseil constitutionnel et notamment aux réserves d'interprétation sur les lois qui lui sont soumises. Pour autant, comme toute décision juridictionnelle, les décisions du conseil ne sauraient avoir la valeur d'arrêt de règlement. Ainsi, l'autorité de la chose jugée qui s'attache à une déclaration d'inconstitutionnalité, est limitée aux dispositions de la loi qui lui est soumise (88-244 DC, du 20 juillet 1988) ou à une disposition ayant en substance un objet analogue à celui des dispositions déclarées contraires à la Constitution (89-258 DC, 8 juillet 1989). Lorsque les pouvoirs publics et les juridictions ne sont pas tenues par l'autorité de la chose jugée des décisions du conseil, ils doivent prendre en considération sa jurisprudence dans l'interprétation qu'ils sont amenés à faire de la Constitution, même s'ils restent juridiquement libres de procéder à une appréciation différente de la sienne. Ainsi, depuis bien des années, les juridictions judiciaires prennent en considération les décisions du Conseil constitutionnel dans les conditions rappelées dès 1974 par le procureur général Touffait dans ses conclusions par l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 26 février 1974 Schavon.
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