Question de M. GARREC René (Calvados - RI) publiée le 22/01/1999

Question posée en séance publique le 21/01/1999

M. le président. La parole est à M. Garrec.
M. René Garrec. Monsieur le Premier ministre, vous savez ce qui s'est passé à la fin de l'année dernière : des maires
de l'Oise ont été mis en examen et placés en garde à vue pendant la période des fêtes, ce qui est peut-être encore plus
traumatisant.
Pourquoi ? Le conseil général - comme cela se pratique dans bien des départements - avait conçu, pour aider les
maires à sauver des églises mal entretenues, un système qui n'opérait pas une nette distinction entre les églises qui
sont inscrites et classées et celles qui ne le sont pas.
Il s'est passé ce qui se passe toujours dans ces cas-là : le maire d'une petite commune de 200 habitants, dans un
souci d'économies, s'est adressé directement au charpentier de sa commune afin qu'il répare la charpente de l'église.
C'est une erreur de fond, mais peu importe. Ce problème s'est posé dans l'Oise, et se posera en Gironde et sans doute
partout en France. Or la sanction est très sévère : des maires, au demeurant excellents citoyens, se sont trouvés mis
en examen sans avoir très bien compris pourquoi.
C'est trop difficile et trop complexe. Il a été dit que la solution pourrait passer par les voies administratives, tribunal
administratif, Conseil d'Etat, que sais-je ?
Le problème est non pas un problème de procédure mais un problème de fond. Depuis vingt ans, les juges d'instruction
se sont créé une jurisprudence. Personne ne met en cause leur indépendance et personne d'ailleurs ne l'a jamais fait,
aucun garde des sceaux, que ce soit d'un gouvernement de droite ou de gauche. A partir de cette jurisprudence, ils
peuvent faire un peu ce qu'ils veulent. L'autosaisine, par exemple, est un acte assez choquant. Quand on ajoute à cela
le syndrome de Furiani, on aboutit à la mise en examen de maires qui, quoi qu'il se soit passé, n'en resteront pas
moins suspects aux yeux de leurs électeurs, de leurs collègues ou de leurs voisins.
Le problème doit être traité au fond. Cela relève de votre responsabilité, monsieur le Premier ministre, comme de celle
de Mme le garde des sceaux : il faut rétablir l'autorité des procureurs généraux sur les parquets, sur les procureurs.
Si le problème avait été traité sur le plan politique, jamais des maires n'auraient passé Noël en prison, et dormi sur une
plaque de béton, avec une couverture un peu fine.
Il faut être conscient de la gravité de cette affaire. C'est navrant pour l'image de marque de la justice et cela nuit au
fonctionnement démocratique de notre pays.
Monsieur le Premier ministre, que comptez-vous faire pour que ce type d'incident ne puisse pas se reproduire ?
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, sur certaines
travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées socialistes.)

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Réponse du ministère : Intérieur publiée le 22/01/1999

Réponse apportée en séance publique le 21/01/1999

M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Avant de répondre à M. Garrec, je tiens à remercier M. le
président des mots aimables qu'il a eus à mon égard. Je souhaite toutefois lui faire observer que je n'ai eu qu'un
accident et que ce qui est aléatoire n'est pas méritoire ! (Rires.)
Monsieur le sénateur, je répondrai maintenant à votre question, car Mme le garde des sceaux a été appelée par les
charges de sa fonction à Rouen.
Bien entendu, il faudrait sensibiliser la justice, mais ce n'est pas mon domaine, et je vous répondrai sur le plan qui est
le mien, un plan que vous jugerez peut-être administratif.
Je comprends fort bien l'état d'esprit que vous avez exprimé. Je suis au contact des élus, et je mesure à quel point,
notamment pour les maires de petites communes, le risque pénal est réel. Il ne faudrait pas les décourager, c'est vrai.
De nombreux parlementaires se font d'ailleurs périodiquement l'écho auprès de moi de l'émotion que suscitent chez les
élus locaux des condamnations pénales qui ont pu être prononcées, alors qu'ils agissaient dans le cadre de leurs
fonctions.
Chacun sait que les marchés publics - vous les avez évoqués à propos des maires de l'Oise - constituent un des
domaines dans lesquels la responsabilité des élus est souvent mise en cause, le non-respect d'une obligation de
publicité ou de transparence étant constitutive d'un délit. C'est le cas que vous avez mentionné.
Le Gouvernement est attentif à rechercher, sur ce point, une clarification des règles applicables, tout en maintenant de
nécessaires exigences de transparence, car il ne faut pas tomber non plus de Charybde en Scylla.
A cet égard, les réflexions préalables à la réforme du code des marchés publics pourraient être l'occasion de clarifier la
frontière entre les marchés publics et les délégations de service public qui constitue l'une des principales causes de
l'insécurité juridique à laquelle sont actuellement confrontés les élus dans le domaine des marchés publics.
Le ministère public, dans le cadre de l'appréciation de l'opportunité des poursuites, et les juges du fond, à l'occasion de
la détermination de la responsabilité pénale et de la peine, tiennent naturellement ou doivent tenir le plus grand compte
du contexte de la commission des faits.
S'agissant des fautes de négligence ou d'imprudence, la loi n° 96-393 du 13 mai 1996 a modifié l'article L. 121-3 du
code pénal - ces dispositions sont reproduites dans le code général des collectivités territoriales - afin de poser le
principe de l'appréciation in concreto de la faute pénale.
Ainsi, ces délits ne sont pas constitués si les auteurs des faits ont accompli les diligences normales, compte tenu, le
cas échéant, de la nature de leur mission, de leur fonction, de leurs compétences ainsi que du pouvoir et des moyens
dont ils disposaient.
Cette réforme paraît de nature à éviter que les maires ne soient pénalement condamnés à la suite d'incidents ou
d'accidents qui ne résulteraient pas d'une faute personnelle de leur part.
M. Alain Vasselle. Cela a été le cas dans l'Oise !
M. le président. Je vous invite à conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je vais donc aller très vite !
La responsabilité pénale des personnes morales peut atténuer celle des personnes physiques lorsque la poursuite est
intentée séparément, ce qui est le cas le plus fréquent puisque ces poursuites sont réalisées simultanément dans 5 %
des cas seulement.
Par ailleurs, les conditions de mise en oeuvre - mais c'est un autre sujet - du délit de prise illégale d'intérêts en matière
de baux ruraux ont été évoquées dans un groupe de travail. Le rapport de ce groupe de travail a été diffusé aux parquets
et envoyé aux préfets pour information.
L'ensemble des dispositions que je viens d'évoquer devrait permettre, dans l'état actuel des textes existants, d'apporter
une réponse judiciaire mieux appropriée aux affaires qui mettent en cause la responsabilité des élus. Mais cela ne peut
être qu'un voeu que je forme. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste
républicain et citoyens.)

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