Question de M. DUSSAUT Bernard (Gironde - SOC) publiée le 23/10/1998
M. Bernard Dussaut appelle l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé sur les conséquences des décrets parus au Journal officiel du 10 octobre 1998 relatifs aux maternités, notamment pour l'hôpital de la Réole en Gironde. Cet hôpital comprend une maternité qui assure, en toute sécurité, 250 accouchements en moyenne chaque année. La fermeture de la maternité aurait immanquablement des conséquences en chaîne dramatiques : il y aurait immédiatement une diminution d'utilisation du plateau technique pourtant très performant et, à terme, la présence des deux chirurgiens et des deux anesthésistes, qui permet un service d'urgence 24 heures sur 24, serait remise en question. L'existence même de cet hôpital de proximité serait alors probablement compromise. Etant donné qu'aucune enquête scientifique n'apporte la preuve que le taux de mortalité maternelle ou périnatale soit plus élevé dans les maternités pratiquant moins de 300 accouchements par an et que les problèmes se situent plutôt au niveau des pressions budgétaires énormes pour les contraindre à fermer, il lui demande de bien vouloir lui préciser s'il envisage d'intégrer dans les critères de dérogation à la fermeture des critères autres que géographiques, comme par exemple la spécificité sociale des bassins de vie concernés. Cela permettrait de poser la problématique dans une perspective plus large d'aménagement du territoire, en luttant contre toute désertification sanitaire.
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Réponse du ministère : Santé publiée le 11/11/1998
Réponse apportée en séance publique le 10/11/1998
M. Bernard Dussaut. Monsieur le secrétaire d'Etat, ma question porte sur les conséquences de la mise en oeuvre des
décrets parus au Journal officiel du 10 octobre dernier et relatifs aux maternités, plus particulièrement sur les
incidences directes que leur application ne manquerait pas d'entraîner pour le centre hospitalier de La Réole, en
Gironde. En effet, le service maternité de cet établissement assure 250 accouchements en moyenne par an, et ce
chiffre est donc en deçà du seuil des 300 accouchements annuels fixé par ces décrets.
Au mois de juin 1994, j'interpellais déjà le ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville, qui était alors Mme
Simone Veil, sur le projet de fermeture de la maternité et - conséquence directe - sur la réduction du service des
urgence de l'hôpital de La Réole. Les professionnels, les élus et les habitants, s'appuyant sur le rapport positif de
l'Inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, se sont battus pour conserver ces services qu'ils savaient essentiels
à la survie de l'hôpital et, par là même, au développement du bassin du Réolais.
Aujourd'hui comme hier, les arguments avancés pour justifier la fermeture de la maternité ne sont pas recevables, qu'ils
soient sécuritaires ou économiques.
En effet, le centre hospitalier de La Réole a été classé, pour l'année 1997, parmi les hôpitaux les plus performants
d'Aquitaine, au cinquième rang sur dix-huit. Il est classé également en deuxième position parmi les six hôpitaux
réalisant moins de 7 000 entrées par an. Quant au nombre de naissances, nous savons tous que le seuil des 300
accouchements par an ne signifie rien : il n'y a pas eu le moindre accident depuis plus de vingt ans dans cette
maternité.
L'argument économique ne tient pas non plus, car les hôpitaux de proximité n'absorbent que 5 % du budget global des
hôpitaux, tandis que le fonctionnement de l'hôpital de La Réole ne représente que 0,8 % du budget départemental.
Par ailleurs, tout a été fait pour que l'établissement bénéficie d'un meilleur équipement et soit conforme aux normes
hospitalières. Ainsi, d'importants investissements - plus de 3,2 millions de francs - ont été réalisés pour renforcer le
plateau technique, et la présence de deux chirurgiens et de deux anesthésistes permet une prise en compte des
urgences vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans de bonnes conditions. Lors d'un récent contrôle, la DASS, la
direction des affaires sanitaires et sociales, a pu constater la qualité du pôle chirurgical et anesthésique.
Or, ne nous voilons pas la face : si la maternité fermait, cela entraînerait immanquablement des conséquences en
chaîne dramatiques qui concerneraient tout le centre hospitalier. Il y aurait immédiatement une diminution de l'utilisation
de ce plateau technique, pourtant très performant, et, à terme, le service des urgences serait remis en question.
L'existence même de cet hôpital de proximité serait alors compromise, et la disparition de services hospitaliers actifs
aurait un impact négatif très important sur le développement économique local et surtout sur la sécurité des habitants
du secteur, au moment même où, au sein des structures intercommunales, les programmes réalisés commencent à
porter leurs fruits.
Pour la sécurité de nos populations - c'est le point le plus important - et pour ne prendre qu'un exemple, que
ferions-nous, très concrètement, dans l'hypothèse d'une fermeture du service des urgences, des 120 à 150 accidentés
du travail, de la route et autres qui sont conduits chaque année par les sapeurs-pompiers de Monségur, chef-lieu du
canton du sud-est du département que je représente au conseil général, à cet hôpital ? Le transfert, dans les conditions
actuelles, prend déjà de vingt-cinq à trente minutes, ce qui est long dans certains cas. Or ce délai serait doublé si le
service des urgences de La Réole fermaient. J'ai d'ailleurs l'intention d'inviter le directeur de l'agence régionale - le DAR -
à se rendre compte sur place de cette situation.
Les décrets parus le 10 octobre dernier fixent un cadre très précis. Aussi ne reste-t-il sans doute que l'espoir d'une
dérogation pour échapper au couperet.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous souhaitons très vivement obtenir une telle dérogation, qui peut être justifiée par la
prise en compte des besoins de la population, de la spécificité de notre bassin de vie, de la qualité du plateau
technique et de la disponibilité des anesthésistes et des sages-femmes vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ces
éléments représentent autant de gages de sécurité, et leur prise en considération permettrait en outre de poser le
problème dans une perspective plus large d'aménagement durable du territoire - le thème est d'actualité - par la lutte
contre la désertification sanitaire.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Monsieur Dussaut, votre question portait initialement sur les
maternités, or vous l'étendez à l'hôpital de La Réole. Je vous répondrai donc sur les deux points.
Je commencerai par évoquer les maternités, et en particulier l'éventuel assouplissement des critères permettant de
déroger à la règle des 300 accouchements par an, seuil en deçà duquel, en application du code de la santé publique, le
maintien des maternités à faible activité ne serait pas envisagé. Je ferai une fois encore observer qu'il ne s'agit pas
seulement d'une affaire de chiffres.
Depuis 1972, c'est-à-dire depuis la parution de la circulaire de Mme Marie-Madeleine Dienesch, le chiffre de 300
accouchements par an est proposé comme un repère. Mais il n'est pas question, je l'affirme, de fermer
automatiquement une maternité où l'on pratiquerait 299 accouchements et de la maintenir si ce chiffre était de 301. Il
s'agit simplement de fixer un chiffre de référence, pour bien marquer que proximité ne signifie en rien sécurité.
Permettez-moi, monsieur le sénateur, de vous rappeler deux chiffres : la France se situe au douzième rang - j'y insiste -
des pays de l'OCDE pour les indicateurs de mortalité et de morbidité infantiles - malgré les progrès constants obtenus
en la matière, il est donc impératif de poursuivre nos efforts - et seulement 15 % des accouchements à risques dans
notre pays sont pris en charge par des structures adaptées. Cela revient à dire que, dans 85 % des cas, les femmes et
les enfants courent des risques. A la fin du xxe siècle, nous ne pouvons laisser perdurer une telle situation.
Ce n'est pas sans raison que les gouvernements successifs, quelle que soit leur couleur politique, ont tous insisté,
autour du chiffre de 300, sur la sécurité sanitaire en matière d'accouchement. S'agissant de ce chapitre de santé
publique particulier, nous sommes très en retard. C'est pourquoi les deux décrets publiés au Journal officiel du 10
octobre s'inscrivent dans un plan d'ensemble qui vise à améliorer la sécurité de la mère et de l'enfant lors de
l'accouchement et à assurer des soins de qualité.
Lorsque j'ai produit ces décrets devant les gynéco-obstétriciens, ils ne m'ont pas fait une conduite de Grenoble, ils
m'ont plutôt félicité, car ils connaissent les difficultés de leur métier, comme ils sont à même de connaître les dangers
que courent les femmes.
Parmi les mesures prises, la mise en réseau des différentes maternités avec une hiérarchisation précise des niveaux de
soins de néonatalogie et l'élaboration de normes minimales de personnels sont des éléments essentiels.
Il y aura trois niveaux : un niveau 1, pour les accouchements sans risque, un niveau 2, avec un service de réanimation,
et un niveau 3, avec un service de réanimation de néonatalogie. C'est à travers ces trois niveaux que, au plus vite, avec
une prise en charge immédiate et avec une sage-femme dont la rémunération, ce qui est également nouveau, sera
remboursée par la sécurité sociale, les femmes pourront se répartir en connaissance de cause.
Donc, il y aura une hiérarchisation des niveaux de néonatalogie et de prise en charge. Aussi, je ne peux vous laisser
dire, monsieur le sénateur, que ce sont des raisons budgétaires qui nous contraignent à fermer les petites maternités.
Et quand bien même ce serait en effet des raisons budgétaires, seraient-elles de notre part une preuve d'inconscience ?
Et même si nous devions - ce n'est pas le cas - faire un choix à l'intérieur d'une enveloppe close votée chaque année
par le Parlement il faudrait bien que je respecte la loi, et vous aussi. De toute façon, il n'y a rien de péjoratif à constater
que l'on ne peut pas faire entrer un litre et demi dans un litre.
C'est non pas pour des raisons budgétaires que nous portons notre effort sur les petites maternités, loin de là, car leur
aménagement nous coûtera de l'argent, mais bien au contraire pour des raisons de santé publique, notamment au nom
de la santé des mères.
Je ne peux pas non plus vous dire - comme s'il était possible de dépasser en permanence les enveloppes fixées - que
les raisons budgétaires, dans ce domaine comme dans d'autres, ne doivent pas être prises en compte.
Pour le moment, il s'agit de la sécurité, et je vous réserve une petite surprise à la fin de mon propos, ce en toute
cordialité.
S'agissant du seuil de 300 accouchements, je le répète : c'est une référence et il n'est pas question de s'y attacher à
l'unité près.
L'offre de soins en matière de prise en charge des grossesses doit être envisagée dans le cadre des schémas
régionaux d'organisation sanitaire, qui sont à l'heure actuelle en discussion. Les états généraux sont d'ailleurs le cadre
de discussions articulées autour de ces schémas d'organisation sanitaire. J'y ai assisté à plusieurs reprises et je vous
invite à y participer. Je suis d'ailleurs prêt à aller dans votre région, monsieur le sénateur, pour m'expliquer et pour
débattre avec la population tant de l'organisation des schémas d'organisation sanitaire que de la prise en charge de la
sécurité des maternités ; c'est l'objet même des états généraux. Je dis d'ailleurs cela pour vous tous, mesdames,
messieurs les sénateurs, car je suis disposé à participer à des discussions dans vos régions.
Par ailleurs, j'ai demandé à mes services d'évaluer attentivement les conditions dans lesquelles pourront être pris en
charge les besoins des populations concernées dans les zones éloignées des centres urbains, avec le souci constant
de conjuguer - évidemment - accessibilité et sécurité. Certains sites, qui ont une activité plus faible, pourront bien sûr
être autorisés si les conditions d'accès à un service de plus grande activité étaient trop difficilement réalisables,
notamment en termes de sécurité routière, en particulier en hiver.
En revanche, ne pourront être autorisés les établissements à activité modeste que s'ils répondent aux conditions
techniques de fonctionnement énoncées par décret, notamment en ce qui concerne la qualification et la présence des
personnels médicaux et paramédicaux.
Je vous rappelle, enfin, que ces textes « périnatalité » n'entreront que progressivement en vigueur, et j'insiste sur ce
point. Le respect des nouvelles dispositions réglementaires ne sera exigible qu'au moment où l'Agence régionale de
l'hospitalisation statuera sur les demandes d'autorisation formulées par les établissements, c'est-à-dire, conformément
à la procédure prévue, au plus tard le 10 octobre 2000.
Ils ont donc un an pour se déclarer. Des délais supplémentaires pourront être accordés à des établissements qui ne
rempliraient pas immédiatement toutes les conditions techniques de fonctionnement. Compte tenu de ces délais, nous
ne sommes pas en train de faire fonctionner un couperet. Il est bien évident que ces délais ne seront accordés que si
l'établissement en question répond à un besoin établi par la carte sanitaire.
Les établissements de santé, tant publics que privés, ont donc le temps nécessaire pour dresser le bilan de leur activité
obstétricale, pour l'amplifier - pourquoi pas ? - pour arrêter une stratégie de maintien, pour se mettre en résonnance
avec d'autres centres, pour opter en faveur d'un regroupement avec d'autres partenaires, pour décider d'une
reconversion. Bref, nous leur laissons tout le temps nécessaire. Nous n'avons pas l'intention, pour des raisons
économiques, de fermer l'établissement.
Cette démarche devra, comme pour tous les établissements hospitaliers publics et privés, notamment, être conduite
par l'hôpital de La Réole qui a une activité obstétricale d'environ 220 accouchements par an, soit moins d'un
accouchement par jour.
Monsieur le sénateur, comment peut-on maintenir sérieusement une équipe qui comporte au moins un anesthésiste, un
obstétricien, une sage-femme, une infirmière et plusieurs aides-soignantes, sans parler du personnel pour assurer la
garde, lorsqu'il y a moins d'un accouchement par jour ? Pardonnez-moi de vous le demander : compte tenu des frais
importants que la modernité entraîne, n'est-ce pas un luxe que notre pays ne peut plus se payer ?
Enfin, je voudrais vous dire que « la spécificité sociale des bassins de vie » appelée par ailleurs « spécificité sociale des
territoires de soins » sera prise en compte. Cependant, la spécificité sociale est-elle si différente à Langon, située à
quinze kilomètres de La Réole, et à Marmande, distante de dix-huit kilomètres, où l'on dénombre respectivement 450 et
760 accouchements par an ? C'est une simple question.
Je ne dis pas que la maternité de l'hôpital de La Réole doit fermer. Peut-être est-il possible de s'arranger avec Langon et
Marmande pour répartir différemment les accouchements. Si tel était le cas, je serais le premier à être satisfait.
Et maintenant, la surprise ! (Ah ! sur plusieurs travées.)
M. Gérard César. La surprise du chef ! (Sourires.)
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, vous vous souvenez sans doute de certains troubles à
Pithiviers, à Bitche, etc. Eh bien, j'ai reçu ce matin même - et vous en avez la primeur - un article dont le titre est le
suivant : « Après la fermeture de la maternité : Bitche, les pionniers du centre de périnatalité ». Cet article précise : «
Le 1er juillet, un centre périnatal de proximité a ouvert à Bitche. Il est unique en Moselle. Pas d'accouchements, mais
des cours de préparation, des soins, de l'information pour les femmes enceintes sont assurés. C'est le bébé de Bernard
Kouchner. Les maternités qui pratiquaient moins de 300 accouchements par an doivent fermer et laisser la place à un
centre périphérique de proximité. Après plusieurs mois de contestation, la maternité de Bitche a fermé ses portes.
Dans la foulée s'est ouvert le centre... »
Je tiens cet article à votre disposition, monsieur le sénateur. (M. le secrétaire d'Etat montre le document.) Je vous
assure qu'ils sont satisfaits de ce centre. En effet, la naissance, la prise en charge d'un bébé ne se résument pas à
l'accouchement, c'est-à-dire à une période de deux jours à deux jours et demi.
M. Bernard Dussaut. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Dussaut.
M. Bernard Dussaut. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse.
S'agissant de la maternité, je suis assez d'accord, mais après c'est le service des urgences qui sera menacé, puisque
le plateau technique sera beaucoup moins utilisé étant donné la baisse d'activité. Langon est à quinze minutes et
Marmande à vingt-cinq. Certes, mais pour moi qui suis déjà à près de trente minutes, cela s'ajoute.
Je parle de la prise en compte de l'urgence. Là aussi est notre problème, monsieur le secrétaire d'Etat. Il ne s'agit donc
pas seulement de la maternité. En effet, on commence ainsi et, dans un an ou deux, on nous dira qu'effectivement le
plateau technique est moins utilisé. Alors, comment cela se passera-t-il pour les accidentés, puisque le service des
urgences n'aura plus sa raison d'être ?
J'ai bien noté votre proposition de venir dans notre secteur. Si vous avez le temps, car il vous en faudra, je vous y invite.
Vous viendrez à Monségur et, chronomètre en main, nous nous rendrons au service des urgences le plus proche, à
savoir Langon. Vous constaterez qu'il faut moins de temps pour aller de Langon à Bordeaux que de Monségur à
Langon.
Certes, on ne parle pas de la fermeture du service des urgences. Cependant, nous sommes très inquiets de la
procédure qui est enclenchée : d'abord la maternité, ensuite le service des urgences.
M. Gérard César. Très bien !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je veux rassurer M. Bernard Dussaut : il ne s'agit ni de la fermeture du
plateau technique des urgences - nous n'avons parlé que de la maternité - ni de celle de l'hôpital en général.
S'agissant des urgences, un plan vous sera également présenté, mais, si je l'évoquais, je dépasserais largement mon
temps de parole.
M. le président. Monsieur le secrétaire d'Etat, c'était un sujet important. Je ne sortirai pas de mon rôle de président de
séance cet après-midi, mais j'adresserai à mon collègue quelques réflexions sur les problèmes de qualité,
d'accréditation et d'organisation territoriale de la santé.
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