Question de M. SIGNÉ René-Pierre (Nièvre - SOC) publiée le 29/05/1998

Question posée en séance publique le 28/05/1998

M. le président. La parole est à M. Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres,
mes chers collègues, neuf enfants pauvres, au nom des deux cent cinquante millions d'entre eux condamnés à
travailler, étaient reçus par la France ces derniers jours. Ils ont témoigné du drame qu'est leur vie, et notre République a
témoigné de sa grandeur et de sa noblesse en écoutant ces neuf pauvres enfants.
Mais on ne peut se contenter d'indignation ; il faut, comme l'a dit M. le Premier ministre à La Rochelle, que la France
soit au premier rang du combat. Pour être utile, notre engagement devra discerner entre les différentes formes
d'exploitation des enfants.
D'une part, de très nombreux enfants sont employés dans des exploitations agricoles familiales et vivrières. Nous
serions hypocrites et aveugles si nous considérions leurs parents comme des bourreaux. Cette situation fut d'ailleurs
celle d'une forte proportion d'enfants français jusqu'à la mise en place d'un système d'éducation gratuit et effectivement
obligatoire. C'est l'instruction qui tirera ces familles vers le haut, comme l'école de la République l'a fait pour celles de
notre pays.
Je souhaite donc, d'abord, savoir par quelles dispositions la France encouragera l'UNICEF dans son combat pour
l'éducation des enfants du tiers monde.
D'autre part, il est une forme de travail des enfants qui est une composante déterminante du tableau de notre économie
dite « globale ». La responsabilité de nos pays est directement engagée, en tant que clients des produits issus de
l'exploitation infantile d'autant que ces produits portent souvent des marques et construisent leur notoriété en dépensant
infiniment plus pour la publicité que pour la production.
Cette situation est particulièrement intolérable, et je ne parle même pas des métiers de la rue et de l'exploitation
sexuelle qui sont aussi, hélas ! liés à l'existence d'une clientèle occidentale.
Quelles seront les propositions défendues à Genève par la France, dans quelques jours, lors de la réunion du Bureau
international du travail ?
Que peuvent faire la France et l'Europe pour moraliser, au moins sur cet aspect, le commerce international ?
Il en va de l'avenir de ces enfants, il en va de notre dignité, il en va de notre propre avenir, qui sera ou ne sera pas
contaminé par l'expansion des règles régressives du moins-disant social. (Applaudissements sur les travées
socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE.)

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Réponse du ministère : Emploi publiée le 29/05/1998

Réponse apportée en séance publique le 28/05/1998

M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le sénateur, vous avez eu raison de nous
rappeler que 250 millions d'enfants de cinq à quatorze ans travaillent aujourd'hui dans le monde, soit un sur quatre, ce
qui est tout à fait important. Ces enfants travaillent ou sont soumis à la prostitution, il faut aussi le rappeler.
La marche mondiale des enfants est partie de tous les coins du monde et a traversé la France voilà quelques jours. Les
enfants qui y participaient ont rencontré M. le Premier ministre, vendredi dernier, à La Rochelle. Ils ont également été
reçus par plusieurs ministres, par moi-même et par la délégation qui se rendra au BIT.
M. Alain Gournac et plusieurs sénateurs du RPR. Et par le Président de la République !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. J'allais y venir, messieurs les sénateurs ! Mais, comme
j'essayais de donner un tour logique à mon intervention et comme on m'a parlé du BIT en premier lieu, j'ai commencé
par répondre sur ce point-là.
J'avais ensuite prévu de dire que nous étions tous concernés et que le Président de la République avait souhaité
recevoir ces enfants.
J'aurais peut-être pu commencer par là, mais j'ai essayé de faire preuve de logique, monsieur Gournac !
Les uns et les autres, nous avons reçu ces enfants ; il s'agit là d'un combat, de notre combat à tous.
La délégation française soutiendra devant l'OIT - si le calendrier des travaux parlementaires me le permet, je souhaite
d'ailleurs m'y rendre personnellement - le renforcement de la convention n° 138 qui, comme vous le savez, interdit le
travail des enfants.
Il s'agira, d'une part, de « renforcer » cette convention, c'est-à-dire de faire en sorte qu'elle soit ratifiée par plus de pays
et, surtout, qu'elle soit contrôlée et que les pays qui l'ont ratifiée aujourd'hui acceptent les contrôles de l'OIT.
Toutefois, nous le savons bien, ce n'est pas du jour au lendemain que le travail des enfants sera totalement supprimé.
Aussi la France va-t-elle soutenir une initiative du BIT qui vise à compléter la convention n° 138 par une interdiction des
formes les plus intolérables du travail des enfants, je veux parler du travail forcé et de l'esclavage, du travail des enfants
de moins de douze ans et, bien évidemment, de l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales. Ce texte
sera présenté lors de la prochaîne réunion du Bureau international du travail. Nous le soutiendrons avec force.
Par ailleurs, le Gouvernement français a soutenu, lundi dernier, la décision de l'Union européenne d'accorder des
avantages tarifaires aux pays qui respectent le non-travail des enfants, et c'est un point positif.
Enfin, il faut le savoir, certaines entreprises ont pris une initiative qui me paraît bonne. Elles ont constitué un collectif
d'éthique sur l'étiquetage par lequel elles s'engagent à ne pas faire travailler des entreprises de pays qui exploitent les
enfants.
Mais il faut aller plus loin, vous l'avez souligné à juste titre, monsieur Signé, et faire en sorte que ces enfants soient
éduqués. Car, dans le fond, c'est de cette façon que ces pays se développeront.
La France participe largement aux programmes de l'UNICEF. Nous avons signé une convention et nous envoyons des
experts sur place. En outre, nous prenons part au programme IPEC, le programme d'éducation du BIT, avec un budget
que j'ai fait passer de 1 million à 12 millions de francs. Ce programme est également soutenu par l'UNICEF.
Il ne faut pas diriger nos regards vers les seuls pays asiatiques ou africains. Ne leur donnons pas l'impression que nous
voulons les empêcher de se développer. Il faut au contraire les encourager par une aide au développement et au
codéveloppement, par une aide à l'éducation et aussi peut-être, nous disent certains, par une taxation des produits
originaires des pays qui ne respectent pas certaines règles minimales. Le produit de cette taxation pourrait être utile à
l'éducation et à la santé des enfants dont nous parlons.
Nous devons aussi regarder plus près de nous : 2 millions d'enfants travaillent en Europe, il faut le rappeler. Je me suis
donc engagé à réaliser, pour le 20 novembre, journée nationale des droits des enfants, un rapport sur le travail des
enfants en France. Nous savons en effet aujourd'hui que, s'agissant, aussi bien du travail clandestin que de l'agriculture
et la prostitution, un certain nombre d'enfants travaillent dans notre pays.
Nous devons balayer devant notre porte. Nous devons également soutenir le combat en faveur de ces enfants jusque
devant le BIT, et nous le ferons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'Union centriste.)

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