Question de M. ALLOUCHE Guy (Nord - SOC) publiée le 27/03/1998
Question posée en séance publique le 26/03/1998
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le Premier ministre, la démocratie vient de vivre un vendredi noir. (Exclamations sur les
travées du RPR.)
A droite de l'échiquier politique, où il n'est question que de crises, tricheries, compromissions honteuses, séismes et
naufrages (Protestations sur les mêmes travées), l'heure de vérité a sonné.
M. Dominique Braye. Ce sont les incendiaires qui crient au feu !
M. Jean Chérioux. Ce sont des pompiers pyromanes !
M. Guy Allouche. Je n'ai fait que reprendre les expressions de vos propres responsables politiques, mes chers collègues
!
Les élections territoriales des 15 et 22 mars derniers ont subitement et profondément modifié le paysage politique du
pays.
La mise en cause du mode de scrutin régional, aussi fondée soit-elle, ne doit pas masquer, et encore moins excuser, la
mise en danger des valeurs essentielles de la République. La fronde de notables locaux relève d'une volonté politique
mûrement réfléchie.
Aucun mode de scrutin ne recèle les vertus immunisantes contre l'extrémisme et les accords honteux. (Nouvelles
protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Schosteck. L'an dernier, 70 députés socialistes ont été élus grâce aux voix du Front national !
M. Guy Allouche. La réforme des modes de scrutin envisagée est de bon augure.
M. Jean-Pierre Schosteck. Ça, c'est vrai !
M. Guy Allouche. J'espère qu'elle inclura la réforme du mode de scrutin sénatorial, dont l'iniquité n'est plus à démontrer
! (Vives protestations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux. C'est scandaleux !
M. Jean-Pierre Schosteck. Nous attendons soixante-dix démissions !
Mme Paulette Brisepierre. Absolument !
M. Guy Allouche. Trop important, l'abstentionnisme ne semble plus être une marque d'incivisme ; sa signification et ses
raisons sont plus profondes. La réappropriation par les citoyens des institutions devient urgente et commande la mise en
oeuvre de mesures significatives.
La première phase de réformes économiques et sociales annoncée le 19 juin dernier étant accomplie ou sur le point de
l'être, dès lors que le Président de la République fait désormais sien votre plan de modernisation de la vie publique,...
M. Dominique Braye. C'est le sien !
M. Jean-Pierre Raffarin. Malicieux !
M. Guy Allouche. ... il nous paraît important, monsieur le Premier ministre, que vous nous fassiez part des
enseignements que vous tirez des récents scrutins et du plan d'action gouvernemental pour les mois à venir. (Vifs
applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Dominique Braye. Il ne fallait pas jouer avec le feu !
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Réponse du ministère : Premier ministre publiée le 27/03/1998
Réponse apportée en séance publique le 26/03/1998
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le sénateur, les Français ont voté. Nous nous attendions à ce que, neuf
mois après la mise en place d'une nouvelle majorité, s'opèrent un certain nombre de changements tranquilles, selon la
démocratie, dans des régions de France, sans savoir où ils se produiraient et que, par ailleurs, les Français indiquent, au
travers de votes essentiellement locaux, le jugement qu'ils portaient sur la majorité, sur l'opposition et sur l'action du
Gouvernement.
Il est vrai que, à l'occasion de ce qui aurait dû être une élection intermédiaire sereine, a éclaté tout à coup un séisme
politique, surtout, il faut bien le dire, d'un côté du champ politique, mais il nous concerne tous.
Les élections régionales ont donné des résultats satisfaisants en voix pour les candidats de la majorité. Celle-ci est arrivée
en tête dans une dizaine de régions ; mais, dans plusieurs d'entre elles, elle a été frustrée de ce qui pouvait apparaître
comme le résultat normal du scrutin, tel que les électeurs l'avaient voulu.
Pour les élections cantonales, le résultat a été plus net : la majorité a conquis quatre cent trente sièges, cependant que
l'opposition en perdait l'équivalent, et plus d'une dizaine de départements ont changé de responsables, même si la plupart
des départements sont encore détenus par des majorités issues de l'opposition.
Si les choses ont été plus nettes s'agissant du scrutin cantonal, c'est peut-être parce que les électeurs se sont exprimés
directement et sans aucun truchement.
M. Jean-Jacques Hyest. Vive le scrutin majoritaire !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Les conditions de ces élections et le problème de l'alliance avec l'extrême droite
dans notre pays ont entraîné une double crise.
M. Alain Gournac. Et l'extrême gauche ?
M. Lionel Jospin, Premier ministre. La différence, monsieur le sénateur, en tout état de cause et quoi qu'on pense des
formations politiques, c'est que l'alliance des forces de la majorité a été présentée en avril...
M. Alain Gournac. Ils ne se sont même pas levés lors de l'hommage qui a été rendu à Maurice Schumann ! C'est
honteux !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. ... les alliances formées au sein de la majorité nouvelle ont été présentées
ouvertement et clairement au pays, qui s'est exprimé, qui a choisi de porter cette majorité à l'Assemblée nationale, et c'est
toute la différence ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen. - M. Braye s'exclame.)
Monsieur le sénateur, supportez que je vous réponde ! Pourquoi serais-je encouragé par le président à venir vous
retrouver si, ici, il était plus difficule de s'exprimer qu'ailleurs !
Si un certain nombre des vôtres avaient voulu présenter dans cette élection un projet nouveau d'alliance avec l'extrême
droite, ils en avaient le loisir ! Mais, alors, il fallait qu'ils le disent, et les Français auraient pu faire ce qu'ils en pensaient.
(Bravo ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
Nous vivons donc - c'est un fait, je le dis sans esprit polémique - une double crise.
Tout d'abord, il y a une crise de l'opposition. Un débat a lieu en son sein et c'est à elle qu'il revient d'apporter les réponses
aux interrogations soulevées.
M. Jean-Pierre Raffarin. Vous jetez de l'huile sur le feu, monsieur le Premier ministre !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Pas du tout !
M. Jean-Pierre Raffarin. On attend d'un Premier ministre des propos d'apaisement !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. C'est exactement ce que j'ai fait à l'Assemblée nationale ! Et c'est ce que je
m'apprêtais à faire...
M. Gérard Larcher. Eh bien, faites-le !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. ... en déclarant que les principaux responsables des formations politiques de
l'opposition - je reprends les termes que j'ai utilisés mardi dernier - ont fait des déclarations claires et fermes.
M. Jean-Pierre Raffarin. Merci de le reconnaître !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Je suis heureux que cela se soit passé ainsi.
J'ai été amené à m'exprimer dans ce débat, comme l'a fait le Président de la République, parce que, si j'étais resté
silencieux, on aurait pu penser que le glissement qui s'opérait m'arrangeait, en quelque sorte.
M. Dominique Braye. C'est exact, il vous arrangeait !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Or ce n'est pas le cas, parce que cela nous concerne tous.
Je souhaite donc que l'opposition tire les leçons de la situation.
Il y a ensuite, naturellement, une crise au sein des conseils régionaux, dans la mesure où, depuis dix jours, ils semblent
plongés, particulièrement là où des alliances contre nature ont été nouées, dans une sorte de confusion.
M. Jean-Pierre Raffarin. Certains d'entre eux !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Surtout là où des alliances ont été conclues !
Je regrette, à titre personnel, que, faute d'un consensus entre la majorité et l'opposition, nous n'ayons pas pu conduire la
réforme du mode de scrutin des élections régionales, qui aurait sans doute été souhaitable.
M. Jean Chérioux. Il a été instauré par qui ?
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le sénateur, le problème n'est pas de savoir par qui il a été instauré en
1986, puisque, aussi bien en 1986 qu'en 1992, ce mode de scrutin ne vous a pas empêchés de remporter des victoires
sans procéder à une alliance avec l'extrême droite !
Si vous craigniez, comme nous, que ces régions soient plus difficiles à gouverner, ou que certains des vôtres aient la
tentation de passer ces alliances, il fallait alors répondre à l'appel que nous vous avons lancé - que je vous ai lancé - afin
que nous trouvions ensemble les voies d'un consensus pour changer ce mode de scrutin avant les élections !
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Gournac. Prenez-vous-en à la majorité plurielle !
M. Dominique Braye. Vous saviez qu'il y aurait un problème !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Je vous avais dit que je ne voulais pas, en tant que Premier ministre, être accusé
de changer le mode de scrutin quelques mois avant les élections et que seul un consensus m'autoriserait à le faire.
M. Dominique Braye. Vous saviez que vous ne l'obtiendriez pas !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Il n'est pas trop tard pour y procéder,...
M. Dominique Braye. Si, il est trop tard !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. ... et c'est justement pourquoi, monsieur Allouche, vous m'interrogez sur la
modernisation de la vie politique.
Mon engagement sur ce plan est parfaitement clair. J'avais d'ailleurs fait des propositions au pays en 1995, lors de
l'élection présidentielle.
Dans la déclaration de politique générale qui a suivi les élections législatives des mois de mai et juin derniers, j'ai renouvelé
des engagements et un certain nombre d'entre eux ont commencé à être traduits dans les faits.
Nous avons porté à l'Assemblée nationale un nombre accru de femmes.
M. Dominique Braye. Vous n'êtes pas les seuls !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Le Gouvernement comporte en ses rangs, et à des postes de responsabilité, plus
de femmes qu'il n'y en a jamais eu dans les gouvernements de la République jusqu'à maintenant.
Nous avons amorcé la réforme de la justice tendant à sa plus grande indépendance et des propositions seront formulées
dans ce sens le 15 avril prochain au conseil des ministres.
Nous avons engagé une réforme visant à réduire le cumul des mandats et, le 8 avril prochain, des projets de loi seront
présentés par le Gouvernement au conseil des ministres, puis déposés à l'Assemblée nationale.
Ce travail de modernisation de la vie publique doit se poursuivre, et je le poursuivrai !
Je tiens à vous confirmer ici que le Gouvernement présentera bientôt un projet de réforme du mode de scrutin pour les
élections régionales, comme il s'y était engagé.
M. Dominique Braye. Il fallait le faire avant !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Mais je voudrais aussi souligner, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il ne faut
pas croire que les Français ne veulent tirer, comme leçon de ces élections, que la nécessité de procéder à des réformes
des institutions ou des modes de scrutin.
Aucun mode de scrutin n'empêchera des alliances si certains hommes ou certaines femmes veulent s'y prêter. (M.
Caldaguès s'exclame.) Nous devons tous le savoir !
Par ailleurs, nous ferons reculer l'extrémisme dans notre pays si, comme le souhaite le Gouvernement, nous accordons la
priorité d'abord à la lutte contre le chômage et contre les exclusions, notamment pour changer la vie de ceux qui ne
trouvent pas leur place dans notre société, ensuite à l'affirmation de la France sur la scène internationale - nous le faisons,
je crois que nous l'avons prouvé lors de la crise irakienne, aux côtés du Président de la République - enfin à la défense, au
moment de l'instauration de l'euro, d'une conception de la construction européenne plus équilibrée et qui prenne
davantage en compte, là encore, les nécessités de la croissance et du développement de l'emploi.
Si chacune des deux grandes forces de la vie politique française, quelles que soient leurs diversités internes, la droite
républicaine d'une part, la gauche, d'autre part, affirme ces valeurs, croit à ces principes, fait vivre le message de la
République - y compris de manière différente ; nos divergences et nos façons diverses de faire vivre les valeurs de la
République sont, en effet, nécessaires pour que le débat public reste intéressant pour les Français - si donc, chacun, nous
affirmons nos valeurs, si nous refusons toute compromission d'un côté et toute tentation de jouer de l'autre, si nous traitons
les problèmes cruciaux du chômage, de l'exclusion et aussi de la sécurité pour nos concitoyens,...
M. Dominique Braye. Elle manque, la sécurité !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. ... nous pourrons, ensemble et en même temps, pour que la démocratie vive, faire
reculer l'extrémisme dans notre pays. (Bravo ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen. - MM. Hamel et Trucy applaudissent également.)
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