Question de Mme BORVO COHEN-SEAT Nicole (Paris - CRC) publiée le 03/12/1997
Mme Nicole Borvo attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie sur les difficultés de la mise en route du plan de désamiantage du campus de Jussieu. Le campus de Jussieu avec ses 200 000 mètres carrés de locaux est l'un des plus grands ensembles amiantés. Le plan de désamiantage et de mise en sécurité du campus signé en décembre 1996 a fait l'objet d'un contrat entre les établissements du campus et l'Etat. Il a fallu de longues années de lutte en faveur de la sécurité et de la santé des nombreux personnels et usagers du campus de Jussieu, pour aboutir à cet engagement. Aujourd'hui, il s'agit d'appliquer intégralement le plan de désamiantage et de mettre à disposition de l'établissement public du campus de Jussieu les moyens nécessaires à sa réalisation, ainsi que d'ouvrir des négociations entre tous les partenaires intéressés pour aboutir à une mise en oeuvre concrète du contrat de désamiantage. Pour toutes ces raisons, elle lui demande ce qu'il compte faire, afin que les engagements pris par l'Etat soient respectés ?
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Réponse du ministère : Éducation publiée le 04/02/1998
Réponse apportée en séance publique le 03/02/1998
Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, le campus de Jussieu, qui n'a rien d'un campus à l'américaine, avec ses 220
000 mètres carrés de locaux et près de 50 000 usagers et personnels est l'un des plus grands ensembles contaminés par
l'amiante.
Comme chacun le sait, le lien entre l'amiante et le cancer du poumon est connu depuis 1935, prouvé depuis 1955. On sait
que des maladies non cancéreuses sont également provoquées par l'amiante.
L'examen des surfaces floquées effectué en novembre 1995 révèle que, partout, le flocage est en état de dégradation
avancée à Jussieu et que les mesures de protection contre la dissémination des fibres d'amiante ne sont, à quelques rares
exceptions près, ni suffisantes ni satisfaisantes. Il en est conclu un risque de dissémination des fibres d'amiante très élevé
dans la quasi-totalité des locaux et une recommandation de retrait global et rapide de l'amiante.
Des mesures d'urgence ont été prises telles que la pose de films plastiques sur les faux plafonds, mais elles ont un
caractère extrêmement provisoire.
Il a fallu, comme vous le savez, de longues années d'actions en faveur de la sécurité et de la santé des nombreux
personnels et usagers du campus pour obliger le gouvernement précédent à signer avec les établissements en décembre
1996 un contrat de désamiantage et de mise en sécurité.
Pour la première fois depuis vingt ans que dure l'affaire de l'amiante à Jussieu, les impératifs de santé publique semblaient
prendre le dessus.
Le contrat prévoyait le désamiantage complet du site, la mise à disposition de locaux provisoires - 41 000 mètres carrés à
Gentilly dans un bâtiment du CEA, et sur le campus lui-même - et la création de l'établissement public du campus de
Jussieu, chargé de conduire les travaux.
D'ailleurs, le Gouvernement posera la première pierre du plus grand chantier de désamiantage d'Europe en mettant à
disposition, en avril 1998, 6 000 mètres carrés de bâtiments industrialisés ; 9 000 mètres carrés de bureaux en
préfabriqué sont en cours d'aménagement.
Cependant, l'ampleur de la tâche - il s'agit, comme je l'ai dit, de 220 000 mètres carrés - impose de mettre à disposition
les 41 000 mètres carrés prévus pour donner les moyens à l'établissement public de Jussieu de mener à bien l'ensemble
du chantier tout en garantissant la continuité des activités d'enseignement et de recherche.
L'absence de moyens en locaux provisoires conduit l'établissement public à imposer aux laboratoires des conditions qu'ils
ne sont pas en mesure de supporter. C'est le cas, par exemple, des informaticiens de Paris-VI que l'établissement public
voudrait transférer pour une durée indéterminée dans des locaux de bureaux éloignés, les coupant ainsi de l'enseignement.
En outre, les personnels concernés, notamment au travers de l'intersyndicale et du comité anti-amiante de Jussieu,
estiment que les personnels, usagers et syndicats sont sous-représentés au comité consultatif de l'établissement public.
L'accélération de la mise en place du chantier décidée en septembre 1996 nécessite une concertation, nous semble-t-il,
avec tous les intéressés.
Aussi, monsieur le ministre - je sais que vous connaissez bien le problème -, je souhaiterais que vous nous disiez comment
le Gouvernement compte s'y prendre et comment les choses vont pouvoir être accélérées.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Madame le sénateur, je
ferai d'abord deux remarques préliminaires qui me paraissent importantes pour la représentation nationale.
Première remarque, je crois que les confusions n'épargnent pas les organes de presse. Or il est important de distinguer les
faits établis sur la toxicité de l'amiante - qui ne sont pas discutables lorsqu'il est à forte dose - et les faits résultant des
faibles taux.
C'est d'ailleurs pour établir cette différence que le Gouvernement, en la personne de mon collègue, M. le secrétaire d'Etat
à la santé, a nommé un expert chargé de faire la lumière sur ce point. Je ne voudrais pas qu'on utilise les arguments et les
tragédies de l'amiante à haute dose pour évoquer les problèmes de l'amiante à faible dose.
En effet, ce que je vais vous dire maintenant va peut-être vous surprendre : dans l'état actuel des choses, le taux d'amiante
dans les rues de Paris est supérieur à ce qu'il est dans bien des couloirs du campus de Jussieu. Cette affirmation découle
de faits mesurés.
Seconde remarque, 230 000 mètres carrés des 320 000 mètres carrés du campus de Jussieu ont été traités avec de
l'amiante et ont été mal entretenus depuis l'origine. Le campus de Jussieu accueille plus de 50 000 personnels et étudiants.
C'est le plus grand de France, non seulement en termes d'étudiants mais également en nombre de laboratoires de
recherche.
Il est donc hors de question d'affaiblir le potentiel d'éducation et de recherche français en prenant des mesures inspirées
d'un certain nombre de propositions fantaisistes annoncées dans le passé. J'y reviendrai.
En outre, sachez que je suis très soucieux de l'autonomie des universités. Par conséquent, les dialogues qui ont lieu dans
ce domaine s'effectuent avec les conseils élus des universités où les personnels sont représentés - ils sont même
majoritaires - et sûrement pas avec des comités autoproclamés qui ne représentent véritablement ni les syndicats, ni les
personnels. C'est là un point très clair.
Au mois de juin dernier, nous nous sommes enquis du problème de la sécurité de Jussieu, non seulement du problème de
l'amiante, que vous soulevez, madame le sénateur, mais aussi, malheureusement - comme je le dis depuis de nombreuses
années - de la mise en sécurité du campus de Jussieu dans tous les domaines.
Le problème du remplacement de l'amiante par un autre produit n'est pas réglé. Or, il faut le savoir, Jussieu subit deux ou
trois incendies chaque année.
Un plan de désamiantage avait été annoncé au mois de décembre 1996, avant mon arrivée au ministère. Ce plan
comportait deux volets.
Le premier présentait des mesures d'urgence destinées à isoler l'amiante présent sur le campus de Jussieu. Il a été achevé
cet été, et les très nombreuses mesures effectuées sur le site - plus de 500 au deuxième semestre de 1997 - montrent que
le taux de fibres présentes dans l'air est à l'heure actuelle inférieur aux exigences de la réglementation, voire, je le disais
tout à l'heure, inférieur à celui que l'on peut constater dans beaucoup de rues de Paris.
Le deuxième volet comprenait une déclaration sur le désamiantage, qui n'était assortie d'aucun dispositif opérationnel. Un
établissement public avait certes été créé pour assurer cette mission, son statut avait été publié le 17 avril 1997 et son
président nommé le 30 avril - je précise que ces dispositions ont été prises par le précédent ministre de l'éducation
nationale, et que je me trouve donc dans l'obligation d'appliquer la loi, sauf à en faire voter une autre - pour autant
l'établissement était une coquille vide !
Qu'avons-nous fait et où en sommes-nous aujourd'hui ?
L'établissement public a été créé et il fonctionne. Il a recruté un directeur et une dizaine d'agents, bientôt quinze. Il a été
doté d'un budget - car il n'en n'avait pas ! - de 240 millions de francs. Son conseil d'administration, constitué
conformément à la loi, s'est réuni quatre fois.
Le plan de mise en sécurité de Jussieu est maintenant défini. Les études complémentaires sont en cours, en liaison avec les
universités du site pour arrêter le plan d'achèvement du campus - car, de surcroît, ce campus n'a jamais été terminé - et
pour préciser la relocalisation des activités sur le site après les travaux de sécurité.
Quinze mille mètres carrés de locaux supplémentaires seront livrés dans les prochains jours, ce qui permettra les premiers
déménagements, d'ici au mois d'avril, afin de commencer dès cette date les travaux proprement dits de désamiantage et
de mise en sécurité, pour lesquels tous les marchés sont passés.
Nous n'avons aucune intention d'effectuer le désamiantage de Jussieu comme celui de l'immeuble des Communautés
européennes qui a pollué tout le quartier et qui, de plus, a fait que le Berlaymont ne sera pas utilisable avant 2003 ou
2004.
Nous avons donc décidé de faire preuve d'une grande rigueur de manière que le remède ne soit pas plus terrible que le
mal.
Le calendrier des travaux annoncé est donc tenu. Nous continuerons à développer et à achever le site de Jussieu, en
mettant l'ensemble des locaux aux normes de sécurité telles qu'elles sont définies par la loi sans qu'aucun enseignement ne
soit perturbé et sans qu'aucun laboratoire n'ait à déménager plus d'une fois, et non pas deux ou trois fois.
Ce que j'ai entendu dans certaines occasions me donnait à penser que l'on ne se rendait pas bien compte de ce qu'était un
laboratoire scientifique expérimental. On me parlait de les expédier, ici ou là, dans les locaux préfabriqués, ce qui aurait
tué un potentiel scientifique considérable.
Par conséquent, sécurité, intérêt des étudiants, intérêt des chercheurs, tout sera respecté, mais dans une rigueur et une
logique scientifique qui n'ont rien à voir avec le tapage de certains, qui souhaitent se faire des notoriétés de mauvais aloi.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. J'ai pris bonne note de ce que vous venez de dire, monsieur le ministre. Je souhaite cependant
souligner que le comité anti-amiante et d'autres organisations présentes sur le campus de Jussieu ont eu le mérite de faire
prendre conscience de la gravité du problème posé par l'amiante.
Certes, les mesures ont été prises par le gouvernement précédent, mais, il faut bien le reconnaître, sans son action,
peut-être la gravité de la situation ne serait-elle pas prise en compte aujourd'hui.
Vous vous dites soucieux de respecter l'autonomie des universités. Certes, mais l'Etat doit assumer ses responsabilités !
M. le Premier ministre s'est d'ailleurs engagé, vous le savez, à ce que le désamiantage du campus se déroule dans de
bonnes conditions.
J'ai entendu ce que vous venez de dire, monsieur le ministre, mais je crois que les personnels, les chercheurs jugeront sur
pièces ce qu'il en sera du déménagement de leurs laboratoires.
Par ailleurs, selon moi, on ne peut pas considérer qu'il s'agit là d'un problème mineur, d'autant que la question des locaux
de substitution temporaires reste entière.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Madame le sénateur, en
aucun cas je n'ai laissé l'impression qu'il s'agissait d'un problème mineur. Je voulais seulement souligner que le problème
de l'amiante constitue l'un des problèmes majeurs de la sécurité à Jussieu. En effet, rien n'est aux normes de sécurité à
Jussieu !
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