Question de M. BADRÉ Denis (Hauts-de-Seine - UC) publiée le 12/12/1997
Question posée en séance publique le 11/12/1997
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le ministre, vous venez de déclarer que le plan de sauvetage du Crédit lyonnais ne coûtera rien au
contribuable,...
M. Jacques Oudin. Oh !
M. Denis Badré. ... ajoutant qu'au total le secteur public aura davantage rapporté à la collectivité qu'il ne lui aura coûté.
Je crois vous citer avec précision.
En réalité, les Français savent que les pertes du seul Crédit lyonnais sont aujourd'hui estimées à plus de 150 milliards de
francs, soit plus de la moitié du produit de l'impôt sur le revenu. De surcroît, ils commencent à avoir une idée des pertes
accumulées depuis une quinzaine d'années par un certain nombre d'autres entreprises publiques, même s'ils n'ont qu'une
connaissance imprécise de ce que sont, par exemple, les « secteurs de défaisance » du Crédit lyonnais, du Comptoir des
entrepreneurs ou du GAN. Ils commencent donc également à comprendre que l'entreprise publique, cela ne marche pas !
S'agissant de pertes aussi lourdes, les Français ont le droit de savoir et de comprendre.
Ces pertes ne concerneraient pas les contribuables ? Certains continuent pourtant de parler, sans doute improprement,
d'un coût de 6 000 francs par contribuable ! Il y a là un mystère qu'il nous faut éclaircir.
La confusion est-elle entretenue de propos délibéré ? Il vous arrive, monsieur le ministre, dans certains domaines, de
souffler tantôt le chaud, tantôt le froid, pour préparer le terrain à de futures réformes ou pour masquer des responsabilités
socialistes de la période 1989-1993.
Ou bien êtes-vous vraiment embarrassé, comme vous l'avez été sur les fonds de pension, que vous avez condamnés avant
de vous y rallier ?
Monsieur le ministre, nous pensons être capables de comprendre, pour peu que vous nous expliquiez. Si le sauvetage du
Crédit lyonnais ne coûte rien au contribuable, alors, qui règle l'addition ? Plus généralement, qui supporte les pertes des
entreprises publiques, sinon le contribuable ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
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Réponse du ministère : Économie publiée le 12/12/1997
Réponse apportée en séance publique le 11/12/1997
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le sénateur, je suis
ravi que vous me donniez l'occasion d'expliquer un point qui, visiblement, semblait jusqu'à l'instant, confus.
La politique que suit le Gouvernement en matière d'entreprises publiques repose d'abord sur l'idée que la transparence
doit être la plus totale. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai diffusé les dernières prévisions sur les pertes du
consortium de réalisation, le CDR, aussitôt qu'elles ont été disponibles.
Le rapport que, par ailleurs, je viens de remettre au Parlement sur la gestion 1996 des vingt-trois plus grands groupes
publics, soit environ 1 200 000 salariés, apporte la réponse aux questions que vous posez. D'ailleurs, c'est sans doute
après avoir lu ce document et pensant qu'il était bon d'en saisir l'ensemble du Sénat que vous avez eu l'obligeance de
m'interroger sur cette question, ce dont je vous remercie. (Sourires.)
Ce rapport montre d'abord que, si nous regardons les résultats des entreprises publiques sur les dix dernières années,
certaines ont enregistré des pertes, d'autres des bénéfices. Au total, la perte sur dix ans pour l'ensemble du secteur public
est légère, un milliard de francs, disons l'équilibre.
Ainsi, on constate qu'en dépit des pertes enregistrées par certaines entreprises publiques d'autres ont fait suffisamment de
bénéfices pour que, au total, le secteur public ait, ces dix dernières années, apporté à notre pays autant de résultats
positifs que de résultats négatifs. On pourrait faire le calcul sur une plus longue période, mais dix ans, cela me paraît
raisonnable.
Les déficits les plus importants ont été enregistrés en 1993 et en 1994. C'est, notamment, le cas du Crédit lyonnais et du
GAN, que vous rappeliez tout à l'heure. A partir de 1997 - ce sont des prévisions, car je ne dispose pas encore des
chiffres définitifs, vous le comprendrez - l'ensemble du secteur public devrait connaître une situation bénéficiaire, ce qui
veut dire que, lorsque l'on fera la somme des dix dernières années en y incluant, cette fois, l'année 1997, on ne sera pas à
moins un milliard de francs, mais plutôt un peu au-dessus de zéro. Voilà pour les résultats d'exploitation.
Cela étant, vous avez raison de le souligner, certaines situations étaient inacceptables ; j'ai parlé du Crédit lyonnais ou du
GAN, dont on sait que les pertes sont importantes. La somme de 150 milliards de francs pour le Crédit lyonnais que vous
avez citée est sans doute surévaluée, mais c'est celle de la Commission de Bruxelles. Nous pensons, nous, que le chiffre
est erroné, du moins qu'il n'est pas bien calculé ; une prévision de 100 milliards de francs me paraît correcte. De toute
façon, le débat ne porte pas sur les chiffres.
Ce qu'il faut, me semble-t-il, c'est mettre tout cela en perspective. Dans le secteur public, il y a, il est vrai, de la
destruction de richesses ; ce sont les deux cas que vous avez cités, le Crédit lyonnais et le GAN. Mais il y a eu aussi
beaucoup de création de richesses. Si, aujourd'hui, nous avons, en France, des entreprises aussi puissantes que Elf
Aquitaine, France Télécom, et, dans des domaines plus modestes, SGS-Thomson, formidable réussite de la
micro-électronique, c'est parce qu'elles sont nées dans le secteur public. Allons un peu plus loin et comparons la gestion
d'une même entreprise, privée puis publique : Usinor, par exemple. On constate qu'Usinor a retrouvé la santé et la
rentabilité - ce qui a permis d'ailleurs sa privatisation - quand elle était publique, alors qu'initialement Usinor, entreprise de
sidérurgie privée, connaissait les déficits que vous savez. Du reste, on parlait beaucoup à l'époque des pertes de la
sidérurgie. Eh bien ! Usinor, une fois nationalisée, a retrouvé l'équilibre.
Loin de moi l'idée de prétendre que le secteur public soit toujours bénéficiaire, les chiffres montrent que tel n'est pas le
cas. Il ne faudrait cependant pas pour autant que, par une sorte de masochisme bien français, nous battions notre coulpe
et que nous considérions systématiquement que le secteur public a toujours été déficitaire.
Mais j'en viens à votre question précise.
M. le président. Monsieur le ministre, je vous en prie...
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'en viens « rapidement »,
monsieur le président, à la question précise. (Sourires.)
Il n'y a pas la télévision, aujourd'hui, mais les sénateurs sont tout de même présents !
M. Henri de Raincourt. Merci pour eux !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Un peu moins nombreux, à vrai
dire, que lorsque la télévision retransmet ! (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean Chérioux. Encore fallait-il le savoir ! Vous le saviez, nous, pas !
M. Emmanuel Hamel. Monsieur le ministre, on s'en va !
M. le président. Mes chers collègues, laissez M. le ministre aborder la question : je l'attends avec impatience !
(Sourires.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Sur la masse totale, seuls les
chiffres que je vous ai cités jusqu'à maintenant concernaient les résultats.
Si maintenant nous regardons les produits de cession et les dividendes, d'un côté, ce qu'il a fallu recapitaliser, de l'autre,
on constate que, toujours au cours des mêmes dix dernières années, 290 milliards de francs de dividendes et de produits
de cession ont été encaissés par l'Etat...
M. Jean Chérioux. Et le coût des nationalisations ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... et que 155 milliards de francs
de recapitalisation ont été nécessaires. Par conséquent, le solde patrimonial pour le secteur public est de 135 milliards de
francs à la date d'aujourd'hui.
M. Jean Chérioux. Moins le coût des nationalisations !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Infiniment inférieur et ancien,
monsieur Chérioux ! Je crois d'ailleurs me rappeler que certaines banques nationalisées l'ont été au lendemain de la
guerre, et par le général de Gaulle. Vous en avez, comme moi, le souvenir, monsieur le sénateur.
M. Jean Chérioux. Je parle non pas de ces nationalisations-là, mais de celles de 1981 !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Donc, s'il est normal de
regarder les pertes, il faut aussi regarder les recettes.
Vous conviendrez avec moi que le petit calcul qui consiste à dire : tant de pertes du Crédit lyonnais, divisées par tant de
Français, cela fait x milliers de francs par Français, n'a strictement aucun sens ! Ou il faudrait, sinon, considérer, de l'autre
côté, ce que le secteur public a rapporté à l'Etat. Je sais bien que, de 1993 à 1995, ce que le secteur public a rapporté à
l'Etat en produits de cession a été utilisé dans le budget général, ce qui est certainement une très mauvaise pratique, au lieu
d'être consacré à la recapitalisation des entreprises publiques qui en avaient besoin... Au-delà de ce petit détail,...
M. Philippe François. Quoi, un détail ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... il est clair que le solde des
entrées et des sorties liées au secteur public est positif pour notre pays. Par conséquent, monsieur Badré, il est légitime de
dire que, au total, le secteur public aura davantage rapporté aux Français qu'il ne leur aura coûté.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Bien sûr, s'il n'y avait pas eu les
pertes, il aurait rapporté encore plus !
M. le président. Je vous en supplie, monsieur le ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je conclus, monsieur le
président, mais je pensais que la question intéressait le Sénat.
M. le président. Monsieur le ministre, l'intérêt de la question n'est pas en cause ! Bien sûr, tout cela intéresse
le Sénat, mais ce sont des questions d'actualité.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je conclus donc en vous
disant, monsieur le sénateur, que vous pouvez être fier de votre secteur public, qui, globalement, aura
rapporté beaucoup plus à votre pays que ce que quelques malheureuses affaires ont pu lui coûter !
M. le président. Monsieur le ministre, ce n'est pas du tout pour vous contrarier, mais, je le répète, les
questions d'actualité sont consacrées à l'actualité ; il ne s'agit pas d'exposer à chaque fois la politique du
Gouvernement ! Le sujet est très intéressant, vous avez raison, mais il faut que chacun puisse poser sa
question. Vous disposez normalement de deux minutes trente pour répondre, vous en êtes à sept !
M. Raymond Courrière. Si vous ne voulez pas qu'on nous réponde, ce n'est pas la peine que nous posions des
questions !
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