Question de M. NEUWIRTH Lucien (Loire - RPR) publiée le 19/02/1997

M. Lucien Neuwirth attire l'attention de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation sur les conséquences de l'article 89-II de la loi no 96-1093 du 10 décembre 1996 relative à l'emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d'ordre statutaire qui met fin à la règle dite " du surnombre " permettant aux directeurs de recherche des établissements publics scientifiques et techniques de prolonger leurs activités jusqu'à soixante-huit ans. En conséquence, ces derniers ne pourront désormais plus exercer leurs fonctions au-delà de soixante-cinq ans. Même si l'éméritat peut leur permettre de participer à des jurys de thèse, de diriger des travaux de séminaire et de contribuer à des travaux de recherche tout en percevant une pension de retraite, ils ne pourront plus, dans les faits, poursuivre leurs travaux faute de pouvoir en assurer la direction et la responsabilité. Or, figurent parmi eux certains représentants les plus illustres de la recherche française, ce qui risque de porter préjudice à des établissements prestigieux tels que le CNRS ou l'INSERM et à l'avenir de cette discipline dans notre pays. Par ailleurs, la réalisation des contrats internationaux sur lesquels ces chercheurs sont actuellement engagés pourrait être sérieusement compromise, sans compter la " fuite des cerveaux " à l'étranger qui est susceptible d'en résulter. En conséquence, il lui demande de réexaminer l'article 89-II susmentionné, issu d'un amendement gouvernemental et dont les effets, s'il était maintenu, lui paraissent de nature à porter atteinte à un secteur fondamental de notre économie.

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Réponse du ministère : Fonction publique publiée le 26/02/1997

Réponse apportée en séance publique le 25/02/1997

M. Lucien Neuwirth. Monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur une disposition adoptée dans le cadre
de la loi du 10 décembre 1996 relative à l'emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d'ordre statutaire, qui
m'apparaît très préoccupante pour l'avenir du secteur de la recherche dans notre pays.
Il s'agit de l'article 89-II de cette loi, qui supprime la possibilité pour les directeurs de recherche du CNRS et de
l'INSERM de rester en activité jusqu'à l'âge de soixante-huit ans.
Cet article soulève trois problèmes graves.
Le premier est qu'il va bouleverser profondément les équipes actuellement en place dans de nombreux domaines
scientifiques. En effet, lorsqu'un directeur de recherche part, son unité est, en général, dissoute. Tout changement brutal
des règles de fonctionnement de ces équipes a donc des conséquences multiples et contreproductives.
Même si l'éméritat - c'est-à-dire l'honorariat, selon un terme plus usité - peut permettre à des directeurs de recherche de
contribuer à certains travaux, ils ne pourront plus en assurer véritablement la direction, et donc la responsabilité.
L'éméritat peut leur permettre de participer à des jurys de thèse, de diriger des travaux de séminaire, de contribuer à des
travaux de recherche tout en percevant une pension de retraite, mais ils ne pourront plus, dans les faits, poursuivre leurs
travaux, faute de pouvoir en assurer la direction et la responsabilité. Tous les aspects d'organisation et de gestion, en
particulier, leur échapperont.
L'application de cette règle va donc signifier, dans la plupart des cas, l'arrêt brutal d'activités de recherche en plein
développement dans des secteurs de pointe. Or, et c'est choquant, cette mesure est intervenue sans aucune concertation
avec les intéressés et de manière totalement discriminatoire, puisque les professeurs d'université, qui bénéficient également
de la règle dite « du surnombre » leur permettant d'exercer leurs activités jusqu'à soixante-huit ans, ne sont pas touchés
par la nouvelle limite d'âge. On peut d'ailleurs s'interroger sur la constitutionnalité de cette mesure au regard du principe
d'égalité devant la loi !
Le deuxième problème réside dans le fait qu'imposer une limite d'âge dans ce domaine n'a pas de sens. Pasteur a créé son
institut alors qu'il avait soixante-six ans ! Le professeur Jean Dausset avait le même âge lorsqu'il a institué le centre de
polymorphisme humain, si important dans les recherches sur le génome humain. Il s'agit d'un secteur où, plus que partout
ailleurs, l'expérience est essentielle et où les compétences et le savoir se mesurent avec le temps. Imagine-t-on le
professeur von Braun arrêtant ses travaux à soixante-cinq ans ? Y aurait-il eu alors une mission Appollo et un
débarquement sur la lune ?
Je regrette la multiplication, depuis quelques années, de ces limites d'âge « couperet » qui ne tiennent compte ni du mérite
ni de l'intérêt de notre pays. On sait, par exemple, que cette mesure ne créera aucun poste nouveau de chercheur, puisque
ces postes sont libérés automatiquement lorsqu'un chercheur atteint l'âge de soixante-cinq ans.
Enfin, puisqu'il semble que l'origine de cette mesure soit d'ordre financier, je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, si
l'on a évalué son impact sur notre économie. A-t-on calculé son coût, c'est-à-dire la différence entre les économies qu'on
cherche à réaliser et les conséquences globales de ce dispositif ? A-t-on pris en compte, notamment, « la fuite des
cerveaux » qui pourrait en résulter ? Je connais quelques éminents spécialistes qui ont déjà été contactés par des
universités américaines pour aller travailler aux Etats-Unis...
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Lucien Neuwirth. ... et je trouve regrettable qu'une telle mesure conduise à appauvrir notre potentiel scientifique de
valeur mondiale et à renforcer celui de nos concurrents.
Par ailleurs, comment sera assurée la réalisation des contrats internationaux sur lesquels ces chercheurs sont actuellement
engagés ?
Je crains, pour ma part, des conséquences très dommageables, et pour longtemps. En effet, comment l'image d'instituts
prestigieux, comme l'Institut Pasteur ou l'Institut Curie, n'en serait-elle pas profondément affectée ? Ce sont des questions
qu'on peut, monsieur le ministre, légitimement se poser, et plus encore quand on connaît le nombre relativement peu élevé
des intéressés.
Aussi, je vous demande, monsieur le ministre, de bien vouloir réexaminer sérieusement cette disposition afin d'éviter de
telles conséquences et avant qu'il ne soit trop tard. Les éminents chercheurs que j'ai rencontrés sont prêts à vous aider
pour trouver une solution plus satisfaisante et permettre, pour les projets qui le méritent, le maintien des équipes actuelles
les plus performantes. Il faut remettre à plat ce dossier et j'espère, monsieur le ministre, que nous serons entendus.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation.
Monsieur le sénateur, je voudrais d'abord revenir sur le contenu de la mesure et sur sa gestation, puis formuler quelques
observations.
Je relève tout d'abord qu'il s'agit d'un sujet de débat puisque, vous le savez, en 1984, l'âge de la retraite avait été ramené
de soixante-huit ans à soixante-cinq ans, puis on est revenu en arrière en 1986, et encore pas complètement, puisque les
trois ans de bonification de retraite qui avaient été accordés en 1984 ont été maintenus, bien que l'âge de départ
obligatoire à la retraite ait été à nouveau reculé, ce qui constitue d'ailleurs un élément intéressant compte tenu de la
situation actuelle.
Quant à la concertation, elle a eu lieu, même si elle n'a pas été perçue comme telle par les intéressés parce qu'ils n'ont pas
obtenu satisfaction. Nous savons bien, les uns et les autres, ce qu'il en est à cet égard. Mais je voudrais insister sur le fait
que mon collègue secrétaire d'Etat à la recherche a évoqué cette question au début de la réunion des conseils
d'administration des principaux instituts de recherche que vous citiez tout à l'heure, monsieur Neuwirth, et que cette
mesure avait alors été considérée comme positive par ces organismes. Je tenais à le préciser.
Comment la situation se présente-t-elle ?
Tout d'abord, le droit à pension est maintenu, avec les trois ans de bonification obtenus en 1984.
Par ailleurs, l'éméritat autorise ceux qui peuvent en bénéficier - c'est-à-dire les chercheurs qui produisent, qui font des
découvertes et qui jouent un rôle réellement actif dans les laboratoires - à contribuer aux travaux de recherche, à diriger
les travaux de séminaire et à participer aux groupes de thèse.
La différence avec la situation d'activité, c'est effectivement que les actes de gestion du laboratoire ne peuvent plus être
assumés par une personne retraitée, fût-elle émérite. Cependant, cet aspect « gestion » peut être assuré par un autre
scientifique de la même équipe. C'est d'ailleurs ce qui se pratique d'ores et déjà aujourd'hui dans certains laboratoires.
Nous pourrons en parler ensemble si vous le souhaitez.
Dans ces conditions, comme mon collègue chargé de la recherche, je ne pense pas que cette mesure puisse arrêter les
programmes internationaux. Il y aura, bien entendu, transfert de la charge de la gestion au sein des laboratoires.
Puisque vous avez fait des comparaisons internationales, sachez que, dans la plupart des pays européens, l'âge de la
retraite pour les chercheurs est inférieur à soixante-cinq ans, en particulier en Grande-Bretagne et en Allemagne.
Comment peut-on sortir de cette difficulté ?
Bien que la situation soit tout à fait admise par les dirigeants des organismes de recherche comme par les organisations
syndicales de chercheurs, un certain nombre de cas particuliers posent problème. Nous en sommes tout à fait conscients,
et j'ai eu, comme mon collègue chargé de la recherche, l'occasion d'en discuter avec un certain nombre de personnalités
du monde de la recherche.
Mon collègue M. d'Aubert a mis en place un groupe de travail, car nous pensons qu'il est possible d'assouplir les
conditions d'exercice de l'éméritat.
Il est absolument indispensable de maintenir l'ensemble des possibilités d'activité de certaines personnalités scientifiques,
et le fonctionnement concret des laboratoires doit mieux correspondre à leur attente. Ce groupe est aujourd'hui au travail,
monsieur le sénateur, et je pense que, d'ici à quelques jours, voire à quelques semaines, nous pourrons vous préciser les
conclusions auxquelles nous aurons pu aboutir.
La dernière question que vous m'avez indirectement posée concerne le gain financier de la mesure. Pour les deux
organismes que vous avez cités, le CNRS et l'INSERM, il est de l'ordre de 70 millions de francs. Il augmentera
progressivement, pour atteindre 150 millions de francs en l'an 2000 compte tenu des possibilités de réaffectation sur ces
postes de personnes à rémunération plus faible.
Telles sont les indications que je voulais vous donner.
Soyez bien assuré, monsieur le sénateur, que nous recherchons une solution concrète pour un certain nombre de cas
particuliers.
M. Lucien Neuwirth. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth. Monsieur le ministre, l'une des principales causes du malentendu tient au fait que, si votre collègue
chargé de la recherche a réuni les conseils d'administration des établissements concernés, les chercheurs n'y participent
pas.
Par ailleurs, une telle décision a eu un effet très dommageable sur le plan international pour notre pays car, pour les
quelques chercheurs qui sont véritablement en pointe, ne plus être directeur de recherche est très significatif. Pour un
projet très « pointu », un directeur de recherche donne une impulsion ; il doit donc conserver des responsabilités dans la
poursuite des recherches pour les mener à leur terme.
C'est pourquoi je suis satisfait de vous entendre dire que vous souhaitez résoudre ce problème. Il me semble que le plus
tôt sera le mieux afin que nous puissions effacer l'impression tout à fait détestable que nous avons donnée dans le monde -
des commerciaux, qui ne sont pas des chercheurs, l'ont constaté - avec une mesure qui a été présentée quelquefois d'une
façon assez tendancieuse.
Il serait souhaitable que l'on puisse annoncer assez rapidement qu'une solution correspondant à l'intérêt non pas des
chercheurs mais de la recherche a été trouvée. Nous sommes tous, en effet, impliqués.

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