Question de M. RENAR Ivan (Nord - CRC) publiée le 31/01/1997

Un nombre de plus en plus élevé de structures culturelles, fonctionnant sous forme d'associations régies par la loi de 1901, sont soumises à des contrôles et à des redressements fiscaux. Les activités culturelles sont ainsi assimilées, par les services du fisc, à des activités commerciales. De fait les associations doivent être assujetties à l'impôt sur les sociétés, à la taxe professionnelle et à la taxe d'apprentissage. Cette vision erronée et à courte vue des activités culturelles, uniquement fondée sur la recherche de nouveaux " gisements " fiscaux menace l'existence même de très nombreuses structures culturelles. Elle constitue également une remise en cause du système français de financement de la culture, des arts, que l'on caractérise par l'expression " exceptionnalité française ". En conséquence M. Ivan Renar demande à M. le ministre de la culture les mesures qu'il compte prendre pour s'opposer à de telles pratiques et protéger les structures menacées.

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Réponse du ministère : Culture publiée le 05/02/1997

Réponse apportée en séance publique le 04/02/1997

M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans sa chasse aux « gisements fiscaux
», le ministère de l'économie et des finances a trouvé de nouvelles cibles de choix : les structures culturelles.
Sont ainsi visées les structures organisées sous forme d'association « loi de 1901 » dont certaines activités, exercées dans
un secteur concurrentiel, comme la billetterie et la publicité, sont assimilées à de simples activités commerciales. De fait,
sont désormais exigés taxe professionnelle, taxe d'apprentissage et impôt sur les sociétés. Les médias ont longuement
évoqué la situation de l'orchestre de l'Opéra et celle du festival de Montpellier. La Grande Ecurie et la Chambre du Roy,
dirigée par Jean-Claude Malgoire et qui se produit dans le cadre de l'Atelier lyrique de Tourcoing, n'y a pas échappé, pas
plus que de nombreuses autres structures dont l'énumération serait trop longue. Assimiler ainsi activité culturelle et activité
commerciale ne peut manquer d'avoir des conséquences perverses.
Mesure-t-on toutes les conséquences de cette situation ? Alourdir la charge fiscale des structures culturelles, c'est toucher
à des équilibres très précaires. En clair, personne ne pourra faire face à ces dépenses nouvelles, sauf à réduire les activités
et les créations, à augmenter les prix ou à solliciter de très hypothétiques hausses de subventions. Au bout du compte,
c'est dans tous les cas le public qui sera lésé.
Nous touchons là le coeur du problème. Traiter la culture du seul point de vue économique ou fiscal, c'est maltraiter le
fondement même de l'activité culturelle. C'est la ramener à un superflu, à un supplément d'âme facultatif dont nous
pourrions nous passer. C'est nier son rôle social, son apport dans le développement des citoyens. On nous parle trop
souvent du coût de la culture, mais se pose-t-on la question du coût de l'absence de culture ? Aucun orchestre, aucun
théâtre, aucun opéra n'a pour logique la recherche du profit. Or, dans ces temps de barbarie ordinaire, on a plus que
jamais besoin de ces moments d'humanité et de civilisation qu'offre le partage de l'émotion artistique. La subvention que
Bercy veut taxer n'est, en définitive, qu'une aide sociale pour que la culture soit accessible à tous.
Je ne fais pas de Bercy un bouc émissaire. Il y a un gouvernement, un Premier ministre et un ministre de la culture que
j'interroge aujourd'hui ! Mais je m'inquiète et je proteste contre toutes ces pratiques qui, cumulées, affaiblissent notre vie
culturelle.
Je prendrai un exemple frappant pour illustrer mon propos, je veux parler du licenciement de M. Gérard Paquet, le
directeur du Théâtre national de la danse et de l'image de Châteauvallon, sans aucune raison de fond valable. Comment
ne pas voir dans ce que l'intéressé lui-même a appelé un « lynchage politique » le résultat d'un règlement de comptes
anticulturel mené par l'extrême droite ? En l'occurrence, je m'étonne, comme beaucoup de personnes et vous le savez
bien, monsieur le ministre, du recul de l'autorité de l'Etat considéré globalement.
C'est pourquoi je vous demande de mettre tout en oeuvre pour mettre fin à ces procédés.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. D'abord, je ne voudrais pas, monsieur le sénateur, que soit fait un
amalgame entre, d'une part, un administrateur judiciaire qui décide de licencier M. Paquet - comme je l'ai déjà dit à
plusieurs reprises, je regrette ce licenciement car j'ai toujours aidé M. Paquet, qui a toute ma confiance - et, d'autre part,
l'aspect fiscal et le problème de l'impôt sur les sociétés, de la taxe professionnelle et de la TVA. Il s'agit de deux choses
différentes. Je le dis ici clairement : c'est en faisant des amalgames de ce genre que l'on risque des ennuis avec l'extrême
droite.
Pour ma part, je suis derrière l'équipe de Gérard Paquet, qui anime depuis trente ans le festival de Châteauvallon.
La question que vous m'avez posée concerne le problème de la fiscalité des associations culturelles, sujet que je connais
bien et qui est au centre des préoccupations de mon département ministériel.
J'ai déjà écrit à plusieurs reprises au ministre de l'économie et des finances et au ministre délégué au budget pour leur faire
part de mes préoccupations sur les contrôles fiscaux en cours.
Je sais le Premier ministre très sensible aux enjeux importants de ce dossier, qui s'inscrit dans celui, plus global, de la
fiscalité des associations de la loi de 1901. Il a d'ailleurs tenu à le préciser récemment.
Je rappelle qu'un groupe de travail ministériel, constitué sur l'initiative du Premier ministre sous l'égide du Conseil national
de la vie associative, a examiné la possibilité de définir un concept d'utilité sociale déterminant un statut juridique et fiscal
particulier des associations d'intérêt général.
Les propositions de ce groupe de travail sont actuellement à l'étude et donneront lieu à des précisions du Gouvernement.
Je souhaite bien évidemment, comme vous, que les différentes associations culturelles puissent bénéficier d'aides
maximales pour qu'elles ne soient pas pénalisées car elles constituent le tissu culturel vivant de notre pays.
Le Gouvernement sera particulièrement attentif - je m'y engage - à ne pas pénaliser les nombreuses associations
culturelles qui, sur le terrain, font un travail remarquable pour rendre la culture accessible à tous.
C'est en ce sens que je voudrais rappeler les propos récents du Premier ministre, qui a souhaité que les associations ne
fassent pas les frais d'un changement d'interprétation de l'administration fiscale.
En ce qui concerne la situation du Théâtre national de la danse et de l'image de Châteauvallon, dont vous me parlez, j'ai
personnellement soutenu depuis juin 1995, et à de nombreuses reprises, M. Gérard Paquet, son équipe et son projet.
M. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration. Et moi,
financièrement !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Je voudrais profiter de sa présence au banc du Gouvernement pour
dire que M. Gaudin, qui est président du conseil régional de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, a toujours aidé
financièrement le festival de Châteauvallon. En effet, sans son aide, depuis plusieurs années, il n'aurait pas été possible de
financer ce festival. Vous êtes devant des personnes qui sont des démocrates, qui ont voulu sauver ce centre culturel.
Châteauvallon est probablement l'un des points de référence de la culture du sud de la France voire, disons-le, un des
points de référence de la culture de la France ou même de l'Europe.
Je vous invite à faire la différence entre des mécanismes qui relèvent de la fiscalité et une offensive généralisée, pensée et
construite contre la culture, qui est le fait de l'extrême droite.
C'est tous ensemble que nous parviendrons à la stopper. Dans cet esprit, nous nous réunissons le 6 février prochain, avec
les collectivités territoriales concernées, de façon à affirmer la pérennité d'un lieu tel que Châteauvallon, qui, comme
chacun le sait, est un pôle de rayonnement culturel majeur.
M. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration. Très bien !
M. Ivan Renar. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le ministre, je vous donne acte de votre réponse.
En ce qui concerne Châteauvallon, ne voyez pas d'amalgame de ma part. Mon intervention traduit une émotion générale.
Je connais vos efforts, je connais aussi les efforts du conseil régional de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et de son
président, M. Gaudin, à la fois sur le plan financier et sur le plan politique, le mot « politique » étant employé ici au meilleur
sens du terme. Cela dit, l'émotion vient lorsque les problèmes se posent.
Pour le reste mon inquiétude persiste, et je suis obligé de la relier à toute une série d'aspects qui déstabilisent actuellement
la vie culturelle, laquelle est, à notre époque, un élément de civilisation.
Actuellement, a lieu un débat de fond, auquel vous participez, sur la conception, le rôle, la place de la culture et la
responsabilité de l'Etat dans ce domaine. En tout état de cause, nous serons d'accord, je crois, pour dire que la culture
n'est pas une marchandise.
Mais si on s'alignait sur la volonté de Bercy, qui s'affirme sur l'ensemble du territoire, de passer le budget « à la toise »,
pour reprendre l'expression de la commission Rigaud, ce serait l'amorce d'un recul de civilisation, la remise en question de
cette « exceptionnalité française », selon laquelle un financement public intervient dans le domaine des arts, de la création,
de la culture.
Or la tentation de considérer la culture comme une activité commerciale est, hélas ! là, et bien là. C'est d'ailleurs le même
état d'esprit qui a présidé à la suppression de l'abattement de 20 % pour les musiciens et les artistes et aux attaques
contre le statut des intermittents du spectacle. On pourrait également évoquer les problèmes, que vous connaissez bien,
des dations, de la remise en question de la loi Malraux et du retrait - j'attire votre attention sur ce point, monsieur le
ministre - des représentants de l'Etat des bureaux des conseils d'administration de grandes structures culturelles. Autant
d'éléments d'inquiétude, et qui vont dans le sens du retrait de l'Etat.
Cela dit - et je suis prêt à vous soutenir dans vos efforts - vouloir faire des économies sur un budget qui représente moins
de 1 % du budget de l'Etat, c'est faire des économies de bouts de chandelles, je l'ai dit à plusieurs reprises aux
représentants du ministère de l'économie et des finances. Cela ne peut en rien régler le problème du déficit budgétaire de
l'Etat. En revanche, quel gâchis, quels dégâts pour les structures culturelles ! Il faut sortir de la démarche selon laquelle il
est fatal qu'il soit fatal que la culture soit toujours traitée après.

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