Question de M. DOUBLET Michel (Charente-Maritime - RPR) publiée le 06/12/1996
Question posée en séance publique le 05/12/1996
M. le président. La parole est à M. Michel Doublet.
M. Michel Doublet. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux.
Un article récent paru dans un grand quotidien national rapporte les propos qui se sont tenus lors du dernier congrès du
syndicat de la magistrature.
Il fait état de propositions destinées à être soumises aux parlementaires et visant, notamment, à modifier le Conseil
supérieur de la magistrature, à permettre à ce dernier d'être saisi par tout justiciable, à diminuer le rôle du garde des
sceaux, à limiter le pouvoir des procureurs de la République, à placer la police judiciaire sous la responsabilité de
l'autorité judiciaire, bref, à bouleverser l'équilibre des pouvoirs tel qu'il a été instauré par les constituants de la Ve
République.
On peut légitimement s'étonner que de telles propositions émanent d'un syndicat censé défendre des intérêts
professionnels, donc catégoriels, qui plus est de magistrats dont le rôle est d'appliquer la loi et non de l'élaborer. (Très
bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est scandaleux !
M. Jacques Mahéas. Vous mettez la main sur tout !
M. Michel Doublet. Ces propositions, outre qu'elles n'ont pas lieu d'être en vertu de la séparation des pouvoirs, visent à
ériger l'autorité judiciaire en véritable contre-pouvoir.
Enfin, en raison des difficultés que rencontre notre pays pour à la fois lutter contre l'immigration clandestine et favoriser
l'intégration des étrangers en situation régulière sur notre sol, il est regrettable que des magistrats se livrent à une critique
systématique des lois votées en la matière par les représentants de la nation et, en général, de notre politique pénale. (Très
bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous faire part de votre sentiment sur ce que je n'hésiterai pas à appeler une véritable
dérive vers une république des juges ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
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Réponse du ministère : Justice publiée le 06/12/1996
Réponse apportée en séance publique le 05/12/1996
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je remercie M. Doublet de sa question...
M. René Rouquet. La réponse va être douloureuse !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... car il me donne l'occasion de réaffirmer devant vous quelques-uns des
principes...
M. René Rouquet. Allez à l'essentiel !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... qui sont inscrits dans notre Constitution et dans nos lois, et qu'il faut
effectivement réaffirmer et appliquer. (Exclamations sarcastiques sur les travées socialistes.)
Je tiens tout d'abord à souligner, monsieur le sénateur, que, dans les propositions qui ont été formulées par le syndicat de
la magistrature, j'ai relevé une phrase qu'il convient également de citer, si l'on veut être juste : « L'indépendance de la
magistrature est non pas un objectif en soi, mais la garantie d'un fonctionnement équitable de l'institution, à l'abri des
pressions du pouvoir politique, sans pour autant lui permettre de faire n'importe quoi en toute impunité. »
Voilà des propos tout à fait fondés, équilibrés, auxquels j'apporte toute mon adhésion. (Rires et exclamations sur les
travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas. Vous êtes un contre-exemple !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. En revanche, s'agissant des propositions consistant à reprendre la réforme de
1993 relative au Conseil supérieur de la magistrature, j'ai déjà eu l'occasion de dire à cette tribune que cette réforme était
récente et qu'elle avait montré toute son efficacité depuis trois ans. Il convient donc d'en poursuivre la mise en oeuvre.
Avec les membres du Conseil supérieur de la magistrature, avec le Président de la République, qui le préside, en tant que
vice-président et garde des sceaux et étant l'artisan de cette réforme, je ne crois pas du tout qu'il faille changer les choses
maintenant. En tout cas, il importe de ne pas le faire dans le sens qui est proposé.
Appliquons cette réforme avec bonne foi de part et d'autre ! C'est ce que je souhaite !
Pour ce qui est de la procédure pénale, des relations entre le Gouvernement, le parquet et la police judiciaire, des
questions se posent effectivement, monsieur le sénateur. Je suis le premier à avoir lancé une réflexion sur une refonte
d'ensemble du code de procédure pénale. Cette refonte est à l'ordre du jour, vous le savez fort bien, car nous ne pouvons
plus, aujourd'hui, nous satisfaire d'un code de procédure pénale qui a été « rapetassé » à plusieurs reprises et qui
comporte beaucoup d'incohérences et de nombreuses insuffisances.
Un travail de réflexion est engagé ! Mon idée est que le Gouvernement puisse proposer un projet de refonte d'ensemble
du code de procédure pénale vers la fin de l'année 1997. (Exclamations dubitatives sur les travées socialistes.)
Toutes ces questions seront naturellement évoquées.
Vous connaissez mon interprétation de l'article 36 du code de procédure pénale : je peux enjoindre de poursuivre, je ne
peux pas enjoindre de ne pas poursuivre. Je tiens à cette interprétation et je voudrais que tout le monde s'y tienne !
Quant aux magistrats, ils ont pour mission - mais tout le monde en est persuadé, me semble-t-il, y compris ceux qui
siègent à gauche dans cet hémicycle - d'appliquer la loi et non pas de la faire. (Bravo ! et applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
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