Question de M. LE GRAND Jean-François (Manche - RPR) publiée le 25/10/1996
Question posée en séance publique le 24/10/1996
M. le président. La parole est à M. Le Grand.
M. Jean-François Le Grand. Madame le secrétaire d'Etat, je n'insisterai pas sur les événements qui sont à l'origine de
ma question : le 10 octobre dernier, un bateau de pêche de Granville a été arraisonné dans les eaux de Guernesey.
Je n'insisterai pas non plus sur la situation juridique qui prévaut dans la baie du Mont-Saint-Michel, car vous la connaissez
parfaitement.
Je précise simplement que les quatre cinquièmes de cette zone sont à statut variable et que les zones de pêche
connaissent, elles aussi, des statuts juridiques complexes et variés.
Permettez-moi, madame le secrétaire d'Etat, de formuler deux observations.
Tout d'abord, l'accord franco-britannique conclu en 1992 n'a absolument rien résolu sur le fond. En revanche, il pose
problème puisqu'il a autorisé les autorités de Guernesey à poursuivre les infractions commises dans les eaux adjacentes
britanniques.
Ma seconde observation découle de la première. Les autorités de Guernesey jugent les infractions à l'aune de leur droit
local. Ainsi, les droits de la défense normalement respectés dans les Etats démocratiques ne le sont pas à Guernesey, d'où
la difficulté de régler les conflits qui naissent lorsqu'un bateau est arraisonné dans ces zones de pêche.
Dès lors, madame le secrétaire d'Etat, je formulerai trois requêtes.
En premier lieu, tout nouvel accord devra porter sur trois éléments particulièrement importants, à savoir la définition claire
des espèces pêchées et des zones de pêche, la gestion rationnelle des fonds faite en commun sur la base d'expertises
scientifiques communes et un contrôle de cette gestion également effectué en commun.
En deuxième lieu, il est inutile de provoquer nos amis jersiais ou guernesiais en les acculant à la faillite ou en leur créant
des difficultés. Il faut leur donner l'autorisation de débarquer leurs produits dans les ports de Granville et de Cherbourg ou
dans des ports voisins qu'ils jugeraient convenables.
Enfin, en troisième lieu, je vous demande d'intervenir, madame le secrétaire d'Etat, afin que soit retirée aux autorités de
Guernesey la délégation de justice dont elles jouissent sur les eaux adjacentes britanniques compte tenu du non-respect
des droits de l'homme. Les difficultés relationnelles entre les bailliages et la tutelle britannique ne doivent pas interférer sur
nos relations de bon voisinage.
Notre histoire et notre patrimoine communs doivent l'emporter sur toute autre considération. Nous avons la chance de
vivre dans une région aux paysages côtiers et marins exceptionnels et de jouir d'une qualité de vie tout aussi
exceptionnelle. Ne gâchons pas ces chances par le manque de sagesse de quelques-uns, fussent-ils amis et Guernesiais !
Je souhaite, en conclusion, que nous puissions dire à nouveau, et le plus vite possible, de nos amis guernesiais ce que
Alexis de Tocqueville disait des gens de la Manche : « Ils sont violemment modérés. » (Sourires et applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
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Réponse du ministère : Francophonie publiée le 25/10/1996
Réponse apportée en séance publique le 24/10/1996
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Margie Sudre, secrétaire d'Etat chargé de la francophonie. Monsieur le sénateur, le Gouvernement français
tout à fait conscient des difficultés rencontrées par les pêcheurs français au large des îles anglo-normandes. Ces difficultés
ne peuvent cependant être résolues que par des accords entre le Royaume-Uni et la France.
Comme vous le savez, les possibilités de pêche s'apprécient dans le cadre de la convention de Londres, qui les prévoit
dans la bande des six à douze milles sous réserve de justifications de droits historiques en ce qui concerne Guernesey et
de l'institution d'une mer commune s'agissant de Jersey.
C'est précisément la contestation de ces droits par le Royaume-Uni qui a justifié l'accord de 1992, dont l'objet ne pouvait
bien évidemment pas être la remise en cause de la souveraineté du Royaume-Uni sur la mer territoriale située au large de
Guernesey.
Le modus vivendi relatif à Guernesey, dont vous soulignez les mérites, a été dénoncé de façon régulière par le
Royaume-Uni depuis le 16 août 1996. Il a néanmoins fait l'objet, à notre demande, d'une « prolongation » provisoire
pendant la durée des négociations sans avoir été officiellement reconduit.
Quant au statut des îles anglo-normandes en général, et de Guernesey en particulier, il n'appartient pas à la France de le
remettre en cause, ni d'ailleurs de s'immiscer dans le droit interne britannique régissant les relations entre les baillages et la
Couronne.
En revanche, la France s'emploiera, lors des négociations, à préserver l'accès à la ressource des pêcheurs français. A cet
égard, les suggestions que vous avez formulées, concernant la pétoncle et la seiche ont retenu toute l'attention du
Gouvernement, qui en tiendra dûment compte dans les propositions de régime commun de gestion qu'il compte soumettre
aux autorités du Royaume-Uni, afin de parvenir à un dispositif permettant une bonne entente entre les professionnels des
deux parties.
Dès le lendemain des incidents du 10 octobre dernier, nous sommes intervenus auprès des autorités britanniques pour les
inciter à ne pas contribuer à détériorer les relations entre les professionnels. Il va de soi que des négociations susceptibles
de déboucher sur des solutions satisfaisantes pour tous doivent se dérouler dans un climat d'apaisement.
C'est pourquoi une plainte éventuelle de la France contre Guernesey devant la Cour européenne des droits de l'homme,
outre son issue incertaine, ne pourrait déboucher que sur une dégradation durable des rapports entre les parties, qui
porterait un préjudice sensible au bon déroulement des pourparlers en cours. (Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
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