Question de Mme LUC Hélène (Val-de-Marne - CRC) publiée le 02/10/1996

Mme Hélène Luc tient à attirer l'attention de M. le Premier ministre sur le risque grave de démantèlement d'un outil essentiel à la production audiovisuelle, qu'entraînerait, s'il était mené à son terme, le projet de privatisation de la SFP. Les tractations engagées jusqu'à présent mettent en évidence que le rachat de la SFP ne consiste qu'en une opération financière, au seul bénéfice de repreneurs privés, auquel s'ajouterait l'engagement par l'Etat de 1,2 milliard de fonds publics dont 670 millions pour financer la suppression de 700 emplois très qualifiés. L'indignation devant de tels procédés est grande chez les salariés, les représentants de la communauté de l'audiovisuel et les élus, et bien au-delà parmi la population. C'est pourquoi elle lui demande de renoncer à toute perspective de privatisation en commençant par décider, comme l'a demandé la majorité du conseil général du Val-de-Marne, un moratoire du processus de privatisation. Elle lui demande également de créer toutes les conditions pour que la SFP demeure une entreprise publique de production apte à jouer tout son rôle dans la création audiovisuelle de notre pays, au moment où s'affirme un besoin accru de production d'images aussi bien de la part des diffuseurs que des télespectateurs.

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Transmise au ministère : Culture


Réponse du ministère : Culture publiée le 16/10/1996

Réponse apportée en séance publique le 15/10/1996

Mme Hélène Luc. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre présence.
La Société française de production, la SFP, est un formidable potentiel humain et matériel : des équipements uniques au
monde se conjuguent avec le savoir-faire et le génie artisan de femmes et d'hommes pour faire de cette entreprise « l'usine
à rêves » qui a tant apporté à notre culture et à notre imaginaire.
Or, depuis nombre d'années, l'Etat s'acharne contre cet outil prodigieux en créant les conditions de son asphyxie et de son
démantèlement : non-respect des engagements de l'audiovisuel public, délocalisations, plans de restructuration à
répétition, gâchis financiers en tous genres, la liste des mauvais coups n'en finit pas !
Aujourd'hui, le Gouvernement vient précipiter le bradage de la SFP dans des conditions scandaleuses d'opacité, de
favoritisme envers des repreneurs, qu'il connaît d'ailleurs bien. Ces repreneurs sont guidés par la seule ambition de la
bonne opération financière et n'ont que faire du rayonnement culturel de la France. A 50 millions de francs, le prix de
reprise équivaut à peine à celui de deux cars régie ; or, il y en a dix à la SFP, le tout étant offert avec une prime d'environ
un milliard de francs, voire plus, de fonds publics pour financer des suppressions de centaines d'emplois. C'est totalement
scandaleux !
Les salariés de la SFP, dont une délégation est présente dans les tribunes avec une délégation de réalisateurs, ont déjà
déjoué plusieurs manoeuvres. Avec mes amis Jack Ralite et Claude Billard, je suis à leurs côtés depuis le coup de force
du Gouvernement qui, dans un texte fourre-tout, a ajouté la SFP à la liste des entreprises privatisables de 1993. La
solidarité avec la SFP se développe dans la communauté pluraliste de l'audiovisuel, des artistes et bien au-delà.
Aujourd'hui, avec eux tous, avec le président du conseil général du Val-de-Marne et sa majorité qui sont à leurs côtés, je
vous demande, monsieur le ministre, d'arrêter cette machine folle en prenant une mesure d'urgence : la suspension du
processus de privatisation inacceptable et l'étude sérieuse d'une solution maintenant les emplois et le savoir-faire de la
SFP dans le service public de l'audiovisuel. Aucune loi n'empêche l'Etat ou le service public d'être repreneur de la SFP.
Ce serait une mesure de bonne gestion des deniers publics et d'économie, car cela reviendrait moins cher.
Ma question est donc courte et précise : qu'en pensez-vous, monsieur le ministre de la culture ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Madame Luc, je voudrais vous répondre aussi directement que
vous m'avez posé la question.
Le commissaire européen, M. Van Miert, m'a bien expliqué que, après avoir vu trois ou quatre de mes précdécesseurs, il
n'accepterait pas un seul instant de plus que la France joue un double jeu et demande encore à Bruxelles un délai de
quelques semaines dans l'attente de la privatisation. M. Van Miert nous a donc mis devant l'alternative suivante : ou choisir
un repreneur pour la SFP, ou liquider l'entreprise.
Mme Hélène Luc. Non, il existe une autre solution !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Or je sais, madame le sénateur, que, aujourd'hui, des centaines de
personnes, dont de grands professionnels - vous l'avez rappelé à juste titre - travaillent à la SFP, et que des familles en
vivent. Une grande compétence est reconnue à la SFP, et j'ai donc envie de sauver cette dernière.
Après que le Parlement se fut prononcé, au printemps dernier, sur le principe du transfert de la SFP du secteur public au
secteur privé, le Gouvernement a décidé par décret en date du 16 juillet dernier d'engager le processus de privatisation de
cette entreprise.
M. Schmeltz, conseiller d'Etat, a été désigné comme personnalité indépendante chargée de veiller au bon déroulement de
la procédure et, surtout, au strict respect des principes de transparence et d'équité de traitement des candidats, s'agissant
en particulier de l'accès aux informations sur l'entreprise et des délais de remise des offres.
L'appel d'offres ouvert depuis maintenant trois mois a fait l'objet d'une très large publicité. Le Gouvernement a reçu une
offre ferme dès le 5 août. D'autres candidats se sont manifestés plus récemment. Le Gouvernement dispose de trois offres
qui sont actuellement examinées.
Le Gouvernement a transmis ces offres à la commission de la privatisation, à la Commission européenne ainsi qu'au
président de la SFP, qui a pris l'initiative de les transmettre au comité d'entreprise et d'engager sa consultation afin de
recueillir son avis.
Le Gouvernement fera très prochainement une recommandation à la commission de privatisation sur l'offre qui lui paraît
préférable.
Les délais de procédure de privatisation devraient permettre au comité d'entreprise de se prononcer sur les offres reçues
avant la décision finale de privatisation qui sera prise sur avis conforme de la commission de la privatisation et, comme
vous le savez, madame le sénateur, après décision de la Commission de Bruxelles.
Il est à mon avis très important de recueillir l'avis du comité d'entreprise pour ne pas lui donner le sentiment d'être mis
devant le fait accompli, ce qui n'est pas du tout le cas.
Le Gouvernement rappelle que, à travers le processus engagé, il s'attachera à vérifier que ces offres apportent des
garanties précises sur le contenu du projet industriel, sur le maintien de l'identité et des compétences de la SFP, propres à
assurer sa pérennité et son développement, ainsi que sur les aspects sociaux. La privatisation de la SFP ne signifie pas
pour cette dernière un rôle moins actif dans la création et la production audiovisuelle ; au contraire, elle peut lui permettre
de trouver un nouvel élan autour d'un projet industriel cohérent et ambitieux. Je compte beaucoup sur cela pour que la
SFP continue à participer au rayonnement culturel de ce pays.
Mme Hélène Luc. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le ministre, vous réaffirmez le caractère inacceptable de cette privatisation, mais les
garanties que vous évoquez ne me rassurent pas du tout ! Je vous prends au mot : dites à M. Van Miert qu'il existe un
repreneur public, puisque vous savez que des propositions existent.
Avec les salariés de la SFP, nous serons extrêmement vigilants sur la suite des événements ; nous ne laisserons pas faire
n'importe quoi, n'importe comment.
Les députés européens ont adopté à une écrasante majorité - vous le savez, je suppose - un rapport soulignant que « la
télévision de service public représente la pierre angulaire d'une société vivante, interactive et démocratique ». D'ailleurs,
Bruxelles demande non pas la privatisation, mais la restructuration, qui coûterait moins cher à la France.
Vous ne respectez donc pas vos propres déclarations, dans lesquelles, monsieur le ministre, vous citiez par exemple la
BBC, qui comprend précisément un pôle public intégré de production. On peut se demander ce que valent tous vos
nobles propos sur la culture si, dans le même temps, les décisions prises ont pour effet de casser les moteurs et les
instruments de celle-ci. Il est bien évident, monsieur le ministre, que nous continuerons le combat !

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