Question de Mme POURTAUD Danièle (Paris - SOC) publiée le 07/06/1996

Question posée en séance publique le 06/06/1996

M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à
M. Borotra.
Plusieurs dizaines de milliers de gaziers et d'électriciens manifestaient hier dans les rues de Paris. Lundi, c'étaient les
salariés de France Télécom. Aujourd'hui, ce sont ceux de la SNCF.
Monsieur le ministre, ces manifestants s'opposent, comme ceux du mois de décembre, au démantèlement entrepris par
votre Gouvernement de tous les services publics au nom du libéralisme dont on sait bien qu'il aboutit toujours à ce que la
loi du plus fort s'impose.
Permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, que nous apportons notre soutien aux salariés des entreprises publiques
qui se mobilisent actuellement pour refuser la politique de privatisation et de déréglementation menée par le
Gouvernement.
Ne vous y trompez pas, monsieur le ministre, il ne s'agit pas de la défense des intérêts catégoriels de quelques porteurs de
mauvaise graisse. (Protestations sur les travées du RPR.) Ces manifestants défendent le service public auquel les
Français sont très attachés. Tous les Français savent bien, même de manière diffuse, que les entreprises publiques sont un
peu les leurs et que les services publics sont les derniers remparts contre une société trop inégalitaire, à l'américaine.
Permettez-moi d'ailleurs de vous rappeler ce qu'écrivait M. Borotra, député, dans une proposition de résolution déposée
à l'Assemblée nationale, le 30 mai 1995. L'Assemblée nationale « rappelle son attachement au service public, seul à
même d'assurer la solidarité entre les Français et entre les différentes parties du territoire national ».
Les Français ne pourront que regretter que le ministre Borotra ne se souvienne pas de ce qu'écrivait le député Borotra.
Permettez-moi maintenant de revenir au problème de l'électricité. Grâce à EDF, la France est le troisième producteur
mondial, le premier européen, et nous avons l'électricité la moins chère d'Europe. Or, monsieur le ministre, il semble que
vous vous apprêtiez à approuver une directive européenne qui risque de bouleverser le marché fançais de l'électricité.
Vous vous apprêtez à accepter d'ouvrir 25 p. 100 du marché français à la concurrence, et ce serait progressivement
porté à 33 p 100 d'ici à six ans.
Si tel est le cas, les gros consommateurs industriels pourront s'approvisionner auprès du producteur de leur choix et
bénéficier de baisses de prix alors que les petits consommateurs, c'est-à-dire la grande masse des Français, devront
payer leur électricité plus chère.
Le problème est suffisamment grave pour que, comme le député Borotra l'année dernière, nous considérions que «
compte tenu de l'importance des principes et des modalités d'organisation des services publics et afin de rendre
incontestables les orientations ainsi arrêtées, il convient d'envisager une consultation populaire dans le cadre des
dispositions de l'article 11 de la Constitution. »
Monsieur le ministre, sans aller jusqu'à demander, comme vous le faisiez l'année dernière, un référendum...
Un sénateur du RPR. Pourquoi pas ?
Mme Danièle Pourtaud. Effectivement, pourquoi pas ?
Donc, sans aller jusque-là, nous souhaitons, au minimum, que la représentation nationale puisse débattre de ce projet de
directive européenne. En effet, lors du précédent débat sur ce sujet, le Sénat a voté ...
M. le président. Venez-en à votre question, je vous prie, madame le sénateur ! Vous avez largement dépassé votre
temps de parole.
Mme Danièle Pourtaud. J'y viens, monsieur le président.
Je disais donc que le Sénat a voté une résolution adoptée, je tiens à le souligner, par le Gouvernement. Certes, il s'agissait
de celui de M. Balladur, qui invitait ce dernier « à refuser toute forme d'accès des tiers au réseau, tant dans le secteur de
l'électricité que dans celui du gaz. »
Monsieur le ministre, pouvez-vous dire à la représentation nationale, qui vous écoute, et à nos concitoyens, qui nous
regardent, quelle sera la position de la France sur le secteur de l'électricité le 20 juin au Conseil des ministres européens et
permettrez-vous à la représentation nationale d'en débattre ? (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que
sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

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Réponse du ministère : Industrie publiée le 07/06/1996

Réponse apportée en séance publique le 06/06/1996

M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste, et des télécommunications. Madame le sénateur, le
Parlement aura, le moment venu, à transposer cette directive européenne, si directive il y a, en droit national. Il va donc de
soi que le Parlement aura à s'exprimer.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Avant ou après ?
Mme Hélène Luc. Il faut que ce soit avant !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. Je tiens par ailleurs à vous dire
que je n'ai pas changé d'avis sur la défense du service public, mais que nous sommes animés par des conceptions
différentes.
Pour moi, le service public, ce n'est ni le statu quo ni le marché libéralisé de manière intégrale.
Pour moi, le service public est constitué de trois éléments essentiels.
Tout d'abord, le service public, c'est la défense des intérêts nationaux et, dans le secteur de l'électricité, c'est fonder
l'organisation du marché sur la priorité nucléaire, qui est le choix de production de notre pays et, en contrepartie, établir
une programmation à long terme. Aucune décision ne sera prise qui ne respecte pas la programmation à long terme. C'est
pour cela que nous défendrons la solution de l'acheteur unique face à la voie de libéralisation généralisée voulue par
certains de nos partenaires européens.
Ensuite, le service public doit remplir sa mission à l'égard de nos concitoyens ; il doit permettre aux 29 millions de
consommateurs de notre pays, domestiques en particulier, et où qu'ils habitent, d'être servis dans la continuité, dans la
qualité et à des prix péréqués. Cela signifie qu'il faut maintenir le monopole de la distribution et du transport de l'électricité.
Nous n'accepterons pas de décision qui remette en cause ce principe.
Enfin, il faut respecter les salariés de l'entreprise. C'est très important parce que, si l'entreprise est ce qu'elle est, c'est à
eux qu'on le doit ainsi qu'au choix des gouvernements qui, année après année, ont conforté le pôle nucléaire de la
production d'électricité en France.
A la demande de M. le Premier ministre, nous avons confirmé qu'EDF était une entreprise publique qui resterait une
entreprise nationale détenue à 100 p. 100 par l'Etat.
Nous avons confirmé au personnel de l'entreprise qu'il était salarié d'EDF et qu'il resterait régi par les conventions
collectives électriciennes et gazières. Nous avons pris l'engagement qu'EDF resterait une entreprise publique intégrée.
En prenant ces engagements, nous défendons les intérêts nationaux, ceux du personnel et ceux de nos concitoyens, dans
une perspective qui ne peut pas exclure un minimum de concurrence. (Exclamations sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
Je vais vous dire pourquoi. C'est parce qu'il existe un autre impératif national ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes
travées.)
Il convient de permettre aux entreprises industrielles d'être compétitives, car, de leur compétitivité, dépend pour l'essentiel
le problème de l'emploi.
M. Jean Chérioux. Bien sûr !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. Quand il s'agit d'entreprises qui
doivent intégrer à leur prix de revient le prix de l'énergie, il n'y a aucune raison de les couper des conditions de la
concurrence. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Nous avons donc choisi une voie claire, celle qui consiste à refuser la libéralisation généralisée du marché. Nous avons
choisi comme voie une ouverture maîtrisée à la concurrence.
Mais je suis au moins d'accord avec vous sur un point, madame le sénateur...
M. le président. Je vous demande de bien vouloir conclure, monsieur le ministre !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. ... si nous ouvrons un certain
secteur aux conditions de la concurrence, c'est précisément parce qu'EDF est l'entreprise qui produit au prix le moins cher
sur l'ensemble de l'espace européen.
Cette société pourra donc, sans porter atteinte aux intérêts des consommateurs domestiques, résister tranquillement aux
conditions de la concurrence d'autres producteurs, qui sont moins compétitifs et moins productifs. (Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)

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