Question de M. DELONG Jacques-Richard (Haute-Marne - RPR) publiée le 27/07/1995

M. Jacques Delong attire l'attention de M. le ministre de l'industrie sur les conséquences de la farce européenne sur l'eurocertification. Difficile, aujourd'hui, de parler de forêt ou de filière bois sans entendre rapidement le mot " écocertification ". Ce mot a une origine récente, mais une carrière fulgurante et un avenir qui, si l'on n'y veille pas de très près et si l'on ne prend pas les mesures voulues, risque de porter un préjudice considérable à notre forêt et à notre industrie du bois. C'est après la conférence de Rio de Janeiro sur l'environnement et le développement, en 1992, que le mot a pris son envol. Résumons à grands traits : l'émotion soulevée par la dévastation des forêts tropicales a amené les pays du Nord à préconiser que les pays du Sud mettent en place une véritable politique de gestion de leur forêt - de gestion durable, c'est-à-dire ne surexploitant ni ne détruisant la forêt. Et, tout naturellement, il fallait que cette bonne gestion, durable, écologique, ne soit pas seulement affirmée, mais constatée, certifiée. D'où le concept de l'écocertification avec, comme corollaire, l'idée que progressivement seuls les bois écocertifiés, " écologiquement corrects ", seraient admis par les consommateurs, les autres étant boycottés, voire interdits de commercialisation. Pour ne pas être taxés de comportement colonialiste, de racisme économique, les pays du Nord se sont vus astreints à s'appliquer à eux-mêmes le processus préconisé par les pays du Sud, et de prouver qu'ils pratiquaient bien la gestion durable de leur forêt, de recourir donc à l'écocertification. Et c'est là qu'apparaissent les marchands du temple. Prenons un pays ayant de très vastes forêts homogènes, exploitées par des sociétés concessionnaires sur plusieurs dizaines de milliers d'hectares à la fois : ce pays va demander à un organisme non gouvernemental, réputé indépendant et autoproclamé compétent, d'écocertifier sa gestion, ce qui sera simple, peu onéreux, et n'aura qu'une très faible incidence sur le prix du bois produit. Prenons à l'inverse un pays ayant une forêt très variée, répartie entre de très nombreux propriétaires, dont le bois est exploité et transformé par de multiples entreprises de petite dimension : c'est le cas de la France. Le même système devient très complexe à mettre en oeuvre pour assurer le suivi de la forêt au sciage ou à la pâte à papier, donc très onéreux, grevant lourdement le prix du bois produit. La concurrence est dès lors faussée, non seulement entre la production de bois des deux pays, mais pour le second, entre le bois et ses matériaux concurrents. Certains Etats du Nord grands producteurs forestiers ont très vite vu les avantages qu'ils pourraient tirer de l'écocertification ainsi conçue, et font preuve d'un grand zèle pour mettre en place ce type d'écocertification à leur convenance. Ainsi des certifications écologiques très estimables vont servir, si l'on ne réagit pas très rapidement, de paravent à une machination économique de grande ampleur, qui mettra la filière bois de la France et de divers Etats de l'Union européenne en grand péril. D'autres moyens existant pour prouver la gestion durable de notre forêt sans obérer les coûts de production, il lui demande quelles mesures il compte prendre pour les faire prévaloir, dans les discussions internationales, et les faire valider de toute urgence.

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Transmise au ministère : Agriculture


Réponse du ministère : Agriculture publiée le 07/12/1995

Réponse. - Le ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation comprend les inquiétudes de l'honorable parlementaire sur le dossier de l'écocertification. Comme celui-ci le souligne, il s'agit d'une notion neuve, qui résulte de l'émotion suscitée par la déforestation dans certains pays tropicaux. Les pays du Nord, inquiets de la régression de certaines de ces forêts, ont préconisé, depuis plusieurs années, l'élaboration et la mise en oeuvre de politiques de gestion durable. Sous la pression de leurs opinions publiques, sensibles aux problèmes écologiques, une écocertification des bois tropicaux est donc désirée. Celle-ci consiste à prouver au consommateur final que les bois tropicaux proviennent de forêts gérées de manière durable et donc que le capital forestier n'est pas atteint par l'exploitation et la vente de bois sur les marchés européens. Mais, très vite, sous la pression des pays tropicaux eux-mêmes, qui n'acceptent pas d'être soumis aux exigences des pays consommateurs sans que ces derniers respectent les mêmes règles, l'écocertification a concerné, dans les négociations internationales, les pays tempérés, qui appliquent pourtant des règles de gestion durable depuis longtemps. Les entreprises des pays scandinaves et nordiques, comme celles d'Amérique du Nord, ont rapidement compris l'avantage commercial qu'elles pouvaient retirer de cette démarche. C'est pourquoi, elles ont commencé à définir les conditions d'une écocertification qui pourrait s'appliquer à leur produits. On peut comprendre l'intérêt que procurerait à ces pays, dont les unités forestières sont vastes, la biodiversité faible et l'intégration amont/aval forte, un système d'écocertification, qui serait séduisant pour le consommateur, et apaiserait ses craintes, pourtant infondées, sur la destruction de forêts par l'exploitation et la récolte de bois. Ce serait un argument commercial supplémentaire, alors même que les économies forestières du Nord de l'Europe ont un poids et une compétitivité très importante sur le marché européen. La France ne peut partager ces vues. La propriété forestière y est morcelée, les essences nombreuses et le secteur de l'exploitation forestière complexe, comme l'a souligné l'honorable parlementaire. En outre, les règles du code forestier imposent déjà des contraintes et des garanties de bonne gestion aux propriétaires, tandis que le suivi du produit jusqu'au consommateur y serait plus difficile en raison du nombre important d'acteurs entre le propriétaire et l'industriel. C'est pourquoi, aussi bien dans les négociations internationales que dans les enceintes de normalisation, les représentants français ont souligné les caractéristiques propres au forêts tempérées d'Europe de l'Ouest qui ne permettent pas d'élaborer un système au niveau de la propriété forestière, à moins de vouloir pénaliser le bois par rapport aux autres matériaux en raison des surcoûts qui en résulteraient. Au surplus, les obligations du code forestier imposent déjà une gestion durable aux propriétaires dans la grande majorité des cas. Dans la mesure où les règles étatiques, qui s'appliquent de droit, ne peuvent être contrôlées par des organismes indépendants, l'écocertification devrait comporter des engagements volontaires supplémentaires qui s'avéreraient très lourds pour les propriétaires. C'est ainsi que la commission de développement durable, qui a confié à un groupe intergouvernemental (Panel) le soin de faire avancer ces questions, ne parle que d'écocertification volontaire. Les discussions menées lors de la première réunion qui s'est tenue au siège de l'ONU à New-York début septembre, et auquel la France était bien entendu représentée, ont réintroduit le mot " volontaire " dans le texte du mandat qui fixe le programme de travail international conduit sur cette question. Il ne semble donc pas que l'on se dirige vers un système d'écocertification imposé au plan international. Il n'empêche, au-delà de ces prises de position gouvernementales, que l'écocertification constitue avant tout un enjeu commercial. Dans la mesure où nos concurrents s'en serviraient auprès des consommateurs, nos entreprises ne pourront s'y soustraire. Il convient donc que les partenaires socio-professionnels se concertent pour proposer un système qui, sans désavantager la petite propriété, renforcera les performances du secteur forêt-bois sur les marchés internes et externes. ; siège de l'ONU à New-York début septembre, et auquel la France était bien entendu représentée, ont réintroduit le mot " volontaire " dans le texte du mandat qui fixe le programme de travail international conduit sur cette question. Il ne semble donc pas que l'on se dirige vers un système d'écocertification imposé au plan international. Il n'empêche, au-delà de ces prises de position gouvernementales, que l'écocertification constitue avant tout un enjeu commercial. Dans la mesure où nos concurrents s'en serviraient auprès des consommateurs, nos entreprises ne pourront s'y soustraire. Il convient donc que les partenaires socio-professionnels se concertent pour proposer un système qui, sans désavantager la petite propriété, renforcera les performances du secteur forêt-bois sur les marchés internes et externes.

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