Question de M. ROCCA SERRA Jacques (Bouches-du-Rhône - SOC) publiée le 24/03/1994
M. Jacques Rocca Serra souhaiterait de M. le ministre des affaires étrangères une interprétation de la notion, en droit international public, de droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes figure en effet à l'article 1 paragraphe 2 de la charte des Nations Unies où il est dit que l'un des buts des Nations Unies est de " développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes ". Or si cette formule n'est pas dépourvue d'ambiguïté, elle a connu cependant des développements certains, notamment avec l'élaboration d'un " droit de la décolonisation ". Une résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale des Nations Unies a ainsi spécifié dans son paragraphe 1 que " la sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangère constitue un déni des droits fondamentaux de l'homme, est contraire à la charte des Nations Unies et compromet la cause de la paix et de la coopération mondiale " et que (paragraphe 2) " tous les peuples ont le droit de libre détermination ; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique social et culturel ". Les experts affirment que l'évolution juridique que connut ce droit permet aujourd'hui de le placer sur le même plan que d'autres grands principes fondamentaux du droit international. Dans plusieurs avis consultatifs, la Cour internationale de justice s'est d'ailleurs prononcée à son sujet. L'insertion du droit des peuples dans le droit international ne résout toutefois pas toutes les incertitudes quant à ses rapports avec les normes qui pourraient lui être opposées parce qu'estimées de valeur supérieure, ou avec celles qui en découlent, non plus qu'elle suffit à en assurer pleinement l'application. Il lui demande en conséquence son interprétation de la valeur actuelle de ce principe par rapport, notamment, aux autres principes du droit international. Il constate, en outre, que la notion du peuple n'est pas vraiment définie par les résolutions relatives au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes si ce n'est justement sous cet angle d'une situation particulière (les peuples appelés à exercer leur droit à disposer d'eux-mêmes sont ceux assujettis " à une subjugation, à une domination ou à une exploitation étrangère "). Il lui demande donc également si notre politique étrangère recourt, le cas échant, à une définition spécifique de la notion de peuple et, à défaut, de lui préciser les critères que cette définition devrait recouvrir.
- page 622
Réponse du ministère : Affaires étrangères publiée le 20/10/1994
Réponse. - Ainsi que l'a noté l'honorable parlementaire, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est un principe consacré par la charte des Nations Unies. L'article 1er de la charte place en effet parmi les buts des Nations Unies le développement entre les nations de " relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes ". L'article 55 évoque également ce principe comme fondement des relations pacifiques et amicales auxquelles tend la coopération en matière économique et sociale recherchée par les Nations Unies. Tel qu'il est formulé par la charte, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes apparaît davantage comme un principe politique qu'en tant que règle de nature juridique. On remarquera à cet égard que ce principe ne fait pas partie de ceux que mentionne l'article 2 et auxquels l'organisation des Nations Unies et ses membres doivent se conformer. L'incertitude sur la nature juridique ou politique du principe a cependant été levée du fait de l'adoption par l'Assemblée générale des Nations Unies de la " déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats - conformément à la charte des Nations Unies " (résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970). Cette déclaration, adoptée par consensus, peut, quoique dépourvue de valeur obligatoire en elle-même, sans nul doute être considérée comme correspondant à l'opinio jurisdes Etats. Elle consacre le " principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes " en tant que principe fondamental du droit international, au même titre et sur le même plan que le principe du non-recours à la menace ou à l'emploi de la force soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies, le principe du règlement pacifique des différends, le principe relatif au devoir de ne pas intervenir dans les affaires relevant de la compétence nationale d'un Etat conformément à la charte, le devoir des Etats de coopérer les uns avec les autres conformément à la charte, le principe de l'égalité souveraine des Etats et le principe que les Etats remplissent de bonne foi les obligations qu'ils ont assumées conformément à la charte. La combinaison de ces principes peut poser des difficultés dans certains cas particuliers, mais les Etats sont tenus de tous les respecter. Ils doivent en effet être considérés comme d'égale valeur et la déclaration sur les relations amicales précise que " dans leur interprétation et leur application " ils " sont liés entre eux et chaque principe doit être interprété dans le contexte des autres principes ". La question de la portée exacte du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes s'est posée, sans être résolue à ce stade, dès la négociation de la charte. La déclaration sur les relations amicales précise le contenu de ce droit, lorsqu'elle affirme que " tous les peuples ont le droit de déterminer leur statut politique en toute liberté et sans ingérence extérieure et de poursuivre leur développement économique, social et culturel, et tout Etat a le devoir de respecter ce droit conformément aux dispositions de la charte ". Tous les peuples en bénéficient. A cet égard, les dispositions de la déclaration telles que celles relatives à la décolonisation, ou celles qui rappellent que " soumettre des peuples à la subjugation, à la domination ou à l'exploitation étrangères constitue une violation du principe " du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, appellent l'attention sur les cas où l'exercice de ce droit a paru le plus urgent. Parmi les résultats auxquels peut conduire l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, la déclaration mentionne plusieurs possibilités : " la création d'un Etat souverain et indépendant, la libre association ou l'intégration avec un Etat indépendant ou l'acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple ". En outre, selon l'avant-dernier alinéa de la partie de la déclaration relative au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes : " Rien dans les paragraphes précédents ne sera interprété comme autorisant ou encourageant une action, quelle qu'elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement ou partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité politique de tout Etat souverain et indépendant se conduisant conformément au principe de l'égalité de droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes... et doté ainsi d'un gouvernement représentant l'ensemble du peuple appartenant au territoire sans distinction de race, de croyance ou de religion. " Cet alinéa pose certes des limites aux actions qui prétendraient se fonder sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, mais il montre en même temps que l'existence d'un gouvernement démocratique, représentant l'ensemble de la population, est une des modalités de réalisation de ce droit. Compte tenu de l'universalité du principe, de la variété des situations qui peuvent se présenter et des solutions qui peuvent leur être apportées, ainsi que de la nécessité de respecter, dans chaque cas particulier, l'ensemble des principes fondamentaux du droit international, le Gouvernement ne croit pas qu'il soit possible, ni opportun, de fixer des critères tendant à définir les " peuples " qui auraient droit à disposer d'eux-mêmes. Il s'efforce seulement, par son action extérieure, de faire progresser partout où cela lui semble nécessaire le respect de la liberté et des droits politiques, qui est une des conditions de la sécurité internationale. ; droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, appellent l'attention sur les cas où l'exercice de ce droit a paru le plus urgent. Parmi les résultats auxquels peut conduire l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, la déclaration mentionne plusieurs possibilités : " la création d'un Etat souverain et indépendant, la libre association ou l'intégration avec un Etat indépendant ou l'acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple ". En outre, selon l'avant-dernier alinéa de la partie de la déclaration relative au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes : " Rien dans les paragraphes précédents ne sera interprété comme autorisant ou encourageant une action, quelle qu'elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement ou partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité politique de tout Etat souverain et indépendant se conduisant conformément au principe de l'égalité de droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes... et doté ainsi d'un gouvernement représentant l'ensemble du peuple appartenant au territoire sans distinction de race, de croyance ou de religion. " Cet alinéa pose certes des limites aux actions qui prétendraient se fonder sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, mais il montre en même temps que l'existence d'un gouvernement démocratique, représentant l'ensemble de la population, est une des modalités de réalisation de ce droit. Compte tenu de l'universalité du principe, de la variété des situations qui peuvent se présenter et des solutions qui peuvent leur être apportées, ainsi que de la nécessité de respecter, dans chaque cas particulier, l'ensemble des principes fondamentaux du droit international, le Gouvernement ne croit pas qu'il soit possible, ni opportun, de fixer des critères tendant à définir les " peuples " qui auraient droit à disposer d'eux-mêmes. Il s'efforce seulement, par son action extérieure, de faire progresser partout où cela lui semble nécessaire le respect de la liberté et des droits politiques, qui est une des conditions de la sécurité internationale.
- page 2510
Page mise à jour le