Question de M. GERBAUD François (Indre - RPR) publiée le 11/06/1992
M. François Gerbaud attire l'attention de M. le Premier ministre sur les agissements graves qui se sont déroulés dans les locaux de FR 3 Rouen, à la suite de la manifestation des agriculteurs. Deux membres de la police, alors qu'il semble qu'ils n'agissaient pas sous l'emprise d'une commission rogatoire, se sont faits remettre par le directeur local de la chaîne, sur ordre de sa hiérarchie au niveau national, les prises de vue effectuées lors de la manifestation dans le but d'identifier les fauteurs de trouble. L'ordre donné au directeur local de céder à la demande des policiers semble avoir été motivé par un raccourci juridique tant la déclinaison en est simpliste. Parce que les images appartiendraient à une chaîne publique, elle-même propriété de l'Etat, celles-ci entreraient dans le patrimoine de l'Etat et donc, de ce fait, ce dernier serait fondé à se les faire remettre. Cette démonstration tant naïve que dangereuse ignore des principes fondamentaux de notre droit que sont la liberté de la presse et la liberté d'information. S'il revient à une chaîne d'information de faire usage ou de ne pas faire usage des images qui lui sont remises par ses journalistes, elle ne peut les utiliser à d'autres fins sans contrôle du juge du pourquoi elles sont faites : informer le public. Il est évident que de les destiner à d'autres fins est trahir le journaliste qui en est l'auteur, et de ce fait le placer dans une situation difficile avec les victimes de cet attentat à la déontologie du journalisme. Les policiers qui se sont fait remettre les images de manifestation agissaient-ils sous commission rogatoire ? Dans le cas contraire, comme le prévoit le code pénal, les officiers de police judiciaire supposés agissaient-ils après avoir prévenu le procureur de la République dans une enquête de flagrant délit de crime, ce qui leur aurait permis de saisir ces documents ? Si n'étaient pas levées les suspicions qui pèsent sur la procédure cautionnée par le Gouvernement et utilisée pour se faire remettre les images de la manifestation des agriculteurs, cette situation serait extrêmement grave dans la mesure où elle fait des journalistes des chaînes publiques des agents virtuels du Gouvernement, et en quelque sorte un service bis des renseignements généraux. Cette méthode de travail dans la collecte de l'information semble être sortie d'un passé que l'on croyait enterré en France. Il n'est d'ailleurs sans doute qu'un hasard que les victimes de cet attentat soit là encore une minorité abandonnée du pouvoir politique en place : nos agriculteurs.
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Réponse du ministère : Premier ministre publiée le 10/09/1992
Réponse. - Les officiers de police judiciaire, mandatés par le procureur de la République, ont agi conformément aux dispositions de l'article 56 du code de procédure pénale qui prévoit que " si la nature (d'un délit) est telle que la preuve en puisse être acquise par la saisie des papiers, documents ou autres objets en la possession des personnes qui paraissent avoir participé au délit ou détenir des pièces ou objets relatifs aux faits incriminés, l'officier de police judiciaire se transporte sans désemparer au domicile de ces derniers pour y procéder à une perquisition dont il dresse procès verbal ". L'article 67 du même code précise que cet article est applicable dans la mesure où le délit est sanctionné par une peine d'emprisonnement. Or, la simple participation à une manifestation non autorisée, ou encore la dégradation de monuments ou objets destinés à l'utilité ou à la décoration publiques sont passibles de peine d'emprisonnement. La perquisition peut donc avoir lieu non seulement chez toute personne qui paraît avoir participé à l'infraction mais aussi chez celle qui paraît détenir des pièces relatives aux faits incriminés, sans qu'il soit nécessaire qu'une infraction flagrante soit caractérisée à l'égard de cette dernière (chambre criminelle, 27 janvier 1987). La perquisition dans les locaux de FR 3 Normandie ne se fondait en aucun cas sur le fait que les images prises par une chaîne publique, propriété de l'Etat, entraient dans son patrimoine et devaient être remises aux officiers de police. FR 3 détenait des images relatives aux faits incriminés : dégradations de biens publics commises lors d'une manifestation paysanne, constitutifs d'un délit sanctionné par une peine d'emprisonnement. La perquisition n'était donc pas en soi irrégulière. L'officier de police judiciaire a obligation de mettre en oeuvre, au préalable à toute perquisition, toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel. Cependant, la profession de journaliste ne bénéficie pas, en de telles circonstances, d'une protection particulière. En effet, celle-ci ne figure pas au nombre de celles qui, en application de l'article 378 du code pénal, peuvent invoquer l'obligation du respect du secret professionnel pour s'opposer à la communication d'informations recueillies dans le cadre de leur activité professionnelle. Sur ce point également, il n'apparaît pas que l'opération de police judiciaire menée dans les locaux de FR 3 Rouen soit entachée d'irrégularité.
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