L'enseignement agricole : une chance pour l'avenir des jeunes et des territoires
Présentant, depuis 2001, les crédits de l'enseignement agricole dans le projet de loi de finances, Mme Françoise Férat s'est vu confier, par la commission des affaires culturelles du Sénat, la préparation d'un rapport d'information sur la place de cette voie originale de formation au sein de notre paysage éducatif.
Après avoir auditionné près de 50 personnalités et effectué deux déplacements sur le terrain, à Dijon et à Toulouse, Mme Françoise Férat a présenté les principales conclusions de ses travaux devant la commission des affaires culturelles, réunie le 18 octobre, qui les a approuvées à l'unanimité.
1. Un système de formation original et efficace, en panne de nouveau projet : l'enseignement agricole à la croisée des chemins
L'enseignement agricole -technique et supérieur- délivre une gamme complète de formations, qui s'étend de la classe de 4è jusqu'au 3è cycle de l'enseignement supérieur. Il accueille, en 2005, près de 175 800 élèves et 30 000 apprentis, ainsi que plus de 12 000 étudiants, dans 26 « grandes écoles » publiques et privées.
Ce système de formation atypique et pluriel, qui relève du ministère de l'agriculture, a fait preuve, ces dernières décennies, dans un contexte de déclin de la place de l'agriculture dans l'économie et la société française, d'une grande capacité d'adaptation : son offre de formation s'est diversifiée, le niveau de ses diplômés s'est élevé et ses effectifs ont connu une expansion rapide (+ 35 % entre 1990 et 1999).
Toutefois, le rapport relève un décalage de plus en plus préoccupant :
- d'un côté, la qualité de cette « filière de la réussite » est saluée de façon quasi unanime : une mission, chargée d'un audit de modernisation par le ministre du budget, a souligné cette efficacité, en termes de réussite aux examens, de taux de poursuite d'études et d'insertion professionnelle ; cela repose sur des spécificités à la valeur reconnue : la pluralité des missions, la pédagogie concrète mise en œuvre, les valeurs humaines, l'ancrage territorial : en effet, la moitié des 850 établissements se situent dans des communes de moins de 3 000 habitants, contribuant ainsi à l'animation de nos territoires ;
- de l'autre, un climat de malaise s'installe peu à peu chez l'ensemble des acteurs et partenaires ; au-delà des préoccupations budgétaires, devenues centrales ces dernières années, il existe un déficit de pilotage et un manque d'ambition, suscitant les incompréhensions ; les craintes exprimées d'une « absorption » par l'éducation nationale, si elles doivent être écartées, traduisent néanmoins l'ampleur des inquiétudes sur l'avenir de ce système.
Or, la période est charnière pour donner un second souffle à cet enseignement : d'une part, le nouveau cadre budgétaire incite à réaffirmer l'identité de l'enseignement agricole tout en valorisant ses complémentarités avec le système scolaire « ordinaire » ; d'autre part, les mutations du monde agricole et rural imposent à l'appareil de formation de s'adapter pour répondre à ces nouveaux enjeux. A cet égard, le journaliste François Grosrichard a souligné le rôle majeur de l'enseignement agricole dans un contexte de « renouveau des campagnes », dans un récent rapport remis au ministre de l'agriculture : « L'enseignement agricole au cœur de la modernité rurale ».
L'opportunité se conjugue ainsi à l'urgence pour mobiliser les acteurs autour d'un nouveau projet fédérateur.
2. Trois axes de propositions pour valoriser le potentiel de formation agricole et réaffirmer son identité
Axe n° 1 - Changer l'image d'un enseignement qui n'est plus seulement « agricole » : un effort de promotion et d'information nécessaire
L'enseignement agricole est méconnu ou mal connu par une très grande partie des jeunes et de l'opinion publique, qui en ont, spontanément, une vision réductrice et quasi caricaturale : celle d'une voie marginale, réservée aux enfants d'agriculteurs et destinée à former des agriculteurs.
Or, la réalité est désormais toute autre : d'une part, la gamme des métiers auxquels il prépare s'est élargie, au-delà du secteur « traditionnel » de la production, aux domaines de l'aménagement, des travaux paysagers, des services à la personne, etc. ; d'autre part, si les enfants d'agriculteurs représentaient 55 % des élèves en 1975, ils sont moins de 17 % aujourd'hui.
Le rapport formule donc des propositions visant à actualiser l'image de ce système de formation, pour lui redonner ses « lettres de noblesse » :
- Ne plus tenir l'enseignement agricole à l'écart des procédures d'orientation des élèves : mener des actions d'information en direction des jeunes et des familles, mais aussi des professeurs de l'éducation nationale et des acteurs de l'orientation, peu enclins, en général, à conseiller cette voie de formation à leurs élèves ; harmoniser les procédures d'affectation des élèves, pour que l'inscription dans un établissement agricole ne soit plus un « parcours du combattant » pour les familles.
- Développer les partenariats avec les écoles, collèges et lycées de l'éducation nationale, en organisant des programmes de coopération et des visites d'établissements agricoles, notamment dans le cadre de l'option de « découverte professionnelle ».
- Promouvoir une image plus moderne et attractive des filières et des métiers, en association avec les milieux professionnels, en priorité dans les secteurs qui connaissent une pénurie de recrutement, comme les industries agroalimentaires (10 000 emplois ne sont pas pourvus chaque année).
- Revoir la dénomination d'un enseignement qui n'est plus seulement « agricole ».
Axe n° 2 - Poursuivre l'adaptation de l'offre de formation : rester en phase avec les défis de demain
- Clarifier, simplifier et fluidifier les parcours de formation
L'éclatement de l'offre de formation en filières parfois très spécialisées est perçu comme un triple handicap : dissuasif pour les jeunes craignant de s'engager dans une « voie sans issue », il fait peser une menace sur le maintien des sections à faibles effectifs dans les établissements ; enfin, il ne répond pas aux besoins de polyvalence requis dans de nombreux métiers.
Le rapport suggère donc d'engager une réflexion sur l'organisation de certaines filières autour d'un tronc commun, par « familles » de métiers, et d'enseignements de spécialisation.
En parallèle, l'enseignement agricole doit revendiquer ses complémentarités avec les autres systèmes de formation, notamment dans les secteurs où il n'est pas seul à intervenir, comme les services : il s'agit de développer les passerelles, de favoriser les reconnaissances mutuelles de titres et les doubles qualifications et de faciliter les poursuites d'études, en relançant l'offre de formation au niveau du BTSA.
- Adapter les formations aux nouveaux enjeux de l'agriculture et des territoires ruraux
L'enseignement agricole est confronté à des préoccupations émergentes qui lui ouvrent des perspectives nouvelles : d'un côté, la « deuxième révolution agricole » est en marche (biocarburants, valorisation de la biomasse, sécurité sanitaire...) et, de l'autre, le renouveau des territoires ruraux en font des foyers pour le développement d'activités et la création d'emplois. L'enseignement agricole doit s'adapter à cette nouvelle donne :
- en prenant mieux en compte ces enjeux (fait alimentaire, valorisation non alimentaire des agro-ressources, etc.) dans la « culture commune » des enseignements ;
- en redonnant à l'enseignement agricole une place stratégique au sein de son ministère de tutelle ;
- en renforçant les liens avec les milieux professionnels, dans le cadre de consultations nationale et régionales : il s'agit d'identifier les besoins de compétences et de qualification (notamment dans les secteurs émergents, comme le tourisme rural, la forêt...), d'analyser les débouchés des filières à court et moyen termes, et réguler, en conséquence, les flux d'entrée ;
- en valorisant la contribution des établissements d'enseignement dans les « pôles d'excellence rurale ».
Axe n° 3 - Fédérer les énergies pour renforcer la cohérence, l'identité et l'excellence du système de formation
Alors qu'il a longtemps joué un rôle d'« avant-garde » pour notre système éducatif, l'enseignement agricole apparaît désormais en panne de nouveau projet mobilisateur. Son pilotage doit donc être renforcé, à tous les niveaux, pour renouer avec l'ambition, clarifier sa ligne d'action et valoriser le potentiel de formation, dans ses spécificités.
La révision du 4e schéma prévisionnel national des formations, lancée à la rentrée 2006 répond, en ce sens, à de fortes attentes.
Au-delà, le rapport formule des propositions visant à consolider le pilotage de l'enseignement agricole en vue d'améliorer son efficacité, ses capacités d'évolution et d'innovation :
- Tirer les bénéfices du pilotage de proximité : la déconcentration du pilotage au niveau régional doit permettre d'optimiser l'évolution des structures et l'utilisation des moyens, dès lors quelle prend appui sur de « bons principes » à généraliser (culture du dialogue -notamment avec les régions et les rectorats et entre les différents « familles » d'établissements publics et privés-, transparence sur les moyens, évaluation) ; il s'agit notamment de clarifier le rôle d'autorité académique du directeur régional de l'agriculture et de la forêt (DRAF) ;
- Dépasser les logiques de concurrence, par le développement de réseaux d'établissements -publics et privés, relevant de l'enseignement agricole et de l'éducation nationale- au niveau des bassins de formation, afin de favoriser la cohérence de l'offre et les mutualisations de moyens, d'équipements et de compétences (en matière d'ingénierie de formation, d'exercice des différentes missions, de remplacements des enseignants...).
- Relancer un rôle de « laboratoire pédagogique » à bout de souffle, en renforçant, notamment, le dispositif de formation initiale et continue des enseignants, afin de transmettre et renouveler les identités professionnelles (pluridisciplinarité, caractère concret des enseignements...).
- Renforcer les points de contact entre l'enseignement technique, l'enseignement supérieur et la recherche agricoles : développer les licences professionnelles ; consolider la politique des pôles régionaux d'enseignement supérieur, en y intégrant des établissements techniques et en articulant les thématiques, le cas échéant, avec celles des pôles de compétitivité.
Le rapport d'information de Mme Françoise Férat est en ligne :
http://www.senat.fr/rap/r06-027/r06-027.html
Contact presse : Astrid Poissonnier 01 42 34 22 90 a.poissonnier@senat.fr