N° 221
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 10 février 2000 |
PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
présentée au nom de la délégation pour l'union européenne (1), en application de l'article 73 bis du règlement ,
sur la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CEE) n° 404/93 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (E 1353),
Par M. Louis LE PENSEC,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement)
(1) Cette délégation est composée de
:
M. Hubert Haenel,
président
;
Mme Danielle
Bidard-Reydet, MM. James Bordas, Claude Estier, Pierre Fauchon, Lucien Lanier,
Aymeri de Montesquiou,
vice-présidents
; Nicolas About, Hubert
Durand-Chastel, Emmanuel Hamel,
secrétaires
; Bernard Angels,
Robert Badinter, Denis Badré, José Balarello, Mme Marie-Claude
Beaudeau, MM. Jean Bizet, Maurice Blin, Robert Del Picchia, Marcel Deneux,
Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jean-Paul Emin, André
Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Philippe François, Yann Gaillard, Daniel
Hoeffel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Paul Masson,
Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Simon Sutour, René
Trégouët, Xavier de Villepin, Henri Weber.
Union européenne -
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs
A la suite d'une nouvelle condamnation par l'OMC de certains aspects du régime communautaire de la banane, le Sénat se trouve à nouveau saisi, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, d'une proposition de réforme de l'organisation commune des marchés dans ce secteur.
I - Quelques rappels
a) Les données de base
Le commerce mondial de la banane porte sur un peu plus de 12 millions de tonnes. L'Union européenne (avec 36 % des importations) et les Etats-Unis (avec 34 %) sont les principaux importateurs.
Le commerce international repose essentiellement sur deux groupes de pays producteurs :
- les pays d'Amérique latine (plus de 10 millions de tonnes) produisant les « bananes dollars », ainsi dénommées parce que commercialisées par des firmes multinationales ;
- certains pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) liés à l'Union européenne par la convention de Lomé (2,2 millions de tonnes).
Par ailleurs, certains Etats membres de l'Union européenne : France (Martinique, Guadeloupe), Espagne (Iles Canaries), Portugal (Madère), Grèce (Crète) participent au commerce intra-communautaire pour un total de 0,8 million de tonnes.
Trois firmes multinationales américaines dominent le marché bananier mondial. Toutes trois pratiquent l'intégration verticale : elles contrôlent les différents niveaux de la filière, de la production à la distribution.
L'Union européenne apparaît -schématiquement- divisée en deux groupes de pays :
- les pays du nord de l'Europe continentale, non producteurs et importants consommateurs ;
- les pays souhaitant soutenir leurs anciennes colonies ou leurs propres producteurs.
b) La mise en place de l'OCMB
Jusqu'en 1993, le marché communautaire restait segmenté. Selon des modalités différentes, l'Espagne, la France, l'Italie, le Portugal et le Royaume-Uni étaient des marchés organisés pour assurer un accès préférentiel à leurs propres productions ou aux productions des pays ACP. L'Allemagne, au contraire, importait des « bananes dollars » sans droit de douane et sans restriction quantitative. Les autres pays membres importaient des « bananes dollars » sans limitation de quantité, mais en les soumettant à une taxe de 20 %.
La volonté d'achever la mise en place du marché unique européen a conduit à l'adoption, en février 1993, de l'organisation commune du marché de la banane (OCMB) malgré une vive opposition de l'Allemagne.
L'OCMB met en place un soutien aux producteurs communautaires -dans la limite d'un quota global de 854 000 tonnes réparti entre régions productrices- sous la forme d'une aide compensatoire calculée en fonction d'une « recette moyenne forfaitaire de référence ».
Pour les échanges, un régime de contingent d'importation est défini pour l'ensemble de la Communauté :
- un contingent de 857 700 tonnes par an à droit nul est ouvert pour les bananes exportées par les fournisseurs ACP traditionnels de la Communauté (« bananes traditionnelles ACP ») ;
- un second contingent de 2 millions de tonnes est ouvert pour les bananes exportées par les pays ACP au-delà de la quantité de 857 700 tonnes (« bananes non traditionnelles ACP ») et pour les « bananes dollars ». Dans le cadre de ce contingent, les « bananes non traditionnelles ACP » bénéficient d'un droit nul, et les « bananes dollars » d'un droit réduit de 100 € /tonne. Au-delà de ce contingent, les droits à l'importation sont de 750 € /tonne pour les « bananes non traditionnelles ACP » et de 850 €/tonne pour les « bananes dollars ».
Pour le fonctionnement du contingent, des licences d'importation sont accordées par la Commission européenne en distinguant différentes catégories d'opérateurs en fonction de références historiques. Dans ce cadre, 30 % des licences d'importation au titre du contingent sont attribuées aux opérateurs ayant commercialisé des bananes communautaires et importé des bananes ACP pendant une période de référence triennale glissante, à proportion des quantités concernées.
c) Les contestations
• Se trouvant ainsi contrainte de payer à
un prix plus élevé les bananes qu'elle importait, l'Allemagne a
présenté un recours devant la Cour de justice des
Communautés européennes contre l'OCMB. Elle a été
déboutée à deux reprises. En revanche, à la suite
d'un arrêt de la Cour de Karlsruhe reconnaissant la
nécessité de protéger les droits fondamentaux des
importateurs lésés par la nouvelle législation
communautaire, certains importateurs ont obtenu devant les juridictions
allemandes un droit à obtenir des autorisations d'importation
supplémentaires.
• Parallèlement aux recours allemands,
certains Etats latino-américains (Colombie, Costa-Rica, Guatemala,
Nicaragua, Venezuela) ont nourri au sein du GATT une vive contestation du
régime d'importation de bananes en Europe.
Un panel constitué pour examiner la conformité de l'OCMB avec les règles du commerce international a finalement condamné (en février 1994) le règlement de février 1993, en considérant comme contraire aux règles du GATT ses dispositions relatives aux droits de douane, au système de préférences pour les pays ACP et aux certificats d'importation.
En mars 1994, pour tenter d'éteindre le contentieux avec les Etats d'Amérique latine, la Commission européenne a proposé un « accord-cadre » par lequel les droits de douane seraient réduits de 100 à 75 écus par tonne et le contingent porté de 2 à 2,2 millions de tonnes pour les bananes des pays tiers.
Après la conclusion des accords de Marrakech, un règlement communautaire a fixé en mars 1995, compte tenu de cet « accord-cadre », les modalités d'application complémentaires des dispositions du règlement de février 1993 concernant le régime de contingents tarifaires à l'importation de bananes dans la Communauté.
Ces nouvelles dispositions ont eu pour effet d'attribuer plus de 50 % du contingent tarifaire aux quatre pays latino-américains signataires de l'accord-cadre sur les bananes, un peu moins de 50 % du contingent aux pays tiers non signataires du compromis et le reste (90.000 tonnes) aux pays ACP. Accepté par la Colombie, le Costa-Rica, le Nicaragua et le Venezuela, cet accord a été malgré tout contesté par d'autres Etats latino-américains (Guatemala, Honduras, Panama et Equateur) et surtout par les Etats-Unis, qui jusqu'alors n'étaient pas intervenus directement dans la procédure.
Un nouveau panel a donc été constitué en mai 1996 dans le cadre de l'Organisme de règlement des différends (ORD) de la nouvelle Organisation mondiale du commerce ; il a abouti, en avril 1997 puis en septembre 1997 (en appel) à une nouvelle condamnation du régime communautaire de la banane.
• La Communauté a été ainsi
conduite à une réforme de l'OCMB, adoptée en juin 1998
contre l'avis de la France. Cette réforme a principalement
consisté à augmenter de 353 000 tonnes le second
contingent tarifaire (en principe pour tenir compte de l'élargissement
de l'Union à l'Autriche, la Finlande et la Suède), à
modifier le régime des licences d'importation, et à revaloriser
faiblement la « recette forfaitaire de
référence » déterminant le montant des aides
compensatoires aux producteurs communautaires.
• La réforme de l'OCMB n'a pas
désarmé la contestation américaine : en mars 1999,
les Etats-Unis ont décidé unilatéralement de mesures de
rétorsions commerciales contre la Communauté, pour un montant de
520 millions de dollars ; un mois plus tard, l'OMC leur a
donné raison sur le fond, tout en ramenant le montant maximal des
sanctions commerciales admissibles à 191 millions de dollars. Le
coeur du différend reste le régime d'octroi des licences
d'importations, qui est conçu pour avantager les opérateurs se
fournissant auprès des pays ACP.
• Dans ce contexte, le Conseil a demandé
en mai 1999 à la Commission de préparer une nouvelle proposition
de réforme. Le projet de la Commission a été
présenté en novembre 1999.
II - La nouvelle proposition de la Commission européenne
a) Les principaux aspects
Cette proposition -soumise aux deux Assemblées en décembre dernier dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution sous le n° E 1353- comprend trois principaux aspects.
• Tout d'abord, elle prévoit le
remplacement, à partir du 1
er
janvier 2006, des
contingentements tarifaires par un
système uniquement
tarifaire
(« tariff only »), dans lequel toutefois
les pays ACP bénéficieraient de droits réduits.
• A titre transitoire, il est proposé de
retoucher le système actuel des contingents. Durant la phase
transitoire, s'appliqueraient :
- un contingent tarifaire (correspondant aux engagements consolidés à l'OMC) de 2 200 000 tonnes assujetti à un droit de 75 euros par tonne,
- un contingent autonome de 353 000 tonnes soumis aux mêmes règles, correspondant à l'augmentation décidée en principe pour tenir compte de l'élargissement de l'Union intervenu en 1995,
- un contingent de 850 000 tonnes assujetti à un droit obtenu par mise aux enchères du droit hors contingent (soit aujourd'hui normalement 680 euros par tonne) ; dans le cadre de ce contingent, les bananes ACP bénéficieraient d'une préférence de 275 euros par tonne (sous réserve naturellement que le droit obtenu atteigne au moins ce montant).
• Pour les règles d'attribution des
licences durant la période transitoire, la proposition ne tranche pas et
renvoie à un règlement autonome de la Commission, à
prendre en tenant compte des négociations menées avec les
« parties intéressées ».
b) Les inquiétudes
• Depuis 1993, l'efficacité de l'OCMB
pour soutenir la production communautaire et protéger les recettes
d'exportation des pays ACP a été peu à peu
érodée.
En 1994, l'« accord-cadre » conclu avec certains pays latino-américains a entraîné une augmentation de 10 % du volume du contingent tarifaire à droit réduit, et une réduction de 25 % du montant du droit qui lui est applicable.
A partir de 1996, l'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède a été invoquée pour justifier une augmentation de 353 000 tonnes du volume de ce contingent. Ce montant paraissait très élevé au regard de la population cumulée de ces trois pays, même en leur supposant un goût particulier pour la banane. Si une augmentation aussi forte du contingent n'a pas entraîné une saturation du marché, c'est seulement parce que ni les importations en provenance des pays ACP et ni la production communautaire n'ont alors atteint les quantités permises par l'OCMB.
La réforme de 1998 a également contribué à détériorer la situation de la production communautaire :
- en faisant disparaître l'incitation à l'achat des bananes communautaires et ACP qui résultait de l'octroi de 30 % des certificats d'importation du contingent tarifaire aux opérateurs commerciaux ayant commercialisé des bananes de ces deux origines durant une période de référence triennale glissante ;
- en favorisant l'accroissement des quantités commercialisées sur le marché communautaire par les pays ACP d'Afrique, désormais habilités à utiliser les possibilités d'importation préférentielle non employées par les pays ACP caribéens.
• La proposition E 1353, intervenant
à la suite de cette évolution, paraît devoir compromettre
gravement l'avenir de la production communautaire.
Pour la période transitoire, la réforme prévue pour la gestion des contingents favoriserait la pleine utilisation des quantités autorisées pour les sources d'approvisionnement non communautaires. Compte tenu de la perspective d'une remontée des productions communautaires, les quantités mises effectivement en marché pourraient progresser de quelque 10 %, avec un risque de déséquilibre entre l'offre et la demande.
Quant au nouveau système d'attribution des licences, la recherche d'un accord avec les parties plaignantes à l'OMC a toutes les chances d'aboutir à un système défavorable aux opérateurs communautaires traditionnels, qui pourraient ne plus jouer qu'un rôle très limité dans l'approvisionnement du marché communautaire en « bananes-dollars », donnant lieu à des marges commerciales beaucoup plus élevées.
Le passage, dans ces conditions, à une solution uniquement tarifaire à partir de 2006 pourrait mettre en très grande difficulté la production communautaire. Parallèlement, le marché communautaire de la banane passerait presque entièrement sous le contrôle de quelques grands opérateurs s'assurant l'essentiel de la marge commerciale de la filière, principalement liée à la commercialisation des « bananes-dollars ».
Ainsi, la proposition E 1353 ne paraît conforme ni à l'intérêt des producteurs communautaires, ni même à l'intérêt à long terme des consommateurs européens dans la mesure où elle pourrait favoriser l'émerge d'une situation de marché très peu concurrentielle.
• Deux DOM, la Guadeloupe et la Martinique, sont
concernés de manière très directe par le projet de
réforme de l'OCMB. La banane représente 42 % de la production
agricole finale de la Martinique, et 27 % de celle de la Guadeloupe. Or,
dans ces deux départements, l'agriculture occupe quelque 45 % de la
population active. Compte tenu de taux de chômage déjà
très élevés, supérieurs à 25 %, une crise
dans ce secteur aurait de lourdes conséquences économiques et
sociales dans ces départements où le PIB par habitant ne
dépasse pas la moitié de la moyenne communautaire.
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Pour ces raisons, votre délégation pour l'Union européenne a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui suit :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement n° 404/93 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (E 1353),
Considérant que l'organisation commune de marché de la banane est un élément essentiel de la politique agricole dans les régions ultrapériphériques de la Communauté, notamment dans certains départements d'outre-mer français, et qu'elle constitue un aspect important de la politique communautaire de coopération ;
Considérant que le bon fonctionnement de l'organisation commune de marché mise en place par le règlement n° 404/93 a été compromis par la remise en cause progressive des garanties qu'il apportait aux producteurs communautaires et aux producteurs des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) fournisseurs traditionnels du marché communautaire ;
Considérant que la proposition E 1353, en l'état, pourrait mettre gravement en difficulté la production communautaire et menacer son avenir ;
Invite le Gouvernement à s'opposer à l'adoption de ce texte et à demander à la Commission européenne d'élaborer une nouvelle proposition permettant de garantir la pérennité de la production communautaire et de préserver un accès préférentiel au marché communautaire pour les fournisseurs traditionnels ACP.