N° 197
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal
de la séance du 3 février 1999
PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE
L'ARTICLE 73
BIS
DU RÈGLEMENT,
sur les propositions de directives du Parlement
européen et du Conseil :
- concernant l'accès
à l'activité des institutions de
monnaie
électronique
et son exercice, ainsi que la
surveillance
prudentielle
de ces
institutions ;
- modifiant la directive 77/780/CEE visant à
la coordination des dispositions législatives, réglementaires et
administratives concernant l'
accès à
l'activité des établissements de crédits et son
exercice
(n° E-1158),
PRÉSENTÉE
Par M. Marcel DENEUX,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Union européenne. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs
Le gouvernement a saisi le Parlement,
en application de l'article 88 alinéa 4, sous le numéro E 1158 de
deux propositions de directives. La première concerne l'accès
à l'activité des institutions de monnaie électronique et
son exercice, ainsi que la surveillance prudentielle de ces institutions. La
seconde modifie la directive 77/780/CEE visant à la coordination des
dispositions législatives, réglementaires et administratives
concernant l'accès à l'activité des établissements
de crédits et son exercice.
Ces deux propositions s'inscrivent
dans le cadre des travaux menés par les banques centrales de l'Union
européenne depuis 1993 sur la monnaie électronique et qui ont
fait l'objet d'un premier rapport de l'Institut monétaire
européenne en mai 1994, puis d'un rapport de la banque centrale
européenne publié le 31 août 1998. Dans une communication
d'avril 1997 intitulée "
Une initiative européenne pour le
commerce électronique
", la Commission avait pris par ailleurs
l'engagement de mettre en place un cadre de surveillance approprié pour
la monnaie électronique.
Ces propositions s'inscrivent
également dans le cadre du suivi de la communication de la Commission de
juin 1997 intitulée "
Services financiers: renforcer la confiance des
consommateurs
" et de l'exécution du mandat que le Conseil
européen de Cardiff avait donné à la Commission pour
présenter un "cadre d'action" pour l'amélioration de la
législation communautaire sur les services financiers.
Les deux
propositions de directive sont présentées au Conseil de ministres
de l'Union et au Parlement européen en vue de leur adoption dans le
cadre de la procédure de codécision ; le Parlement
européen ne devrait pas adopter son rapport avant le mois de mars
prochain ; leur examen en plénière n'est pas envisagé
avant le mois d'avril.
Si les rapports des banques centrales
ont directement inspiré les propositions de la Commission
européenne, celles-ci s'en écartent cependant suffisamment pour
que la Commission des Finances et le Sénat lui-même soient
alertés sur certains points qui posent problème.
I. LE RAPPORT DE LA BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE SUR LA MONNAIE ÉLECTRONIQUE
La Banque centrale européenne (BCE) a publié le 31
août 1998 un rapport intitulé "
Rapport sur la monnaie
électronique
".
Ce rapport approfondit la
réflexion sur les implications du développement des cartes
prépayées
qui a été menée par
l'Institut Monétaire Européen (IME) en 1994. Il l'étend
aux nouvelles formes de monnaie électronique qui reposent uniquement sur
un support logiciel et qui se sont développés depuis cette date.
Les principaux résultats de l'étude ont déjà
été publiés sous la forme d'un avis du Conseil de l'IME
sur l'émission de la monnaie électronique, inclus dans le
chapitre III du rapport annuel 1997 de l'IME.
Bien que la monnaie
électronique ne soit pas un phénomène très
répandu à ce jour, son développement est susceptible
d'avoir des implications significatives pour la politique monétaire dans
l'avenir. Comme les banques centrales l'ont souligné, il convient
à cet égard de s'assurer que, en particulier, la stabilité
des prix et la fonction d'unité de compte de la monnaie ne sont pas
remises en cause.
D'autres préoccupations d'ordre
réglementaire concernant la monnaie électronique doivent aussi
être prises en compte : l'efficacité du fonctionnement des
systèmes de paiement et la confiance dans les instruments de paiement,
la protection des consommateurs et des commerçants, la stabilité
des marchés financiers et la protection contre la criminalité.
Afin de garantir l'efficacité de la politique monétaire
et des conditions équitables de concurrence et également
d'intégrer les préoccupations réglementaires visées
ci-dessus, la BCE considère comme essentiel que soient satisfaites les
conditions minimales suivantes :
-
les émetteurs de
monnaie électronique doivent être soumis à un
contrôle prudentiel
;
-
l'émission doit
être effectuée dans le cadre d'accords juridiques solides et
transparents
, être assurée d'une sécurité
technique appropriée, d'une protection contre la fraude à
caractère criminel et être soumise à la restitution
d'informations statistiques sur les flux monétaires ;
-
les émetteurs de monnaie électronique doivent être
légalement contraints de rembourser la monnaie électronique
émise
, à la demande de son porteur, à sa valeur
nominale et en monnaie de banque centrale ;
- en outre,
la BCE
doit avoir la possibilité d'assujettir tous les émetteurs de
monnaie électronique à la constitution de réserves
obligatoires
.
En plus de ces conditions minimales,
l'interopérabilité des schémas de monnaie
électronique et l'adoption de dispositifs de garantie, d'assurance, ou
de partage des pertes adéquats, sont deux objectifs qu'il semble
souhaitable de poursuivre.
Dans ce contexte, et dans le prolongement
des recommandations de l'IME en 1994, la solution la plus naturelle
consisterait à réserver l'émission de monnaie
électronique aux institutions de crédit, ce qui éviterait
de modifier le cadre institutionnel actuel de la politique monétaire et
l'activité bancaire. De plus, l'équité concurrentielle
serait assurée pour tous les émetteurs de monnaie
électronique.
La BCE reconnaît que les
"établissements de crédit" sont définis dans la
première directive de coordination bancaire comme des institutions qui
doivent "
recevoir du public des dépôts ou d'autres fonds
remboursables et octroyer des crédits pour leur propre compte
". La
BCE est favorable à ce qu'un amendement à la première
directive de coordination bancaire soit recherché en vue
d'étendre son application aux institutions émettrices de monnaie
électronique qui ne rentrent pas dans la définition actuelle
d'"établissement de crédit".
La BCE estime que les
pouvoirs publics doivent veiller à ce que les schémas de monnaie
électronique remplissent les conditions minimales exposées dans
son rapport. Deux fonctions, à savoir la surveillance des
systèmes de paiement effectuée par les banques centrales et le
contrôle prudentiel, devraient permettre d'atteindre cet objectif.
Etant donné les aspects internationaux de l'émission de
monnaie électronique, en particulier celle qui est
transférée par des réseaux de
télécommunications comme Internet (monnaie électronique
sur réseau) et qui présente un risque de délocalisation,
la BCE souligne enfin la nécessité d'une coordination
internationale dans ce domaine.
II. LES PROPOSITIONS DE DIRECTIVE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE
La Commission a présenté le 21 septembre 1998 des
propositions visant à doter le marché unique d'un cadre
réglementaire clair en ce qui concerne la monnaie électronique.
Elle a souligné que, en harmonisant les règles minimales
destinées à assurer la stabilité et la solidité des
établissements émettant de la monnaie électronique, ces
propositions contribueront à renforcer la confiance des entreprises et
des consommateurs. Ces règles permettront donc de promouvoir le
développement du commerce électronique dans l'Union
européenne et offriront aux consommateurs des possibilités
accrues d'utilisation de la monnaie électronique : ces derniers pourront
réaliser des paiements de faible montant en euros dans d'autres
États membres sans avoir à changer leurs monnaies nationales, en
particulier au cours de la période précédant
l'introduction des billets et pièces en euros.
Selon la
Commission, ces propositions permettront en outre d'assurer des conditions de
concurrence égales entre les établissements de crédit
traditionnels et les autres entreprises émettrices de monnaie
électronique et donneront aux institutions de monnaie
électronique la possibilité d'offrir leurs services partout dans
l'Union européenne sur la base d'un contrôle prudentiel
exercé par l'État membre d'origine.
Ces propositions
définissent
la monnaie électronique
comme
un montant monétaire stocké sur une carte à
microprocesseur
(carte prépayée ou "porte-monnaie
électronique")
ou sur une mémoire d'ordinateur
(monnaie de réseau ou de logiciel), montant monétaire qui est
accepté comme moyen de paiement par des entreprises autres que
l'émetteur
Une première proposition de directive
vise à modifier la définition des "établissements de
crédit" figurant dans la première directive de coordination
bancaire de façon à inclure les institutions de monnaie
électronique dans le champ d'application général des
dispositions des première et deuxième directives de coordination
bancaire
(77/780/CEE et 89/646/CEE).
Les entreprises qui
émettent de la monnaie électronique, mais qui ne souhaitent pas
proposer l'éventail complet des services bancaires, pourraient
néanmoins bénéficier de la possibilité
d'opérer dans tout le marché communautaire sur la base d'un
agrément unique délivré par un seul État
membre ; il s'agirait d'un "passeport unique" fondé sur le principe
du contrôle par le pays d'origine ; ces entreprises seraient alors
placées sur un pied d'égalité avec les
établissements de crédit.
Par ailleurs, cette proposition
vise à assurer que tous les émetteurs de monnaie
électronique - et non seulement les seuls établissements de
crédit - pourront être soumis à l'obligation de constituer
des réserves que pourrait éventuellement imposer la Banque
centrale européenne dans le cadre de ses mesures de politique
monétaire
Les émetteurs de monnaie électronique
qui ne proposent pas l'éventail complet des services bancaires seraient
toutefois exonérés de certaines des autres règles de
surveillance prudentielle prévues par les première et
deuxième directives bancaires et ne seraient par conséquent
soumis qu'aux seules règles spécifiques établies par la
proposition sur l'émission de monnaie électronique.
La deuxième proposition de directive définit la
monnaie électronique de manière technique et neutre, ainsi que
les types d'activités commerciales accessibles aux établissements
de monnaie électronique
.
Elle définit
également un certain nombre de règles concernant:
-
l'agrément préalable par les autorités compétentes
;
- le capital initial (500 000 écus au minimum) et les
exigences de fonds propres à respecter par la suite, y compris
l'obligation de n'investir que dans des actifs fortement liquides et à
faible risque ;
- les normes minimales à respecter en
matière de compétence et d'honorabilité des gestionnaires
;
- des obligations destinées à assurer une gestion saine
et prudente ;
- le contrôle prudentiel permanent ;
-
l'application des directives relatives à la surveillance (92/30/CEE) et
au blanchiment de capitaux (91/308/CEE).
III. LES QUESTIONS SOULEVÉES PAR LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE
Les propositions de la Commission, directement inspirées
du rapport de la Banque centrale européenne, assimilent la monnaie
électronique à la monnaie scripturale : selon la Commission,
la monnaie électronique est donc remboursable en monnaie de banque
centrale. Les fonds stockés, contreparties de la monnaie
électronique émise, sont assimilés à des
dépôts bancaires. Les propositions de directives posent ainsi les
conditions minimales notamment, de surveillance prudentielle et de
sécurité technique dont les pouvoirs publics devraient assurer le
respect.
Certaines des orientations fixées par la
Commission paraissent néanmoins critiquables et ne suivent que
très partiellement le rapport de la banque centrale
européenne
:
- la définition de la monnaie
électronique semble erronée dans la mesure où ces
propositions conduiraient à la création d'un troisième
type de monnaie (autre que fiduciaire ou scripturale) ; le fondement
juridique de cette nouvelle catégorie monétaire semble peu fiable
car, de l'avis de la plupart des professionnels, la monnaie électronique
n'est en fait qu'une variété " modernisée " de
monnaie scripturale ;
- l'objectif de suppression des entraves aux
échanges transfrontaliers est privilégié par rapport
à toutes les notions de sécurité de transactions pour le
grand public ; les exigences dérogatoires de capital initial
(500.000 euros) et de ratio de fonds propres pour les émetteurs de
monnaie électronique (2 % de l'encours) n'apportent pas la
sécurité jugée jusqu'à présent
nécessaire ;
- les émetteurs de monnaie
électronique ne seraient pas soumis aux règles émises par
la Commission sur la garantie des dépôts ; règle qui
constitue pourtant le fondement de la protection des consommateurs ;
- enfin les exceptions à l'application des directives
prévues pour les petits émetteurs présenteraient des
risques graves sur le plan financier, mais également, sur le plan
opérationnel, pour les systèmes de paiement.
* *
*
C'est en fonction de ces observations qu'il vous est suggéré d'adopter, Mesdames, Messieurs, la proposition de résolution qui suit, que la délégation pour l'Union européenne m'a chargé de présenter en son nom :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu les propositions de directives de la Commission concernant d'une
part, l'accès à l'activité des institutions de monnaie
électronique et son exercice, ainsi que la surveillance prudentielle de
ces institutions, d'autre part modifiant la directive 77/780/CEE visant
à la coordination des dispositions législatives,
réglementaires et administratives concernant l'accès à
l'activité des établissements de crédits et son
exercice ;
Considérant que les propositions de la
Commission, directement inspirées du rapport de la Banque centrale
européenne, assimilent la monnaie électronique à la
monnaie scripturale, que celle-ci est donc remboursable en monnaie de banque
centrale et que les fonds stockés, contreparties de la monnaie
électronique émise, sont assimilés à des
dépôts bancaires ;
Considérant que les propositions
de directives posent en conséquence les conditions minimales en
matière, notamment, de surveillance prudentielle et de
sécurité technique, dont les pouvoirs publics devraient assurer
le respect ;
Considérant cependant que certaines des
orientations fixées par la Commission paraissent critiquables et ne
suivent que très partiellement le rapport de la banque centrale
européenne :
Demande au gouvernement qu'il obtienne que
certaines des orientations proposées par la Commission ne soient pas
retenues par le Conseil notamment au regard :
- de la
définition de la monnaie électronique qui, dans la proposition de
la Commission, conduirait à la création d'un troisième
type de monnaie alors que la monnaie électronique n'est en fait qu'une
variété " modernisée " de monnaie
scripturale ;
- des notions de sécurité de
transactions pour le grand public ; les exigences dérogatoires de
capital initial (500.000 euros) et de ratio de fonds propres pour les
émetteurs de monnaie électronique (2 % de l'encours) n'apportant
pas la sécurité jugée jusqu'à présent
nécessaire ;
- des émetteurs de monnaie
électronique qui ne seraient pas soumis aux règles sur la
garantie des dépôts, règle qui constitue pourtant le
fondement de la protection des consommateurs ;
- enfin des
exceptions à l'application des directives prévues pour les petits
émetteurs qui présenteraient des risques graves, non seulement
sur le plan financier, mais également, sur le plan opérationnel,
pour les systèmes de paiement.