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N° 274
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 13 mars 1996.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, sur la proposition de décision du Conseil portant révision à mi-parcours de la décision 91/482/CEE du Conseil, du 25 juillet 1991, relative à l'association des pays et territoires d'Outre-mer à la Communauté européenne (n° E-594),
par M. Daniel MILLAUD,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Union européenne.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La proposition d'acte communautaire E 594 qui vous est soumise concerne la révision à mi-parcours de la décision 91/482/CEE du Conseil du 25 juillet 1991, relative à l'Association des Pays et Territoires d'Outre-mer à la Communauté européenne. Les Pays et Territoires d'Outre-mer n'appartiennent pas à la Communauté ; ils lui sont associés en vertu de la quatrième partie du traité de Rome (art. 131 à 136). Les dispositions du Traité sont complétées par des décisions d'association ; la dernière a été signée en 1991 pour 10 ans et prévoyait sa propre révision à mi-parcours.
La présente proposition d'acte communautaire vise donc à modifier la décision d'association pour prendre en compte l'expérience acquise depuis cinq ans et définir la répartition des crédits attribués aux PTOM pour les cinq ans à venir, dans le cadre du VIIIème FED.
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La proposition de révision à mi-parcours publiée par la commission européenne contient plusieurs modifications de la décision d'association.
• Tout d'abord, la commission européenne
propose de renforcer la procédure de partenariat, en évoquant
l'intérêt manifesté par les autorités des
territoires.
La procédure de partenariat permet une concertation entre la commission, les États membres concernés et les autorités des Pays et Territoires d'Outre-mer sur les questions concernant ces territoires.
On peut s'interroger sur la portée de la modification proposée par la commission européenne. En effet, le texte actuel de la décision d'association précisant que « l'action communautaire s'appuie autant que possible sur une concertation étroite entre la commission, l'État membre dont relève un PTOM et les autorités locales compétentes des PTOM (...) », la commission propose simplement de supprimer les mots « autant que possible ».
Si l'on peut espérer que cette évolution conduira à une mise en oeuvre plus systématique du partenariat, on ne peut que constater la modestie de la modification proposée. Par ailleurs, la manière dont est mis en oeuvre le partenariat aujourd'hui n'est pas pleinement satisfaisante. Les autorités des PTOM sont trop souvent poliment écoutées, sans que leurs observations soient prises en compte de quelque manière que ce soit. L'application de cette procédure peut donc encore être améliorée.
• La commission européenne propose
également une modification du régime commercial applicable aux
Pays et Territoires d'Outre-mer. Par la décision de 1991, le Conseil des
Communautés européennes a accordé le libre accès
à tous les produits originaires des PTOM. De plus, des produits
provenant des pays ACP peuvent être considérés comme
originaires des PTOM lorsqu'ils font l'objet de transformations, même
simples, dans un PTOM. Ils peuvent alors entrer librement dans la
Communauté.
Ce régime a créé des perturbations graves sur le marché communautaire dans le secteur du riz, certains territoires néerlandais ayant abusé des facilités ainsi offertes. La commission européenne a été conduite à prendre des mesures de sauvegarde provisoires.
Constatant aujourd'hui que l'exploitation des possibilités du régime commercial accordé aux PTOM se concentre sur les produits agricoles les plus sensibles pour la Communauté, la commission européenne fait valoir qu'il risque d'y avoir contradiction entre l'effort de développement économique et social des PTOM et le bon fonctionnement de la politique agricole commune.
Elle propose donc d'instaurer un mécanisme de prix minimum à l'importation pour les produits faisant l'objet d'une organisation commune de marché (OCM). Elle suggère également de supprimer la possibilité automatique pour des produits agricoles provenant des pays ACP d'être considérés comme originaires des PTOM. Cette possibilité pourrait être maintenue au moyen de dérogations ponctuelles.
• La commission européenne propose
également de rendre éligibles les ressortissants des PTOM
à certains programmes communautaires. En effet, même si les PTOM
ne font pas partie du territoire communautaire, les ressortissants des PTOM
possèdent la citoyenneté des États membres avec lesquels
ils entretiennent des liens particuliers (à certaines exceptions
près pour une partie des PTOM britanniques) et sont donc des citoyens de
l'Union européenne.
La commission propose donc d'étendre aux ressortissants des PTOM le bénéfice de 22 programmes communautaires.
Les programmes concernés sont :
• des programmes d'éducation et de formation
(par exemple le programme SOCRATES qui a succédé au programme
ERASMUS) ;
• des programmes relatifs à l'emploi et aux
affaires sociales,
• des programmes en faveur des entreprises,
• des programmes de
recherche-développement,
• des programmes concernant la culture et
l'audiovisuel.
Cette initiative est positive et peut être bénéfique pour le développement économique et social des PTOM. Ainsi, les possibilités d'échanges d'étudiants présentent un grand intérêt pour les PTOM, souvent très éloignés de l'Europe.
Cependant, il faut avoir conscience que ces possibilités ne peuvent être utilisées que si les PTOM sont informés de manière satisfaisante du fonctionnement de ces programmes et si les démarches administratives ne sont pas trop lourdes. Dans le cas contraire, ces opportunités ont toutes les chances de rester lettre morte.
• Enfin, la proposition de révision à
mi-parcours évoque également la répartition des
crédits accordés aux PTOM dans le cadre du VIIIème FED. Le
Conseil européen, réuni à Cannes, en juin 1995, a
décidé d'octroyer aux PTOM 165 millions d'Écus au titre du
VIIIème FED (ce qui représente une augmentation de 17,9 %
par rapport au VIIème FED), et 35 millions d'Écus au titre des
interventions de la BEI.
Ces crédits du FED se répartissent en une masse programmable et une masse non programmable. La commission européenne propose que les PTOM français reçoivent 47,9 % des sommes consacrées aux programmes indicatifs, les PTOM néerlandais devant recevoir 33,8 % de ces sommes et les PTOM britanniques 18,3 %.
En définitive, la proposition de révision à mi-parcours contient des modifications de la décision d'association qui peuvent être importantes, mais dépendent largement de l'application qui en sera faite.
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Si la proposition de révision à mi-parcours de la décision d'association contient quelques avancées qui peuvent être positives pour les PTOM, le problème du libre établissement des ressortissants communautaires dans les PTOM reste entier. En effet, les dispositions communautaires relatives au libre établissement des ressortissants et sociétés s'appliquent aux PTOM. Cela signifie que les ressortissants communautaires désireux de s'installer dans un PTOM pour exercer une profession libérale sont libres de le faire, sans que les autorités des PTOM puissent exercer un quelconque contrôle. Ce principe est affirmé par l'article 132 § 5 du traité de Rome et est repris dans la décision d'association en son article 232.
Toutefois, les autorités du territoire peuvent prendre des mesures dérogatoires pour protéger leur marché de l'emploi souvent fragile et réduit ; elles ne peuvent prendre ces mesures que sous le contrôle de la commission européenne.
Les mesures dérogatoires que peuvent prendre les PTOM font l'objet d'une condition absolue de non-discrimination entre ressortissants communautaires. Cela signifie en pratique que si les autorités d'un PTOM posent des limites à l'établissement sur le territoire, ces limites doivent s'appliquer indistinctement à tous les ressortissants communautaires, y compris aux ressortissants de l'État membre avec lequel le PTOM entretient des relations privilégiées.
Cette condition de non-discrimination ne pose pas de difficulté pour les PTOM non français. En revanche, la Constitution française interdit aux territoires d'Outre-mer d'opérer une discrimination entre leurs ressortissants et les Français de métropole. Dans ces conditions, aucun contrôle n'est possible sur l'entrée des ressortissants communautaires dans les TOM, dans la mesure où un tel contrôle conduirait soit à une violation du Traité de Rome, soit à une violation de la Constitution.
Cette situation est extrêmement préjudiciable pour les PTOM français. Compte tenu de leur attractivité géographique et de l'étroitesse de leur marché local du travail, certains territoires, en particulier ceux du Pacifique, peuvent craindre que le régime du droit d'établissement puisse à terme être source de difficultés et de tensions locales. En outre, sur le plan des principes, il est singulier d'offrir à ces territoires une autonomie élargie, alors que cette autonomie ne peut s'exercer pleinement du fait des contraintes imposées par le droit communautaire. Il est absolument nécessaire pour ces territoires très petits de pouvoir exercer un contrôle sur l'installation de ressortissants communautaires.
Jusqu'à présent, les institutions communautaires ont fait preuve d'une relative indifférence à l'égard de cette question. La commission européenne a même envisagé d'étendre le régime du libre établissement aux travailleurs salariés avant de renoncer, compte tenu des réactions provoquées par cette proposition.
La délégation pour l'Union européenne du Sénat a adopté, le 19 juillet 1995, un rapport demandant la modification, dans le cadre de la prochaine Conférence intergouvernementale, de la partie du traité de Rome consacrée aux PTOM, et en particulier de l'article relatif au libre établissement ( ( * )1) . Il suffirait de permettre aux PTOM d'opérer une discrimination entre les ressortissants de l'État avec lequel ils ont des relations privilégiées et les autres ressortissants communautaires. Une telle modification n'aurait que de faibles conséquences pour les États membres de l'Union européenne et serait d'une grande portée pour les PTOM.
Devant la délégation pour l'Union européenne, M. Jean-Jacques de PERETTI, Ministre de l'Outre-mer, s'était montré sensible à ce problème et avait estimé « qu'il ne voyait pas aujourd'hui d'autre solution qu'une modification de la Constitution française ou un aménagement du droit communautaire applicable ». Le Ministre avait indiqué qu'un mémorandum français serait déposé en septembre 1995 et s'était engagé à demander une étude juridique au groupe de partenariat prévu par la décision d'association.
Alors que la Conférence intergouvernementale chargée de réviser le traité sur l'Union européenne va s'ouvrir dans quelques jours, il est important d'affirmer la détermination de la France à obtenir une modification du traité sur ce point.
Lors de la récente discussion du projet de loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, le rapporteur de la commission des lois comme le Gouvernement, se sont déclarés hostiles à toute révision de la Constitution sur ce sujet, mais ont insisté sur l'importance d'une modification du traité afin que les PTOM puissent obtenir une reconnaissance de leur situation spécifique. Ainsi M. le Ministre de l'Outre-mer a pu déclarer devant le Sénat : « (...). Je me suis déjà engagé à plusieurs reprises à poser ce problème au sein de la Conférence intergouvernementale (...). Je comprends la spécificité de l'Outre-mer et les spécificités particulières à l'intérieur de l'Outre-mer. Moi non plus je ne vois pas pourquoi et en vertu de quels principes nos partenaires européens obtiendraient plus de satisfaction quant à la manière dont sont considérés leurs territoires que nous ».
De son côté, M. Jacques LARCHÉ, président de la commission des lois, a notamment fait valoir que « (...) Le mécanisme actuel, qui consiste à soumettre la Polynésie française, en ce qui concerne l'installation des étrangers qui pose des problèmes particuliers, à une réglementation uniforme, c'est-à-dire celle de la métropole, n'est pas satisfaisant.
Mais, mon cher collègue, pour parvenir au résultat souhaité, il n'est pas nécessaire de modifier la Constitution. Ce qu'il faut modifier, c'est la conception du droit communautaire applicable aux territoires d'Outre-mer
Jusqu'à présent, l'opportunité d'une confrontation générale sur les perspectives du droit communautaire a fait défaut, ce qui n `a pas permis au Gouvernement d'agir dans le sens que vous souhaitez, mais cette occasion va se présenter lors de la Conférence intergouvernementale ».
Malheureusement, au moment où s'ouvre la Conférence intergouvernementale,il ne semble pas exister de position claire de la part de la France sur ce sujet. Il est donc important que le Sénat confirme sa volonté de voir mieux prise en compte la spécificité des Pays et Territoires d'Outre-mer dans la construction communautaire.
C'est pourquoi il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de résolution suivante, que la Délégation pour l'Union européenne m'a demandé de déposer :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Vu la proposition d'acte communautaire E 594 ;
Considérant que la proposition E 594 concerne la révision à mi-parcours de la décision du 25 juillet 1991 relative à l'Association des Pays et Territoires d'Outre-mer à la Communauté européenne ;
Considérant que la commission européenne propose notamment un renforcement de la procédure de partenariat qui permet aux autorités des PTOM d'être associées aux décisions concernant ces territoires ; que la modification proposée reste cependant très timide ;
Considérant que la proposition de révision prévoit d'accorder aux ressortissants des PTOM le bénéfice de 22 programmes communautaires ; que, compte tenu de l'éloignement de ces territoires, ces possibilités ne pourront être utilisées que si une information complète et régulière est assurée dans les PTOM par les autorités communautaires ;
Considérant que le régime actuel du libre établissement des ressortissants communautaires dans les PTOM ne prend pas en compte les spécificités géographiques, humaines, économiques et statutaires de territoires qui n'appartiennent pas à la Communauté européenne, mais lui sont associés ;
Considérant que seule une modification du Traité de Rome peut permettre la reconnaissance des particularités des PTOM ; que la partie du Traité consacrée aux PTOM n'a jamais été modifiée depuis 1957 ;
Considérant enfin que la Conférence intergouvernementale qui s'ouvrira dans quelques jours est peut-être pour les PTOM la dernière occasion avant longtemps de voir les conditions de leur association à la Communauté européenne modifiées ;
Invite le Gouvernement :
- à veiller à ce que la procédure de partenariat établie par la décision d'association de 1991 conduise à une véritable prise en compte des souhaits et propositions émis par les autorités des PTOM ;
- à agir au sein du Conseil pour que l'extension de certains programmes communautaires aux ressortissants des PTOM soit accompagnée d'une politique d'information sur ces programmes et que les démarches administratives à accomplir soient les plus légères possibles ;
Demande surtout au Gouvernement de tout mettre en oeuvre pour que la Conférence intergouvernementale réexamine le régime d'association à la Communauté européenne des PTOM, et notamment les dispositions relatives au libre établissement des ressortissants communautaires, afin que les spécificités de ces territoires soient pleinement reconnues.
* (1) Rapport de M. Daniel MILLAUD. Pour une réforme des dispositions du Traité de Rome sur l'association des Pays et Territoires d'Outre-mer, n° 385 (1994-1995).