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N° 349
SÉNAT
TROISIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1994-1995
Annexe au procès-verbal de la séance du 4 juillet 1995.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 RIS DU RÈGLEMENT, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil portant modification de la directive 89/552/CEE du 3 octobre 1989 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d 'activités de radiodiffusion télévisuelle (n° E 419),
par M. Adrien GOUTEYRON,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Affaires culturelles sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Union européenne - Audiovisuel.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 22 mars dernier, après un certain nombre d'atermoiements révélateurs des incertitudes qui entourent la mise en place d'un espace audiovisuel européen, la Commission de l'Union européenne a adopté une proposition de directive portant modification de la directive 89-552 du 3 octobre 1989 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle.
Il est salutaire que le Parlement, saisi de ce texte en application de l'article 88-4 de la Constitution, soit en mesure de débattre de façon véritablement approfondie et conclusive des mesures dont il propose la prorogation ou la modification, tant celles-ci apparaissent déterminantes pour l'évolution du secteur audiovisuel. Le signataire de la présente résolution avait dû recourir, lors de l'adoption de la directive 89-552, à la procédure de la question orale avec débat afin de provoquer une discussion sur ce texte au Sénat.
I. LE CONTEXTE DE LA NÉGOCIATION
A- DE L'ADOPTION À LA RÉVISION DE LA DIRECTIVE N° 89-552
L'objectif de la directive 89-552 était d'établir les conditions réglementaires de l'établissement d'un espace européen audiovisuel alors que le cloisonnement des marchés nationaux, entretenu par une trop grande disparité des réglementations de la diffusion, se révélait de plus en plus pernicieux. La disparition des monopoles nationaux de diffusion et la très forte croissance de la demande de programmes audiovisuels exprimée par les nouveaux diffuseurs, semblaient en effet avoir pour conséquence de transformer l'Europe en un terrain de parcours commercial réservé aux productions américaines et japonaises susceptibles de remplir les grilles de programmes à des prix de dumping.
Il importait de réagir à cette situation. En dépit de profondes divergences d'appréciation entre les États membres dans l'analyse de la situation et des perspectives du secteur audiovisuel, la directive 89-552 a institué quelques règles de base relatives à la diffusion et à la production de programmes européens, à la publicité, à la protection des mineurs, esquissant les conditions juridiques de constitution d'un espace audiovisuel véritablement européen. Dans son article 26, elle a prévu la présentation par la commission, dans les cinq ans, d'un rapport relatif à son application et la formulation, le cas échéant, de propositions d'adaptation compte tenu de l'évolution de la radiodiffusion télévisuelle.
En adoptant le 22 mars dernier, une proposition de directive modifiant le texte de 1989, la Commission de l'Union européenne a lancé formellement le processus de révision qu'appelait l'article 26 et que les défauts constatés dans l'application du texte initial ainsi que les profondes évolutions technologiques affectant l'économie du secteur audiovisuel, rendaient indispensable.
B. L'ÉVOLUTION DU CONTEXTE TECHNIQUE
L'introduction des techniques de la compression numérique et de la diffusion numérique des images animées, diminuant fortement le coût de la diffusion et permettant la démultiplication des services de radiodiffusion audiovisuelle aussi bien sur les ondes hertziennes terrestres que par satellite ou par le câble, pour ne pas parler du champ ouvert sur les réseaux téléphoniques, vont provoquer une nouvelle augmentation de la demande de programmes audiovisuels et l'apparition de nouveaux types de services de communication tout en rendant plus que perméable la frontière entre la communication audiovisuelle et les télécommunications.
Certains nouveaux services se situant dans le prolongement direct de l'activité des diffuseurs, tels que la vidéo à la demande, et qui constitueront une partie essentielle de l'économie du secteur, ne seront pas couverts par la réglementation audiovisuelle car ils fonctionnent sur appel individuel (article 1er, §a de la directive). Certains services explicitement mentionnés par la directive, tels que le télé-achat, seraient d'autre part dans une situation juridique ambiguë ou partagée dès lors qu'une utilisation des techniques d'interactivité, dont le développement est inévitable dans un tel domaine, feraient intervenir le fatidique « appel individuel » du consommateur qui place l'activité sous le régime des télécommunications. Toutes sortes de distorsions de concurrence résulteraient d'une telle situation dont la conséquence ne pourrait être que la perte de substance de la réglementation européenne.
Il faut donc préciser la définition de la communication audiovisuelle énoncée par la directive afin d'appliquer sans tarder son régime juridique aux services liés au développement des techniques numériques quand ceux-ci apparaissent comme le prolongement naturel des services audiovisuels existants et s'insèrent étroitement dans l'économie de la communication audiovisuelle, selon des critères à définir. Il n'est bien entendu pas question d'aller, à ce stade, au-delà d'une assimilation de principe et d'appliquer les dispositions de fond de la directive à ces services avant que le développement du marché ne permette d'apprécier précisément leurs besoins spécifiques.
C. VALEUR DE LA RÉGLEMENTATION DE LA DIFFUSION
Une autre raison impérieuse de procéder à la renégociation de la directive 89-552 est la nécessité de rectifier les insuffisances que son application a révélées. Si celles-ci ne sont pas fortuites mais le résultat des divergences d'appréciation relevées ci-dessus, il importe pourtant de les corriger à la lumière du bilan que l'on peut dresser des résultats de la directive après cinq années d'application inégale d'un État membre à l'autre : si un texte rempli d'échappatoires a pu avoir quelques conséquences favorables sur la production audiovisuelle européenne, on peut attendre beaucoup de son renforcement.
Or, en dépit d'une transposition très lacunaire dans le droit interne des États membres, la directive a produit des résultats très honorables là où ont été appliquées ses dispositions cruciales concernant les obligations de diffusion (art. 4) et de production d'oeuvres européennes (art. 5) imposées aux diffuseurs.
La France apparaît comme un terrain d'expérience révélateur des avantages comme des insuffisances d'une réglementation volontariste de la diffusion audiovisuelle. Des mesures relatives à la diffusion des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles ainsi qu'à la contribution des diffuseurs au développement de la production cinématographique et audiovisuelle, instituées depuis les années 1970 en ce qui concerne les quotas de diffusion, y sont actuellement régies respectivement par le décret n° 90-66 du 17 janvier 1990 et par le décret n° 90-67 du 17 janvier 1990, modifiées par deux décrets du 27 mars 1992.
Les quotas de diffusion, aux heures de grande écoute, ont permis d'assurer une forte présence de la production française dans les grilles de programmes, incitant les diffuseurs à commander aux producteurs français des séries longues fabriquées de façon quasi-industrielles. Ceux-ci ont ainsi été amenés à exploiter un créneau commercial qu'ils délaissaient jusqu'alors. De forts succès d'audience ont rétribué leur capacité d'adaptation.
C'est désormais la recherche de l'audience qui conduit au respect des quotas, plus que la réglementation. On peut faire une constatation presque similaire dans des pays comme la Grande-Bretagne et l'Allemagne où le respect des dispositions de la directive européenne est assuré non par la réglementation nationale mais grâce au goût du public pour les productions nationales. Alors que l'augmentation prévue de la demande de programmes audiovisuels va donner un regain de vigueur à la tentation traditionnelle des diffuseurs de s'approvisionner à bas prix sur le marché américain, le maintien du système des quotas est légitimé par l'adhésion du public aux spécificités culturelles nationales aussi bien que par la nécessité de préserver un secteur économique crédité de fortes perspectives de croissance au seuil de l'ère de la communication numérique.
Si le bilan peut apparaître plus nuancé en ce qui concerne le cinéma français, dont les succès d'audience ne semblent pas répondre aux attentes et dont la présence dans les grilles de programmes connaît un léger repli depuis 1992, il n'en est pas moins nécessaire de conserver à ce secteur essentiel de la production culturelle toute sa place sur les écrans de télévision, les nécessaires adaptations devant être encouragées par le biais des programmes de soutien financier tels que le programme MEDIA sur le plan communautaire.
En ce qui concerne enfin les obligations de participer financièrement à la production audiovisuelle et cinématographique imposées aux diffuseurs, qui ne font pas l'objet de critiques frontales, il convient d'observer qu'elles ne sauraient être substituées aux obligations de diffusion, comme on l'entend parfois préconiser. En effet, les obligations de production n'ont pas le même impact que ces dernières, comme le remarquait M. Jacques Toubon, alors ministre de la culture, auditionné le 8 février dernier par la commission des affaires culturelles du Sénat, relatant l'exemple de TF1 : cette chaîne diffuse actuellement quelques 5.000 heures d'oeuvres audiovisuelles par ou parmi lesquelles doivent figurer, aux termes de la législation des quotas, 2.700 heures d'oeuvres européennes alors que les obligations de production imposées par la loi (15 % du chiffre d'affaires) n'ont financé en 1993 que 618 heures d'oeuvres européennes.
Le bilan assez favorable que l'on peut dresser de l'application de la réglementation des quotas en France ne peut cependant dissimuler le retard persistant de la création de l'espace audiovisuel européen : les oeuvres audiovisuelles et cinématographiques ne circulent guère entre les États membres pour de nombreuses raisons auxquelles la directive ne saurait seule porter remède (en matière d'écriture des scénarios, de traduction, d'organisation de la distribution, le programme MEDIA permet la distribution d'incitations financières). Un renforcement de ses dispositions n'est pas moins susceptible de favoriser des progrès : l'introduction de la notion d'heures de grande écoute, par exemple, permettrait d'améliorer la qualité des oeuvres produites pour satisfaire les quotas de diffusion, comme ce fut incontestablement le cas en France ; une définition plus rigoureuse des oeuvres éligibles pour le décompte des quotas, écartant en particulier les émissions de plateau, inciterait les diffuseurs à investir dans de véritables programmes de stock, réexportables.
Il est ainsi nécessaire de maintenir en l'améliorant significativement le dispositif de la directive 89-552. La proposition adoptée par la commission le 22 mars dernier ne répond qu'imparfaitement à cette nécessité.
Il convient de distinguer successivement les dispositions de fond et celles régissant la mise en oeuvre de la directive.
II. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION
A. LES DISPOSITIONS DE FOND DE LA PROPOSITION DE DIRECTIVE
1. Un des points particulièrement positifs du projet est l'énonciation de l'obligation de diffuser une proportion majoritaire d'oeuvres européennes dans des termes susceptibles de la rendre opérationnelle. La mention « chaque fois que cela est réalisable », qui altérait la portée de cette obligation dans le texte de 1989, est en effet supprimée.
Cependant, quatre facteurs dont il conviendrait d'obtenir la correction par le Conseil des ministres continue d'affecter l'efficacité de cette mesure.
D'une part, la durée d'application des quotas de diffusion est limitée à 10 ans. Alors que nul ne peut prédire la situation et les besoins du marché audiovisuel à cette échéance, il apparaît singulièrement inopportun d'édicter d'emblée une durée d'application qui contraindra les États membres soucieux de leur autonomie culturelle et de la prospérité de leur industrie des programmes à se présenter à nouveau en demandeurs et à livrer un combat difficile quand l'échéance se présentera. On ne saurait considérer que les quotas sont éternels, il serait cependant utile, au bénéfice des considérations qui précèdent, de substituer à la limitation de 10 ans une clause d'évaluation et de révision à échéance plus brève, la « charge de la preuve » étant ainsi renversée.
D'autre part, la proposition de la Commission européenne pérennise l'assimilation des émissions de plateau, variétés, « talk shows » aux oeuvres européennes. Elle permet ainsi aux diffuseurs de se libérer à bon compte de leurs obligations en matière de quotas de diffusion. La création d'un volume suffisant d'oeuvres de création susceptibles d'irriguer l'espace audiovisuel européen en est affectée d'autant. Il conviendrait donc que seuls les films de cinéma, les fictions télévisuelles, les documentaires et les films d'animation, véritables oeuvres de création, soient considérés comme des oeuvres.
Par ailleurs, l'absence de la notion d'heures de grande écoute durant lesquelles l'obligation de diffusion devrait être appliquée, assez compréhensible dans le texte de 1989 dans la mesure où la diffusion nocturne n'était pas aussi développée qu'aujourd'hui, constitue une autre échappatoire susceptible de freiner la construction de l'espace audiovisuel européen.
Enfin, le projet de directive prend en compte la situation spécifique des chaînes thématiques consacrées au cinéma, à la fiction audiovisuelle, au documentaire ou au dessin animé. Ce traitement particulier peut se justifier, mais le dispositif proposé à cette fin peut être amélioré. En effet, il est prévu d'offrir à ces chaînes le choix entre l'application des quotas de diffusion et une obligation d'investissement dans les programmes fixée à 25 % du budget de programmation. Si l'option ainsi ouverte apparaît justifiée par les besoins et les charges particuliers des chaînes thématiques, en revanche, le choix du budget de programmation comme base du calcul de l'obligation d'investissement est contestable dans la mesure où, même définie dans le texte du projet, cette notion est plus floue et surtout plus difficilement contrôlable que celle de chiffre d'affaires, qu'il aurait été préférable de retenir.
2. Le second élément crucial du projet de directive est la prise en compte de l'extension des technologies numériques et du bouleversement du paysage audiovisuel qui en résultera. Or, aucune modification de la notion de radiodiffusion télévisuelle permettant de faire entrer les prochains services interactifs dans le champ d'application de la directive, n'est prévue. À peine quelques mesures susceptibles de favoriser le développement des services thématiques, comme on vient de le voir, et du téléachat, sont-elles proposées. Encore le téléachat sera-t-il vraisemblablement en dehors du champ d'application de cette réglementation dès lors qu'il associera des procédés d'interactivité permettant de l'assimiler à un service de télécommunication.
Ainsi se dessine un partage parfaitement irrationnel du secteur audiovisuel de demain entre deux réglementations dissemblables car répondant à des objectifs différents. Il importe au plus haut point d'effectuer sans retard les adaptations nécessaires au maintien de l'unité juridique du secteur audiovisuel. L'exception culturelle reconnue dans le cadre de l'Uruguay round le permet actuellement. Il est probable que l'évolution de la négociation commerciale internationale rendra l'opération de plus en plus contestée et difficile.
Sans appliquer l'intégralité de la réglementation européenne aux nouveaux services tels que le paiement à la séance et la vidéo à la demande, il serait donc nécessaire d'opérer une modification des définitions énoncées dans l'article premier afin de les faire entrer à titre conservatoire dans le champ d'application de la directive.
3. Les autres modifications relatives au contenu de la réglementation ont une portée plus modeste. On peut noter en particulier une légère extension de la notion d'oeuvre européenne en matière de coproduction, ainsi que la non application aux films de télévision du dispositif limitant le nombre des coupures publicitaires dans les oeuvres audiovisuelles.
Il convient d'insister en revanche sur les dispositions relatives à l'échelonnement dans le temps des divers modes d'exploitation commerciale des films de cinéma, ce que l'on appelle là « chronologie des médias ». L'objectif en est principalement de défendre les intérêts des exploitants de salles de cinéma en leur offrant un créneau initial d'exploitation. Ce mode d'exploitation serait en effet menacé par les médias audiovisuels s'il ne disposait pas d'une période d'exclusivité pour la diffusion des oeuvres cinématographiques.
A cet égard, le début de l'exploitation en salle dans un État membre, point de départ de la computation des délais imposé par la directive, constitue une gêne : si un film américain est projeté en salle dans un État membre bien avant sa sortie dans les salles françaises, la diffusion télévisuelle pourra intervenir, en France, à une date rapprochée de cette sortie, voire la précéder. Il serait donc nécessaire d'adopter une rédaction ne présentant pas le risque de faire obstacle, dans les États membres où la sortie en salle serait tardive, à l'application de la « chronologie des médias ».
B. LA MISE EN OEUVRE DE LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE
1 . Le projet de directive précise les critères de détermination de la compétence des États membres sur les organismes de radiodiffusion télévisuelle. Il s'agit d'un aspect important du dispositif de mise en oeuvre de la directive. Le texte de 1989 est imprécis à cet égard, ce qui a contribué à rendre aléatoire le contrôle dès diffuseurs.
Il faut noter les faiblesses des critères retenus : établissement sur le territoire d'un État membre avec détention d'une installation stable et exercice d'une activité économique effective sur le même territoire ; et, pour les organismes établis en dehors de l'Union européenne, utilisation d'une fréquence, d'une capacité satellitaire ou d'une liaison montante vers un satellite accordées par un État membre.
Ces critères ne permettent pas de soumettre à la réglementation et au contrôle d'un État membre des organismes qui, situés dans un autre État membre plus laxiste, diffuseraient des programmes destinés essentiellement au public du premier et tireraient de celui-ci l'essentiel de ses ressources. Une telle situation serait à l'évidence source de graves distorsions de concurrence. Il conviendrait d'en tenir compte dans la détermination des critères de compétence.
2 . On doit se féliciter par ailleurs que le projet de directive énonce de façon beaucoup plus précise que le texte de 1989 l'obligation imposée aux États membres d'assurer l'application de la directive.
Le projet dispose en effet comme en 1989 que les États membres « veillent ...au respect » de la directive, mais précise en outre que ceux-ci établissent des sanctions suffisantes en cas de non-respect par les organismes relevant de leur compétence, et qu'ils instituent des « mesures provisoires ayant pour but de remédier à une violation de la directive, si nécessaire au moyen de la suspension de l'autorisation d'émettre ».
On peut cependant regretter qu'aucune disposition n'ait été prise afin de permettre aux opérateurs de tout État membre éventuellement lésés par le non-respect de la directive, d'intenter une action juridique contre un concurrent en infraction, dans l'État membre dont celui-ci est ressortissant.
Les différentes adaptations qu'il apparaît nécessaire de revendiquer à la lumière d'un examen attentif de la proposition de directive sont-elles hors d'atteinte alors qu'au fil des avant-projets successivement rédigés par les services de la Commission européenne, l'indifférence, voire l'opposition de la plupart des États membres à une amélioration significative du dispositif, se sont clairement manifestés ? La modification qui permet de donner un caractère obligatoire aux quotas de diffusion d'oeuvres européennes n'a ainsi pas été acquise sans difficulté. Les progrès incomplets constatés ci-dessus ne constituent-ils pas, dès lors, une aubaine dont il faudrait se contenter sans tenter d'aller jusqu'au bout de la logique de mise en place de l'espace audiovisuel européen ?
En fait, jamais sans doute la légitimité d'une politique volontariste de promotion du secteur audiovisuel dans le cadre européen n'a été aussi forte. Le traité de Maastricht a inséré dans le traité de Rome un titre IX consacré à la culture qui autorise la Communauté à agir afin d'encourager la coopération entre États membres, et si nécessaire appuyer et compléter leur action en matière de « création artistique et littéraire, y compris dans le secteur de l'audiovisuel » (article 128). Si ces dispositions visent l'adoption de programmes de soutien financier à la création audiovisuelle et non pas l'harmonisation de la réglementation de l'audiovisuel, elles n'en fondent pas moins en légitimité un volontarisme réglementaire empruntant ses bases juridiques aux articles du traité de Rome consacrés à la liberté des prestations de services, : l'épanouissement des cultures des États membres (article 128), le respect de l'histoire, des cultures et des traditions des peuples de l'Europe (préambule du Traité de Maastricht) figurent parmi les objectifs de l'Union européenne. Il est nécessaire d'en tirer toutes les conséquences, y compris dans le secteur audiovisuel, comme l'exception culturelle reconnue dans le cadre de l'Uruguay round le permet par ailleurs pour une durée qu'il serait imprudent de considérer comme illimitée.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil portant modification de la directive 89/552/CEE du 3 octobre 1989 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle,
• rappelle la nécessité de
réviser les dispositions de la directive 89-552 en raison tant des
lacunes révélées par l'application de ce texte, que de
l'évolution profonde de l'économie du secteur audiovisuel et de
la difficulté croissante de contrôler la circulation
transfrontalière des programmes audiovisuels ;
• estime nécessaire de prévenir,
grâce à un degré élevé de coordination des
réglementations nationales de la diffusion audiovisuelle, les
distorsions de concurrence que le nouveau contexte technique et
économique de l'audiovisuel ne manquera pas de provoquer au
détriment des entreprises des États membres les plus exigeants
sur la qualité des programmes diffusés ;
• estime en outre nécessaire de prévoir
sans retard l'application du régime juridique de la diffusion
audiovisuelle aux services interactifs qui constitueront prochainement le
prolongement naturel des services existants et une part importante de
l'économie du secteur audiovisuel ;
• rappelle que le renforcement des dispositions de la
directive 89-552 en vue de favoriser la création audiovisuelle
européenne est légitimé, dans l'ordre juridique
international, tant par les conclusions de l'Uruguay round entérinant la
notion d'exception culturelle que par le titre IX du traité de Rome
modifié par le traité de Maastricht, dans son article 128, §
2, alinéa 5 en particulier ;
• souhaite par conséquent que la
renégociation de la directive 89-552 permette d'accentuer la
coordination des réglementations nationales de la diffusion
audiovisuelle et de bâtir un socle réglementaire assurant un
environnement favorable au développement des industries de l'image en
Europe ;
• estime que la proposition de directive
présentée par la Commission de l'Union européenne comporte
des éléments satisfaisants au regard de cet objectif, en
particulier :
- le caractère désormais obligatoire du respect des quotas de diffusion d'oeuvres européennes institués par l'article 4,
- l'énonciation de critères précis de détermination de la compétence des États membres sur les organismes diffuseurs,
- l'obligation imposée aux États membres de se doter d'un système de sanctions et de mesures conservatoires applicables aux organismes relevant de leur compétence, en cas de violation des dispositions de la directive ;
- l'élaboration d'un régime juridique du téléachat favorisant le développement de cette catégorie de service,
• admet que la spécificité de leur
programmation justifie l'octroi aux chaînes thématiques de la
possibilité de se soumettre à une obligation d'investissement
dans la production d'oeuvres européennes, s'exonérant ainsi de
l'obligation d'appliquer la règle des quotas de diffusion ;
• invite le Gouvernement à obtenir que la
directive en négociation énonce le principe de l'application du
régime juridique de l'audiovisuel aux nouveaux services, y compris les
services interactifs, et attire son attention sur la nécessité
d'inciter la Commission de l'Union européenne à présenter
dans les meilleurs délais le livre vert en cours d'élaboration
sur la réglementation de ces nouveaux services ;
• invite le Gouvernement à rechercher dans la
négociation en cours la correction des insuffisances qui altèrent
gravement la portée du texte présenté par la Commission,
et spécialement,
• en ce qui concerne les quotas de diffusion :
- la disposition prévoyant leur disparition à l'expiration d'une durée de dix ans devrait être remplacée par une clause d'évaluation et de réexamen à échéance plus proche qui, sans pérenniser le système des quotas, faciliterait sa reconduction éventuelle, au vu de l'évolution de l'industrie européenne des programmes ;
- il conviendrait de supprimer l'assimilation des émissions réalisées en plateau à des oeuvres européennes, cette dernière qualité devant être réservée aux oeuvres de stock (films, fictions télévisuelles, documentaires, films d'animation) ;
- il conviendrait enfin de prévoir l'application des quotas de diffusion aux heures d'écoute significative afin de prévenir le recours à la diffusion nocturne comme échappatoire ;
• en ce qui concerne le contrôle de l'application
de la directive :
- il serait nécessaire d'accorder à un État apparaissant comme le principal destinataire des émissions d'un diffuseur basé dans un autre État membre une compétence de contrôle sur le contenu des programmes soit au regard de sa propre législation, soit au minimum, au regard de la réglementation européenne, afin de prévenir les distorsions de concurrence résultant de la délocalisation des diffuseurs dans des États membres dotés d'une réglementation laxiste en matière de contenu des programmes ;
- il conviendrait aussi d'insérer dans le texte de l'article 3 de la directive une disposition invitant les États membres à ouvrir des voies de recours juridictionnel efficaces et rapides à toute personne morale intéressée établie dans l'Union européenne ;
• en ce qui concerne les autres dispositions de la
proposition de directive, il apparaît en particulier nécessaire
d'obtenir, à l'article 7 instituant la chronologie des médias,
une rédaction permettant le respect effectif de cette chronologie dans
tout État membre, ce qui implique l'abandon, comme point de
départ de la computation des délais, du critère de la
sortie en salle dans un des États membres de l'Union.