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N° 405
SÉNAT
SECONDE SESSION ORDINAIRE DE 1993-1994
Annexe au procès-verbal de la séance du 10 mai 1994.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, relative à la proposition modifiée de directive du Conseil relative à la protection des jeunes au travail (n° E-61),
PRÉSENTÉE
Par Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Michelle DEMESSINE, Paulette FOST, Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS, MM. Jean GARCIA, Charles LEDERMAN, Félix LEYZOUR, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Robert PAGÈS, Ivan RENAR, Robert VIZET et Henri BANGOU,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Union européenne. - Enfants (travail des).
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
La proposition de directive du Conseil des Communautés européennes (92/C 84/06), présentée le 18 mars 1992, aurait pour objet d'assurer la protection des jeunes au travail.
Partant de l'affirmation de l'interdit au travail des enfants, elle définit une succession de dérogations levant l'interdiction et légalisant le travail des enfants de treize ans, voire de moins de treize ans.
Cette directive constitue donc une remise en cause grave de notre législation. Elle constitue une évolution négative par rapport à la Convention internationale des droits de l'enfant, adoptée par l'O.N.U. en 1989 et signée par la France.
La situation du travail des enfants est préoccupante. Selon l'O.I.T., 200 millions d'enfants travailleraient dans des conditions inhumaines, réduits parfois à un véritable esclavage - comme en Inde. En Amérique latine, le taux de mortalité des enfants est sept fois plus élevé que dans les pays développés. Le travail des enfants n'est pas un problème touchant exclusivement les pays en voie de développement. Dans la Communauté européenne, plus de 2 millions de moins de quinze ans sont employés de façon illégale bien en dessous des seuils appliqués en France.
Dans notre pays, le ministère du Travail reconnaît le travail illégal de milliers d'enfants. Des ateliers clandestins existent à Paris et en banlieue exploitant des enfants de moins de seize ans. Des exemples, trop nombreux, démontrent l'exploitation cachée des enfants, au moment de certains travaux agricoles, dans les D.O.M.-T.O.M., dans les formes nouvelles du travail à domicile.
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Cette exploitation économique est humainement insupportable. Elle est déshonorante pour ceux et celles qui l'organisent ou en tirent un profit directement ou non.
Des dangers existent de voir cette situation se dégrader.
1. La pauvreté s'étend. Elle conduit des familles à faire travailler les enfants dans la journée, en dehors des heures de classe.
2. L'accentuation de la crise, la volonté du patronat de faire des profits à outrance en Europe, en France, entraînent un accroissement du nombre d'enfants se livrant à des activités.
3. Le plan quinquennal pour l'emploi, en redéfinissant l'apprentissage comme forme souhaitée de formation des jeunes, aggrave les risques.
4. Le nombre d'accidents parmi les jeunes au travail est deux fois plus élevé que chez les adultes.
Les enfants deviennent alors des victimes dans leur développement physique et psychique.
La loi se doit de les protéger.
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- La Commission de Bruxelles, avec sa proposition de directive prétendant assurer « la protection des jeunes au travail », légalise le travail des enfants et en permet l'extension.
C'est en ce sens que, pour la législation appliquée dans notre pays, la directive se révèle extrêmement dangereuse.
- Elle autorise le travail des enfants à partir de treize ans, voire moins pour ceux effectuant des travaux légers. Seul l'employeur serait en mesure d'apprécier la nature réelle du travail exigé. Il disposerait alors du pouvoir d'évaluer souverainement les risques spécifiques pour la sécurité et la santé physique et mentale du jeune.
- La démarche dérogatoire de cette directive est répétée à propos de la durée du travail des enfants, de l'interdiction du travail de nuit, du repos hebdomadaire.
Il n'est nullement question de protéger les enfants mais de légaliser leurs conditions d'emploi et d'exploitation.
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- Cette directive fait l'objet de nombreuses interrogations, inquiétudes, mais aussi protestations, dont la presse française se fait l'écho.
- La directive soulève également de vives réactions de la part des syndicats, d'associations, de l'opinion, émus ou révoltés par cette attaque contre la vie des enfants, la formation de jeunes qui s'intègre dans une politique de remise en cause des acquis sociaux conquis de haute lutte par le monde du travail depuis des décades.
- Ce sont les chômeurs adultes qui doivent travailler, non les enfants. Ceux-ci doivent pouvoir continuer à étudier, à se former avec un niveau de qualification le plus élevé possible.
- À la suite des protestations puissantes opposées à l'attaque contre l'école publique, refusant un S.M.I.C. au rabais pour les jeunes, le mécontentement contre cette directive européenne se développe.
- La Commission européenne se trouve contrainte de procéder à des aménagements mais les modifications proposées laissent subsister le danger qui menace notre législation.
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- M. le ministre du Travail a affirmé en juin 1993, devant des parlementaires et représentants d'associations, que le Gouvernement ne s'engagerait pas à voter un texte autorisant le travail des enfants. Nous sommes obligés de constater que le Conseil des ministres, M. le ministre du Travail, Mme le ministre des Affaires sociales procèdent à l'étude de ce texte mais ne le rejettent pas clairement.
- Par ailleurs, l'évolution inquiétante apportée par la loi quinquennale sur l'emploi, le 20 décembre 1993, autorisant l'apprentissage à quatorze ans, va à rencontre de toute déclaration rassurante du ministère du Travail, telle sa réponse n° 4594 du 14 avril 1994 à la question d'un sénateur communiste sur l'adoption éventuelle de cette directive.
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Il convient, en outre, d'observer que cette directive, même modifiée, est en totale contradiction avec deux conventions ratifiées par notre pays.
1. La convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989 reconnaît à l'enfant le droit à l'éducation, la protection contre l'exploitation économique.
2. La convention internationale du travail n° 138 abolit le travail des enfants, n'octroyant de dérogations provisoires que pour les pays dont l'économie et les institutions scolaires sont insuffisamment développées. Ce qui n'est pas encore le cas en France.
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Une nation s'honore en donnant à tous les enfants les moyens de vivre pleinement leur enfance, de préparer leur vie d'adulte et d'entrer dans le monde du travail dans les meilleures conditions.
En rejetant cette directive, notre pays doit donner l'exemple et contribuer ainsi à protéger notre législation, aider l'évolution sociale de l'ensemble des pays européens.
Ces raisons nous conduisent à vous demander, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de résolution suivante :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition modifiée de directive du Conseil relative à la protection des jeunes au travail (n° E-61),
Vu la convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989,
Vu la convention internationale du travail n° 138 concernant l'âge minimum d'admission à l'emploi,
- Estime qu'il relève de la souveraineté nationale d'assurer le droit d'étudier et la protection contre toute exploitation des enfants jusqu'à seize ans.
- Estime indispensable de préserver les avantages sociaux acquis par notre pays.
- Demande en conséquence au Gouvernement de ne pas adopter la proposition modifiée de directive du Conseil relative à la protection des jeunes au travail (n° E-61).