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N° 327
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 janvier 2013 |
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
PRÉSENTÉE AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 QUATER DU RÈGLEMENT
sur les droits d' enquête du Parlement européen ,
PRÉSENTÉE
Par M. Simon SUTOUR,
Sénateur
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale.)
(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM. Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Louis Lorrain, Jean-Jacques Lozach, François Marc, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat a été destinataire d'une proposition de règlement adoptée par le Parlement européen, qui fixe les modalités d'exercice du droit d'enquête du Parlement européen. Ce texte soulève certaines difficultés.
1/ Quel est le contexte ?
Au titre de ses moyens de contrôle, le Parlement européen peut notamment créer des commissions d'enquête pour contrôler des allégations d'infraction ou de mauvaise application du droit communautaire. Il a jusqu'à présent peu usé de cette faculté. On peut citer la commission d'enquête sur la gestion européenne de la maladie de la vache folle en 2000 ou encore celle qui a concerné le fonctionnement d'Eurostat en 2003.
Le traité (article 226 TFUE) prévoit que le Parlement européen peut constituer une commission temporaire d'enquête, à la demande d'un quart des membres qui le composent. L'objet d'une telle commission est d'examiner les allégations d'infraction ou de mauvaise administration dans l'application du droit de l'Union. Cet examen est sans préjudice des attributions conférées par les traités à d'autres institutions ou organes. En outre, le traité pose une restriction à la constitution d'une commission d'enquête si les faits allégués sont en cause devant une juridiction et aussi longtemps que la procédure juridictionnelle n'est pas achevée.
L'existence de la commission temporaire d'enquête prend fin par le dépôt de son rapport.
Avant l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le traité (TCE article 193) précisait que les modalités d'exercice du droit d'enquête devaient être déterminées d'un commun accord par le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Tel fut l'objet d'une décision du 19 avril 1995 qui constitue l'annexe IX du règlement intérieur du Parlement européen.
Le traité de Lisbonne a renforcé les prérogatives du Parlement européen dans ce domaine puisqu'il a précisé que « les modalités d'exercice du droit d'enquête sont déterminées par le Parlement européen, statuant par voie de règlements de sa propre initiative conformément à une procédure législative spéciale, après approbation du Conseil et de la Commission. »
2/ Quelles sont les difficultés ?
La première difficulté concerne l'impossibilité d'exercer un contrôle de subsidiarité sur ce texte. Cette difficulté a été soulevée par plusieurs parlements (Chambre des communes, Cortès espagnols, Sénat polonais). Il ne fait aucun doute que le contrôle de subsidiarité, d'après les traités, doit s'appliquer aussi aux projets d'actes législatifs dont le Parlement prend l'initiative. Mais, en l'espèce, le Parlement européen a décidé - comme le lui permet son règlement - de reporter son vote sur sa propre proposition de règlement en attendant le résultat des négociations qu'il a engagées avec le Conseil et la Commission.
N'ayant pas été formellement adoptée, cette proposition ne constitue pas encore un projet d'acte législatif dont le Protocole n° 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité prévoit la transmission aux parlements nationaux.
En toute hypothèse, le Parlement européen considère qu'il s'agit d'un acte relatif à son fonctionnement interne qui relève de sa propre organisation. Il doit, en conséquence, selon le Parlement, être regardé comme relevant des compétences exclusives de l'Union, quand bien même cette compétence n'est nullement mentionnée dans la liste des compétences exclusives fixées par l'article 5 du traité. Il échapperait au contrôle de subsidiarité par les parlements nationaux
En conséquence, si l'on suivait la position du Parlement européen, les parlements nationaux se verraient privés de la possibilité d'adopter un avis motivé au titre de la subsidiarité. Ils seraient exclus de la négociation alors même que le texte prévoit des dispositions qui les concernent directement.
Il y a là un manque de transparence manifeste. Comme le souligne la Chambre des communes, le Parlement européen aurait dû adopter sa résolution législative et transmettre le projet d'acte législatif au Conseil, à la Commission et aux parlements nationaux au titre du Protocole n° 2.
La seconde difficulté tient au champ très large des compétences que le Parlement européen souhaite conférer à ses commissions d'enquête.
Usant de ses nouvelles prérogatives, le Parlement européen fait valoir, dans sa proposition de règlement, que « les commissions d'enquête du Parlement européen devraient être renforcées et dotées de compétences spécifiques, véritables et clairement délimitées, mieux conformes à la stature politique et aux attributions du Parlement européen, dans le plein respect du principe de proportionnalité. »
À cette fin, le Parlement européen considère qu'une commission d'enquête devrait disposer de pouvoirs très larges. Elle aurait le pouvoir d'entendre les membres des institutions de l'Union, ainsi que des membres des gouvernements des États membres, mais aussi obtenir la déposition de fonctionnaires et d'autres agents de l'Union ou des États membres, celle de tout individu résidant dans l'Union, demander des rapports d'expertise et des documents, procéder à des inspections sur place.
La commission d'enquête pourrait aussi demander à un Parlement national de « coopérer à l'enquête ». À cette fin, le Parlement européen pourrait conclure des accords interparlementaires.
Tout ceci paraît pouvoir poser des questions au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Or pour les raisons indiquées précédemment, aucune justification n'est apportée dans ce domaine. Si le texte restait en l'état, il risquerait de donner au Parlement européen un rôle très directif tant à l'égard des gouvernements nationaux, des administrations nationales que des parlements nationaux.
Il est souhaitable que le Parlement européen ait les moyens de bien exercer ses pouvoirs d'enquête, même s'il les a utilisés jusqu'à présent avec parcimonie. Mais il est également souhaitable que ces pouvoirs s'articulent bien, avec la clarté nécessaire, avec ceux des parlements nationaux, des juridictions nationales, et des organismes nationaux de contrôle. Il faut pour cela un réel dialogue permettant de respecter le principe de subsidiarité et d'assurer une répartition optimale des compétences, avec un cadre suffisamment défini.
*
Pour ces raisons, votre commission des affaires européennes a conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution qui suit :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu l'article 12 du traité sur l'Union européenne,
Vu l'article 226 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
Vu le Protocole n° 1 sur le rôle des Parlements nationaux dans l'Union européenne,
Vu le Protocole n° 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité,
Vu la proposition de règlement du Parlement européen concernant les modalités d'exercice du droit d'enquête du Parlement européen et abrogeant la décision 95/167CE, Euratom, CECA du Parlement européen, du Conseil et de la Commission,
Considère que ce texte doit pouvoir faire l'objet d'un examen par les parlements nationaux au titre de la subsidiarité, conformément au Protocole n° 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité ;
Souligne que, pour qu'un tel examen puisse produire un effet utile, les parlements nationaux devraient être destinataires du projet d'acte législatif au moment où celui-ci est transmis au Conseil et à la Commission dont l'approbation est nécessaire en vertu de l'article 226 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Rappelle qu'en vertu du traité, le droit d'enquête du Parlement européen s'exerce dans le cadre de l'accomplissement de ses missions et sans préjudice des attributions conférées par les traités à d'autres institutions ou organes ;
Considère que, conformément au Protocole n° 2, les compétences qui seraient conférées aux commissions d'enquête du Parlement européen doivent être justifiées au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité ; regrette cette absence de motivation dans le texte transmis au Sénat et s'interroge sur les prérogatives très étendues que le texte, en l'état, reconnaît à ces commissions d'enquête ;
Relève que le texte prévoit un mécanisme de coopération entre le Parlement européen et les parlements nationaux pour l'examen des allégations d'infraction ou de mauvaise administration dans l'application du droit communautaire ; estime qu'une telle coopération est envisageable à condition d'être conçue et mise en oeuvre dans le strict respect des propres droits d'enquête des parlements nationaux.