N° 244
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005
Annexe au procès-verbal de la séance du 15 mars 2005 |
PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne (1), en application de l'article 73 bis du Règlement, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant l' accès au marché des services portuaires (E 2744),
Par M. Robert BRET,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; MM. Denis Badré, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Bernard Frimat, Simon Sutour, vice-présidents ; MM. Robert Bret, Aymeri de Montesquiou, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Yannick Bodin, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Louis de Broissia, Gérard César, Christian Cointat, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, André Dulait, Pierre Fauchon, André Ferrand, Yann Gaillard, Paul Girod, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Gérard Le Cam, Louis Le Pensec, Mmes Colette Melot, Monique Papon, MM. Yves Pozzo di Borgo, Roland Ries, Mme Catherine Tasca, MM. Alex Türk, Serge Vinçon.
Union européenne. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat a été saisi, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, d'une proposition de directive sur l'accès au marché des services portuaires.
I. - L'ORIGINE DE CETTE PROPOSITION
En 1997, la Commission a adopté un Livre vert relatif aux ports et aux infrastructures maritimes. Dans ce document, elle manifestait son souhait de voir inscrire les ports dans le réseau transeuropéen de transport et sa volonté d'élaborer un cadre réglementaire pour libéraliser le marché des services portuaires.
La Commission a présenté, en février 2001, une communication sur l'amélioration de la qualité des services portuaires accompagnée d'une proposition de directive sur l'accès au marché de ces services, qu'on a appelé « paquet portuaire ».
L'objectif affiché de ce texte était d'établir un cadre juridique communautaire assurant le libre accès au marché des services portuaires, dans le respect des spécificités nationales.
Les négociations ont été très difficiles : il a fallu presque trois ans pour arriver à un compromis. Ce compromis a été repoussé par le Parlement européen qui, dans ce domaine, a un pouvoir de codécision. Après ce vote, on aurait pu s'attendre à ce que la Commission considère que ce projet était définitivement repoussé. Au contraire, moins d'une année après ce vote, la Commission Prodi - à l'initiative de l'ancienne commissaire aux transports Loyola de Palacio - a présenté à nouveau un texte d'esprit tout à fait similaire.
II. - LE CONTENU DE LA PROPOSITION
L'objectif de ce texte est d'introduire davantage de concurrence dans le secteur portuaire, en augmentant le nombre d'opérateurs autorisés à intervenir.
• La directive s'applique aux ports dont le volume de fret manutentionné est d'au moins 1,5 million de tonnes par an et/ou ayant accueilli au minimum 200 000 passagers (soit environ 400 ports).
• Les services concernés sont de trois types : les services nautiques (pilotage, remorquage, lamanage, c'est-à-dire l'amarrage au quai), la manutention, et les services aux passagers (assistance à l'embarquement et au débarquement).
• L'ouverture à la concurrence passe par un système d'autorisation que les opérateurs doivent obtenir auprès des autorités portuaires. Les critères d'octroi doivent être « transparents, non discriminatoires, objectifs, pertinents et proportionnés » et doivent être rendus publics. Ils doivent principalement porter sur les qualifications professionnelles du fournisseur, sur le respect de la sécurité maritime et sur la conformité « aux règles relatives à l'emploi et aux conditions sociales [...] à condition qu'elles soient compatibles avec le droit communautaire » .
Les autorités portuaires peuvent limiter le nombre de fournisseurs de services pour des raisons liées à des contraintes d'espace, de sécurité ou de protection de l'environnement. Dans ce cas, la procédure de sélection doit être transparente et publique. L'organe chargé de donner les autorisations doit être impartial : lorsque l'autorité portuaire souhaite fournir elle-même un service entrant dans le champ d'application de la directive, l'autorisation doit être délivrée par un organisme indépendant.
Les autorisations sont octroyées pour une période limitée :
- pour huit années dans le cas où la fourniture de services n'implique pas d'investissement « substantiel »,
- pour douze années, lorsque ces investissements substantiels sont de caractère mobilier,
- pour trente ans lorsqu'il s'agit d'actifs immobiliers ou d'actifs mobiliers comparables (ports, portiques de transbordement...).
Pour le pilotage, les règles d'octroi des autorisations sont différentes. En effet, ce service est le seul qui est considéré en France comme un service public depuis un arrêt du Conseil d'État de 1972 : il ne peut s'apprécier selon les seules lois du marché. C'est pourquoi la Commission propose de soumettre l'autorisation qui doit être accordée pour effectuer le pilotage à des critères plus stricts que ceux déjà mentionnés, afin de garantir la sécurité maritime et le respect des obligations de service public.
• Le projet de la Commission autorise « l'auto-assistance » pour les opérations liées aux marchandises et aux passagers, c'est-à-dire la possibilité pour un usager de se fournir à lui-même certains services normalement fournis par un tiers. L'auto-assistance est soumise à l'octroi d'une autorisation préalable. Celle-ci doit être accordée, de manière efficace et rapide, sur des critères similaires à ceux définis pour les autres services.
Lorsqu'il s'agit de services offerts dans le cadre de transports à courte distance ou d'autoroutes de la mer, l'auto-assistance peut être effectuée par le personnel à terre de la compagnie, mais aussi par le personnel navigant. Dans les autres cas, seul le personnel à terre de la compagnie peut accomplir ces services.
La Commission doit élaborer, au plus tard un an après l'entrée en vigueur de la directive, des lignes directrices communes sur le financement public des ports par les États membres.
III. - QUE PENSER DE CETTE PROPOSITION ?
Il ne s'agit pas d'entrer dans les débats techniques qui pourraient porter sur les services à inclure dans le champ de la directive, sur la durée des autorisations ou sur les modalités de l'auto-assistance. Ce sont surtout des problèmes de principes qui se posent ici et qui concernent la procédure suivie par la Commission et l'absence de politique portuaire communautaire.
1. Un problème de méthode
Tout d'abord, on peut s'interroger sur la méthode suivie par la Commission.
Quelques semaines avant son départ, Loyola de Palacio a fait avaliser par le collège des commissaires ce texte, dont l'initiative aurait plutôt dû revenir à la nouvelle Commission et donc à Jacques Barrot.
Cette proposition relève de la même philosophie générale que celle qui a été repoussée, même si certains éléments ont été modifiés. Contrairement à ses pratiques habituelles, la Commission l'a préparée sans concertation préalable, ni évaluation des dispositions qu'elle envisageait de proposer.
La plupart des acteurs concernés ont été surpris par la rapidité avec laquelle elle a été présentée et ont manifesté leur déception face à l'absence de prise en compte du vote du Parlement européen. L'acharnement de la Commission à proposer un texte similaire apparaît en effet comme un déni de démocratie.
Lorsque les discussions ont commencé il y a quelques semaines au Conseil, de nombreux États membres, dont la France, ont demandé à la Commission de mener une étude d'impact. Celle-ci s'est engagée à la conduire, mais les résultats ne devraient pas être disponibles avant plusieurs mois. Elle a de plus refusé l'aide des États membres pour l'élaboration du contenu de cette étude.
L'attitude de la Commission sur ce dossier paraît inacceptable. Son objectif est de libéraliser les services portuaires à tout prix. Des fonctionnaires de la Commission européenne expliquent sans fard : « si cette directive sectorielle est rejetée, on vous appliquera la directive Bolkestein » .
Sur un sujet aussi sensible - on se rappelle que la discussion de la précédente directive avait provoqué des grèves qui avaient paralysé plusieurs grands ports européens - la Commission aurait dû commencer par procéder à une large concertation des acteurs concernés et demander l'étude d'impact avant d'élaborer ses propositions. La Commission disposait du temps nécessaire pour procéder à ces discussions préalables car elle n'apporte pas d'arguments montrant l'urgence de libéraliser les services portuaires.
2. Un champ d'application trop limité
Ensuite, sur le fond du texte, la proposition de directive ne paraît pas acceptable en l'état au moins pour trois raisons :
en premier lieu, elle ne prend pas réellement en compte la dimension sociale. La Commission avance que l'ouverture à la concurrence créera des emplois en renforçant l'attractivité des ports. Elle n'apporte pas d'éléments précis. À l'inverse, il paraît que ce texte peut au contraire provoquer un dumping social qui nuirait à l'emploi des travailleurs communautaires. En effet, le développement de l'auto-assistance par le personnel navigant comme par le personnel à terre nécessite de clarifier les dispositions sur la législation sociale applicable à ces travailleurs. On s'attendait donc à ce que la Commission ait des propositions sur le sujet. Or, il n'en est rien. Elle se contente de préciser que le texte prévoit que l'un des critères pour l'octroi des autorisations est « la conformité aux règles relatives à l'emploi et aux conditions sociales, notamment celles prévues par des accords collectifs, à condition qu'elles soient compatibles avec le droit communautaire »
Cette disposition est particulièrement floue. Nul ne sait ce qu'elle signifie vraiment. Lors des discussions, les États membres ont d'ailleurs demandé à la Commission de lui donner des cas concrets d'application de cette disposition. Ils attendent encore la réponse. En tout état de cause, les États membres auront-ils réellement les moyens de contrôler les personnels assurant les services ?
En deuxième lieu, la proposition de directive ne traite pas de la concurrence interportuaire. Or, il semble que la concurrence interportuaire, c'est-à-dire la question des aides publiques versées aux ports, est un élément important du débat. Presque tous les ports communautaires reçoivent des fonds publics, mais le niveau et les conditions de ce financement sont très hétérogènes. La Commission s'était penchée sur le sujet en 1998-1999, mais n'avait pu élaborer un document précis.
Dans le texte qui est soumis au Sénat, elle s'engage à élaborer des lignes directrices au plus tard un an après l'adoption de la directive. Les deux volets devraient être liés. La libéralisation ne doit pas être un objectif en soi. Elle suppose un cadre clair, assurant la loyauté de la concurrence et la garantie des droits sociaux.
Plus généralement, la directive a un champ trop limité pour les problèmes qu'elle est censée régler. Dans son exposé des motifs, la Commission soulève l'intérêt que représente cette directive pour un bon fonctionnement du marché communautaire des transports. Elle avance que les projections en matière de transport confirment son avis « selon lequel la manière la plus efficace de faire face aux besoins toujours croissants dans ce domaine est de transférer une part plus importante du trafic marchandises et du trafic passagers vers le transport maritime. Cela permettra de réduire la congestion du réseau routier et d'accroître la cohésion avec les régions périphériques ».
Des objectifs aussi ambitieux mériteraient un débat d'une autre ampleur que celui dans lequel nous engage cette directive qui ne traite que de la question du coût du passage portuaire. Les véritables problèmes tiennent, de l'avis des professionnels, plutôt à la nécessité de densifier le fret, à la question du nombre de grands ports européens et, partant, à la répartition entre le Nord et le Sud, et à la liaison des ports avec les liaisons fluviales et les couloirs ferroviaires.
Il faut souligner que cette proposition de directive ne paraît pas répondre de façon satisfaisante à l'objectif d'une politique portuaire qui permettrait d'améliorer l'efficacité de nos ports.
Pour ces raisons, la délégation a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui suit :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de directive sur l'accès au marché des services portuaires (texte E 2744),
1. S'étonne que, après un vote négatif du Parlement européen sur la première proposition, la Commission européenne ait déposé, à quelques semaines de la fin de son mandat, une nouvelle proposition visant aux mêmes fins ;
2. Souhaite que la nouvelle Commission européenne réexamine ce texte après avoir pris connaissance des résultats de l'étude d'impact qu'elle a entreprise et après concertation avec l'ensemble des partenaires économiques concernés ;
3. Considère qu'une proposition ponctuelle ne peut, par elle-même, résoudre les problèmes de la filière portuaire européenne dont le développement appelle une politique d'ensemble fondée sur la mise en place de réseaux transeuropéens de transports ;
4. Estime, en tout état de cause, qu'il ne doit pas être porté atteinte aux missions de service public, aux préoccupations de sécurité et à la protection sociale des travailleurs et que l'on doit éviter tout dumping social ;
5. Invite, en conséquence, le Gouvernement à se prononcer en ce sens au sein du Conseil.