Proposition de résolution sur la communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen, relative à l'approche de l'Union européenne en vue du cycle du millénaire de l'Organisation mondiale du commerce
N° 275
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003
Annexe au procès-verbal de la séance du 30 avril 2003
PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
présentée en application de l'article 73 bis du Règlement, sur la communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen relative à l'approche de l' Union européenne en vue du cycle du millénaire de l' Organisation mondiale du commerce (E.1285) ,
Par M.
Claude SAUNIER, Mmes Maryse BERGÉ-LAVIGNE, Danielle BIDARD-REYDET,
Marie-Christine BLANDIN,
MM. Gérard DELFAU et Paul LORIDANT,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Affaires
économiques et du Plan, sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions
prévues par le Règlement)
Union européenne.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Dans le cadre des négociations au sein de l'OMC visant à
libéraliser le commerce des services, le Parlement français ne
dispose toujours pas de la liste des services dont certains services publics
que la France souhaite soumettre au marché.
Ces négociations menées depuis le 1
er
janvier 2000
visent expressément à libéraliser « tous les
secteurs à l'exception des services fournis dans l'exercice du pouvoir
gouvernemental ». L'accord général sur le commerce des
services (AGCS), en phase d'accélération depuis la
conférence de Doha, a donc pour objet de réduire l'intervention
de l'État à ses seules prérogatives régaliennes.
De plus, les services exclus de la libéralisation ne sont pas
définis par leur substance mais par les conditions économiques
dans lesquelles ils sont rendus. Pour ne pas être inclus dans l'accord de
libéralisation AGCS, un service ne doit être fourni « ni
sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs
de service ».
Tous les services publics ont, d'après ce traité international,
vocation à être soumis au marché. Selon cette
définition très extensive de la notion de service soumis à
l'AGCS, aucun service public en France n'échapperait à
l'application de ce traité. Seules la défense, la justice et,
dans une moindre mesure, la police répondent au double critère de
base non commerciale et situation non concurrentielle.
Une fois abandonné au marché, le service ou secteur
économique libéralisé ne pourra plus faire l'objet d'une
réglementation nationale autonome. Les seules normes applicables seront
alors celles édictées par l'OMC et ses organes de
règlement des différends. Les collectivités publiques
seront de fait et
de jure
dessaisies de leurs prérogatives
réglementaires au profit des instances de l'OMC.
Pour autant, la France et la Commission européenne, qui négocient
pour l'ensemble des États de l'Union européenne,
accepteront-elles (par la procédure des engagements spécifiques)
de faire figurer l'ensemble des services publics dans la liste des services
ouverts à la concurrence ? La Commission européenne n'a, à
ce jour, pas « offert » de libéraliser les secteurs
de la santé et de l'éducation. Mais nous n'avons en revanche
aucune garantie sérieuse sur les transports, la culture, les assurances
(dont la sécurité sociale et les mutuelles), la poste,
l'énergie, la recherche et bien d'autres encore.
La garantie procédurale de listes positives est largement insuffisante
face aux très fortes pressions qui s'exercent sur les membres de l'OMC
pour qu'ils élargissent à un maximum de services (publics ou non)
le processus de libéralisation. Par ailleurs, l'absence de
reconnaissance de la notion de service public et de ses critères
distinctifs par l'OMC est particulièrement préoccupante et peut
remettre en cause le modèle de développement social,
économique, territorial et environnemental français.
La France doit donc poursuivre ses efforts pour imposer à l'OMC la
reconnaissance de la spécificité des services publics tels que
nous les avons déjà définis lors de l'adoption le 6
décembre 2001 d'une résolution qui dispose :
« Tout service assuré, sous le contrôle d'une personne
publique, par une personne publique, par une personne morale de droit public ou
privé, dans le respect des principes d'égalité, de
continuité et de mutabilité, afin d'assurer à tous les
citoyens la jouissance des droits sociaux et économiques fondamentaux,
tout en contribuant au renforcement de la cohésion sociale et
territoriale de l'Union européenne. »
Malgré l'importance des négociations en cours pour nos services
publics, aucune réelle concertation ni information des citoyens ne fut
engagée. Il est pourtant impératif que les enjeux et les
objectifs d'une telle libéralisation des services soient clairement
définis, compris, mesurés et partagés par tous. Le
Parlement et les citoyens doivent pouvoir se saisir des négociations en
cours et évaluer leur impact sur les services publics avant tout
engagement international de la France. Il ne serait pas acceptable que la vie
des Français soit bouleversée par des engagements pris en
catimini. Comme nous y invitait le commissaire européen Pascal Lamy, les
autorités publiques des Etats ne sauraient se défausser de leurs
responsabilités sur le dos de Bruxelles.
La réduction et le contournement des pouvoirs du Parlement sont
inacceptables en général et
a fortiori
dans les
matières constitutionnelles aussi sensibles que l'avenir des services
publics. Les parlements nationaux doivent rester les lieux où
s'élabore la définition de l'intérêt
général ; cette mission ne saurait être abandonnée
ou pudiquement transférée aux organes de l'OMC sans remettre en
cause les fondements démocratiques et constitutionnels de notre
République.
Quels que soient les choix respectifs de chacun sur la place à accorder
aux services publics dans notre société et sur leur mode de
gestion, il est avant toute chose important de conserver la liberté de
choisir. Mais cette liberté et le débat raisonné supposent
une information complète et précise qui fait encore aujourd'hui
cruellement défaut.
Selon les quelques informations actuellement disponibles, les
négociateurs envisagent d'élaborer un traité global
complétant les accords de Marrakech. La liste des services «
offerts » à la concurrence serait intégrée à
ce nouveau traité de Cancun. Cependant, cette information n'a aucune
valeur juridique contraignante car les accords de Marrakech sont
déjà ratifiés depuis 1994 et l'AGCS fait partie
intégrante du traité instituant l'OMC.
Néanmoins, si une procédure de ratification était
engagée, celle-ci s'avérerait démocratiquement notoirement
insuffisante. En effet, la loi autorisant la ratification n'intervient
qu'à l'issue de la procédure de négociation et de
signature. Les parlements nationaux saisis
a posteriori
ne peuvent alors
qu'accepter ou refuser l'accord sans la moindre latitude sur son contenu et sa
portée.
Considérant l'importance des secteurs affectés par la
négociation et l'urgence imposée par un calendrier serré,
l'Union européenne doit imposer un moratoire sur les tractations visant
à libéraliser le commerce des services.
Les parlements nationaux et le Parlement européen pourront ainsi,
préalablement à tout engagement, s'assurer qu'aucun service
public ne sera remis en cause.
Enfin, le temps du moratoire pourra être mis à profit pour initier
une procédure de révision de l'AGCS excluant explicitement les
services publics du champ de compétence de l'OMC. Mais il convient,
avant tout engagement international qui nous obligerait, de savoir ce que
l'Europe et la France négocient, proposent et décident en notre
nom.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
Le
Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la communication de la Commission européenne au Conseil et au
Parlement européen du 8 juillet 1999 relative à l'approche de
l'Union européenne en vue du cycle du millénaire de
l'Organisation mondiale du commerce (COM [1999] 331
final/n° E 1285),
Vu l'accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce (OMC),
auquel sont annexés les différents accords concluant les
négociations commerciales du cycle d'Uruguay, notamment l'accord
général sur le commerce de services (AGCS), signé le 15
avril 1994, dont la ratification a été autorisée par la
loi n° 94-1137 du 27 décembre 1994 et entré en vigueur
le 1
er
janvier 1995,
Vu la déclaration ministérielle de l'OMC adoptée par la
conférence ministérielle de Doha le 14 novembre 2001,
Considérant que le cadre actuel des négociations
multilatérales visant à libéraliser le commerce des
services ignore la notion de service public alors même que ceux-ci jouent
un rôle essentiel dans la satisfaction des droits sociaux et
économiques fondamentaux des citoyens des pays développés
et en développement ;
Considérant qu'il est impératif que les citoyens et parlements
nationaux soient complètement informés et consultés avant
tout engagement ;
Considérant qu'il est nécessaire d'examiner l'impact de cet
accord sur les services publics et de permettre ainsi aux citoyens d'imposer
éventuellement une révision des engagements au sein de l'OMC ;
1. Demande à l'Union européenne d'exiger un moratoire sur le
déroulement des négociations de l'OMC visant à
libéraliser le commerce des services, afin de s'assurer qu'aucune offre
n'est susceptible de remettre en cause de façon directe ou indirecte
l'existence de ces services publics ;
2. Demande à l'Union européenne de publier un rapport
évaluant l'impact social et environnemental des mesures mises en oeuvre
par le biais de l'OMC depuis 1995 et de celles envisagées dans le cadre
des accords de Doha et de Cancun ;
3. Demande à l'Union européenne d'exiger une révision de
l'AGCS visant à exclure de son champ d'application les services publics
tels que définis par chacun des États ;
4. Exige que, dans ce but, le Conseil des ministres de l'Union
européenne donne à la Commission européenne un mandat,
discuté par les parlements nationaux, sur les négociations visant
à libéraliser le commerce des services à l'OMC axé
sur la défense des services publics, et lui prescrivant de rendre compte
de l'évolution de ces négociations devant le Parlement
européen et le Conseil, à charge pour le Gouvernement d'en
informer le Sénat.