Instauration d'un moratoire universel sur les exécutions capitales en vue de leur abolition totale dans le monde
N°
338
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 16 mai 2000
PROPOSITION DE LOI
tendant à créer une
journée nationale
pour l'instauration d'un
moratoire universel sur les exécutions
capitales
en vue de leur abolition totale dans le monde,
PRÉSENTÉE
par Mmes Nicole BORVO, Hélène LUC, MM. Robert BRET, Jean-Yves AUTEXIER, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mme Danielle BIDARD-REYDET, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Gérard LE CAM, Pierre LEFEBVRE, Paul LORIDANT, Roland MUZEAU, Jack RALITE, Ivan RENAR, Mme Odette TERRADE,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Droits de l'Homme et libertés publiques.
EXPOSÉ DES MOTIFS
En 1999,
la peine de mort a été appliquée au nom de la justice dans
37 pays et territoires.
Il est inadmissible, en ce début de millénaire, que la justice
ait encore dans certains pays, le droit de tuer et de porter atteinte à
l'intégrité physique et morale de l'individu jusqu'à lui
supprimer la vie même. Peut-on parler de justice alors que la peine de
mort s'apparente, en fait, à un crime d'Etat qui traumatise la
conscience humaine, comme le déclarait déjà en son temps
Victor Hugo ? Le fait qu'elle s'inscrive dans le cadre d'une
procédure légale rend au contraire, plus intolérable
encore, le caractère profondément inhumain de cette peine.
La peine de mort a été et reste aujourd'hui, quel que soit le
contexte, un châtiment cruel et injuste qui porte atteinte de
façon inacceptable aux droits fondamentaux et à la dignité
humaine. Les arguments justifiant cette peine ne s'avèrent pas
convaincants. Son caractère irréversible entraîne
inévitablement l'exécution d'innocents, et rend impossible au
système judiciaire et pénal de corriger ses erreurs. Or, tout
système, quel que soit le pays concerné, est faillible.
Considérée comme « seule réponse valable à des
taux de criminalité élevés » par ses
défenseurs, l'application de la peine de mort n'entraîne aucune
baisse de criminalité car il est prouvé qu'elle n'a aucun effet
dissuasif. Elle ne protège pas la société. Au contraire,
en tant que solution expéditive, elle entretient le climat de violence,
de vengeance et de brutalité. Et elle détourne des questions de
fond qui devraient être posées sur l'augmentation de la
criminalité et de la violence dans les sociétés.
A son caractère profondément inhumain et à son
inefficacité, s'ajoute une application où la
ségrégation et l'inégalité devant la loi sont
reconnues. De très nombreux détenus qui ont été
condamnés à mort n'ont pas bénéficié de
procès véritablement équitables. Aux Etats-Unis, la grande
majorité des condamnés sont des noirs et, comme le dit
lui-même un élu républicain du New Hampshire qui vient de
voter l'abolition de la peine de mort : « il n'y a jamais eu
aucun milliardaire dans les couloirs de la mort ! »
Le cas de Mumia Abu Jamal, journaliste noir américain militant pour la
cause de la minorité noire, est révélateur à ce
sujet. La mobilisation internationale pour que son procès -
inéquitable selon toute vraisemblance - soit réouvert, ne cesse
de s'amplifier. Dans un pays - les Etats Unis - qui se proclame chantre des
droits de l'Homme dans le monde, il serait inadmissible que Mumia Abu Jamal
subisse le même sort qu'Odell Barnes dont « l'assassinat
légal » a bien eu lieu malgré une enquête
contradictoire apportant des éléments tangibles d'erreurs
judiciaires.
Le caractère discriminatoire et les inégalités dans son
prononcé en fonction de l'origine ethnique, de la pauvreté ou des
opinions politiques, renforcent encore l'urgence de remettre en cause, dans le
monde entier, la légitimité de la peine de mort et d'instaurer de
façon urgente un moratoire sur les exécutions capitales. Doit-on
tolérer, en ce début de 21ème siècle, que justice
soit encore rendue de telle façon dans certains pays ? De nombreux
textes internationaux affirment le contraire. La Déclaration Universelle
des Droits de l'Homme de 1948 reconnaît le droit de chaque individu
à la vie et stipule que « nul ne sera soumis à la
torture, ni à des peines ou à des traitements cruels, inhumains
ou dégradants ». Or, la peine de mort viole ces droits.
Elle doit être abolie. C'est une question de principe, incontournable
à l'heure où la volonté de construire un droit et une
justice internationaux s'affirme. Trop de pays, comme les Etats-Unis nous
l'avons dit, mais aussi la Chine, l'Iran, l'Arabie Saoudite...persistent
à les appliquer au mépris des droits humains fondamentaux.
Parvenir à l'abolition de la peine de mort partout dans le monde est un
objectif ambitieux. Elle doit néanmoins constituer une priorité
pour tous les défenseurs des droits de l'Homme, pour tous ceux qui
veulent construire un monde qui privilégie l'être humain et son
épanouissement.
Des signes encourageants témoignent d'une prise de conscience et de la
montée de la tendance abolitionniste au niveau mondial. La Commission
des droits de l'Homme des Nations Unies a voté une résolution en
1997 qui considère que « l'abolition de la peine de mort
contribue au renforcement de la dignité humaine et à
l'élargissement des droits fondamentaux ». Elle a, depuis,
adopté des résolutions successives prônant l'abolition de
la peine de mort et qui ont été parrainées par un nombre
croissant d'Etats. Cette tendance est sensible aussi au niveau européen
avec les nombreuses résolutions du Parlement Européen pour
l'établissement d'un moratoire universel des exécutions capitales.
Parallèlement, la société civile internationale se
mobilise de plus en plus fortement au travers des ONG, des associations. Ce
mouvement qui s'étend aujourd'hui provient de pays et de cultures
très divers. Même dans des pays comme les Etats-Unis où
l'opinion publique est traditionnellement favorable à ce
châtiment, les mentalités évoluent. La publication de
chiffres témoignant du nombre de condamnés à mort
innocents qui ont été exécutés a
ébranlé une partie de la société américaine.
La France, en tant que berceau des droits de l'Homme, s'honorerait d'appuyer et
de contribuer fortement à renforcer le mouvement qui se développe
pour un moratoire universel sur les exécutions capitales tendant
à leur abolition totale. Cet engagement pourrait s'affirmer notamment
dans le cadre des relations de notre pays avec les pays tiers, ainsi qu'au sein
des organes des Nations Unies, dans le souci du respect du caractère
universel et indissociable des droits humains.
Les auteurs proposent l'instauration d'une journée nationale, en France,
pour permettre la mobilisation de toutes les énergies en faveur de ce
moratoire universel sur les exécutions capitales.
Dix-neuf ans après l'abolition de la peine de mort dans notre pays,
cette journée nationale sera un outil pour permettre, au-delà de
nos propres frontières, l'affirmation de cet acte démocratique
fondateur qu'est l'abolition.
Le Parlement, le Sénat en particulier, peut contribuer efficacement
à la prise de conscience internationale contre la peine de mort en
instaurant cette journée nationale et c'est dans cet esprit qu'il vous
est demandé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de loi
suivante.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
« Une journée nationale pour l'instauration d'un moratoire universel sur les exécutions capitales en vue de leur abolition totale est créée».