Création d'une Agence nationale de l'eau
N° 83
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 18 novembre 1999
PROPOSITION DE LOI
relative à la création d'une
Agence nationale de
l'eau
,
PRÉSENTÉE
Par MM. Robert BRET, Gérard LE CAM, Pierre LEFEBVRE, Mmes Odette TERRADE, Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Michel DUFFOUR, Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Jack RALITE et Ivan RENAR,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Eau . |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'eau est une ressource essentielle à la vie et au développement
de l'ensemble de nos sociétés. Et notre pays dispose de
réserves naturelles importantes.
Pourtant, l'eau est, depuis de nombreuses années, source de graves
problèmes pour nos concitoyens. Ils concernent trois domaines en
particulier : la santé, le cadre de vie et l'environnement, les
financements. Ces problèmes résultent notamment de la pollution
de l'eau, de son manque comme de ses excès
(sécheresse/inondation), d'une utilisation beaucoup plus importante
qu'auparavant.
Les pouvoirs publics se sont attachés depuis longtemps à
résoudre ces problèmes. Ils l'ont fait notamment au travers de
deux lois sur l'eau : la loi du 16 décembre 1964 portant création
de six Comités de bassin (représentant les grands bassins
hydrographiques français métropolitains) et des six Agences
financières de bassin correspondantes, pouvant percevoir des redevances
pour les travaux à réaliser ; la loi du 3 janvier 1992
créant les SDAGE (Schémas directeurs d'aménagement et de
gestion des eaux) et renforçant les dispositions relatives aux devoirs
des concessionnaires et à l'information des usagers. On peut y ajouter
la loi du 2 février 1995, « relative au renforcement de la
protection de l'environnement » qui créé une Commission
nationale du débat public, des Conseils départementaux de
l'environnement et des Comités régionaux de l'environnement,
institue un Fonds de prévention des risques naturels majeurs et des
Plans de prévention des risques naturels prévisibles.
Ces deux lois sur l'eau ont permis des avancées concrètes et
significatives dans le domaine de la gestion de l'eau et de la protection du
milieu. Elles ont mis en place des structures originales ayant fait preuve
d'efficacité, à tel point qu'une récente directive
européenne sur l'eau demande aux autres pays de l'Union
européenne de les prendre pour modèle.
Cependant, en dépit de l'actuel appareil législatif, les
réponses apportées en matière de politique de l'eau sont
loin d'être satisfaisantes. Les raisons de cette situation sont à
chercher dans deux sortes de limites : les limites inhérentes à
ces lois, les structures créées ayant des domaines de
compétence et d'intervention limités, et les limites
extérieures à ces lois. La politique générale de
l'Etat a en effet souvent aggravé la situation. L'Etat, par exemple, n'a
que rarement mis l'accent sur une politique de prévention des
pollutions, d'information et de formation. Dans ce contexte, de nombreuses
collectivités se sont tournées vers le privé. Il a
obligé les communes à mettre en place une comptabilité
séparée entre le budget eau et le budget général.
Il a fragilisé les secteurs et services publics, pourtant aptes à
améliorer la connaissance du milieu, à jouer leur rôle de
conseil auprès des communes sans but commercial, à aider les
différents intervenants, à contrôler et punir les
contrevenants. Relayant la Politique agricole commune de l'Union
européenne, il a soutenu une politique productiviste dans le domaine
agricole. Enfin, malgré les progrès réalisés,
l'industrie reste encore responsable de pollutions importantes.
Les résultats de cette politique sont connus. Les pollutions se sont
aggravées et diversifiées. Les collectivités ont
été obligées de se lancer dans des investissements
coûteux sans aide technique et financière à la hauteur des
besoins, des investissements évalués à plus de 125
milliards de francs dans les prochaines années. La distribution de l'eau
et, plus encore, l'assainissement, se sont retrouvées confisquées
par une industrie de la dépollution, laissée au secteur
privé. Cette industrie est aujourd'hui aux mains de trois groupes (CGE,
Lyonnaise des eaux, Bouygues). Ce monopole de fait leur permet de piloter la
politique de l'eau par l'amont (élaboration et
sévérité des normes, par exemple) et par l'aval
(exclusivité des techniques disponibles, par exemple).
Leur exigence de rentabilité, accompagnée du désengagement
de l'Etat, ont ainsi conduit à une pression tarifaire sur les usagers
domestiques et sur les collectivités locales ayant seules en charge le
service public. Cette pression ne s'est pas accompagnée d'une
amélioration notable de la qualité de l'eau distribuée.
Plusieurs scandales financiers concernant la tarification de l'eau sont
d'ailleurs venus nous rappeler les graves inégalités existantes
dans l'accès à l'eau et dans les tarifs d'une
agglomération à l'autre.
Face à la puissance de ces groupes, il apparaît de plus en plus
que les élus des collectivités sont démunis des
instruments de décision, voire de la mise en oeuvre d'une politique de
l'eau au juste coût et au mieux des intérêts de leurs
administrés.
Dès lors, cette situation appelle des propositions et des solutions
neuves élaborées par l'ensemble des intervenants (usagers,
élus, acteurs de terrain, industriels, agriculteurs, associations...).
Des réformes récentes ont été entreprises pour
améliorer cette gestion de l'eau. Certaines mesures vont dans le bon
sens. Mais elles restent « mineures » car elles ne
s'attaquent pas à l'origine des dysfonctionnements actuels. Tel est, par
exemple, le cas du renforcement du contrôle du Parlement sur les Agences
de l'eau, de la création d'un Haut conseil du service public de l'eau et
de l'assainissement (en lieu et place de l'Observatoire de l'eau) ou de
l'amélioration de la participation des associations de consommateurs et
de protection de la nature au sein des instances de bassin. D'autres mesures
bouleversent le système actuel et peuvent donc être
qualifiées de « majeures ». Elles remettent en cause
le fonctionnement d'outils qui ont fait la preuve de leur efficacité.
Tel est, par exemple, le cas avec l'instauration de la TGAP (Taxe
générale sur les activités polluantes).
Il apparaît donc aujourd'hui nécessaire et urgent de se doter
d'une politique de reconquête de la maîtrise publique de l'eau, de
s'assurer que l'eau soit considérée avant tout comme une
ressource et un bien public nécessaire à la santé et non
une marchandise, soumise aux lois du marché capitaliste.
Cette politique devrait donner leur pleine mesure aux principes
énoncés dans les lois existantes. Elle s'appuierait sur les
outils actuels, ayant fait preuve de leur efficacité. Elle
définirait de nouveaux outils aptes à compléter et
prolonger le dispositif actuel.
Nationaliser in abrupto les sociétés privées ayant en
charge le secteur de l'eau reviendrait de fait à faire payer doublement
aux contribuables les retards pris en matière d'investissements
privés et publics dans ce secteur du fait même du coût de
cette nationalisation.
La présente proposition de loi vise à instaurer un double
mécanisme à travers, d'une part, la création d'une Agence
nationale de l'eau, pierre angulaire d'un service public national de l'eau et
de l'environnement à créer, et, d'autre part, un contrôle
et une taxation effective des bénéfices réalisés
par les groupes privés dans le secteur de l'eau.
L'existence conjointe de ces deux dispositifs devrait permettre à moyen
terme à l'ensemble des collectivités locales de pouvoir
reconquérir la maîtrise publique de l'eau.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous demande, mes Chers
collègues, de bien vouloir adopter cette proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
Article 1
er
Il est
crée un établissement public administratif dénommé
Agence nationale de l'eau ayant en charge l'élaboration et la mise en
oeuvre de la politique nationale l'eau, en coordination avec l'ensemble des
acteurs de la politique de l'eau.
Cette Agence nationale met en oeuvre la politique nationale de l'eau,
conformément à la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau.
Article 2
L'Agence
nationale est administrée par un conseil d'administration composé
:
1°- d'un président nommé par décret,
2°- de représentants de l'Etat, de représentants du Conseil
économique et social, des directeurs des six Agences de l'eau, de
personnalités qualifiées,
3°- de parlementaires, de représentants des collectivités
territoriales des six bassins,
4°- de représentants des différentes catégories
d'usagers, de représentants d'associations concernés par la
gestion de l'eau (usagers, consommateurs, environnement, développement,
etc.),
5°- de représentants du personnel de l'Agence nationale, de
représentants du personnel des six Agences de l'eau, de
représentants du personnel des régies municipales et
intercommunales, de représentants du personnel des entreprises de droit
privé en charge de la gestion de l'eau et de l'assainissement.
Les catégories visées au 2°, 3°, 4° et 5°
disposent d'un nombre égal de sièges.
Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités
d'application de cet article.
Article 3
L'Agence
nationale de l'eau, en collaboration avec les Agences de l'eau, est
chargée :
- du renforcement de la cohérence de la politique de l'eau au niveau
national et de la coopération entre les bassins,
- de la coordination des activités de recherche et de
développement technologique pour la connaissance, de la ressource en
eau, la prévention et le traitement des pollutions des eaux
superficielles et souterraines,
- de la création et du fonctionnement d'un réseau des mesures,
des contrôles de qualités et de l'évaluation des
résultats,
- de la création et du fonctionnement d'une banque de données
mettant à la disposition de tous les acteurs de l'eau les informations
scientifiques, techniques, écologiques, économiques,
administratives, juridiques, fiscales, comptables nécessaires à
la gestion de l'eau,
- de la formation de tous les acteurs de l'eau dans les domaines cités
au paragraphe précédent, directement ou par
l'intermédiaire d'instituts publics de formations
spécialisés, en collaboration avec les ministères
concernés et notamment celui de l'Education nationale,
- de réaliser des expertises et audits, d'apporter conseil et aide
logistique à tous les acteurs de l'eau, à leur demande, dans les
domaines cités précédemment. Cette assistance s'adresse
notamment aux élus et aux collectivités locales ou à leurs
groupements chargés de production de l'eau, de la distribution et de
l'assainissement, aux usagers et aux associations, afin de garantir leurs
intérêts financiers, les intérêts des usages de l'eau
et l'égal accès à une ressource de qualité
,
- de renforcer les moyens d'une véritable police de l'eau visant
principalement la prévention des pollutions,
- de mettre en place une solidarité tendant à permettre à
tous d'accéder à une eau de qualité au meilleur coût,
- d'élaborer une réglementation nationale sur la distribution de
l'eau et l'assainissement. Cette mesure concerne, en premier lieu, la
réalisation de contrats-type entre les collectivités locales
concédantes et les entreprises de droit privé du secteur de l'eau
assurant cette concession, et de facturations-type entre le prestataire de
service et l'abonné, auxquels devront se conformer les différents
types de contrats et de facturations actuelles. Elle concerne également
pour les particuliers l'édification d'une tarification par tranches et
comprenant un forfait gratuit pour une consommation qui aura été
définie préalablement comme vitale,
- de développer la coopération internationale, directement ou en
soutenant les initiatives des acteurs de l'eau.
Le Conseil d'administration de l'Agence nationale :
- propose au Parlement un plan pluriannuel en matière de politique de
l'eau, en collaboration avec les Agences de l'eau, et s'assure ensuite de sa
mise en oeuvre,
- soumet au gouvernement et au Parlement des propositions
d'amélioration législatives dans tout domaine de la gestion de
l'eau,
- attire l'attention du Parlement sur d'éventuels dysfonctionnements
dans la gestion de l'eau, et sollicite de la même manière la Cour
des Comptes,
Un rapport d'activités de l'Agence nationale de l'eau est remis
annuellement au Parlement afin que celui-ci suive l'application du plan
pluri-annuel en cours et puisse préparer le débat parlementaire
d'orientation pluriannuelle sur la politique de l'eau.
L'Agence nationale de l'eau développe toutes les coopérations
nécessaires, notamment avec les Agences de l'eau et les services publics
compétents, afin de réaliser ces objectifs.
Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités
d'application de cet article.
Article 4
L'Agence nationale de l'eau assure ses missions par l'intermédiaire de structures décentralisées, notamment en coopération avec les Agences de l'eau, jusqu'au niveau départemental si nécessaire.
Article 5
Il est
fait obligation aux entreprises de droit privé du secteur de l'eau
intervenant sur les marchés publics des collectivités locales de
réinvestir l'argent tiré de leur activité dans ce secteur.
Ces entreprises publient annuellement leurs résultats techniques,
comptables et financiers dans chacun des secteurs d'activité dont elles
ont la charge.
Un décret en Conseil d'Etat fixe annuellement l'effort que devront
consentir les entreprises de droit privé du secteur de l'eau, en
matière de recherches et d'investissements dans le domaine de l'eau et
leur contribution à l'effort de péréquation du prix de
l'eau. Les sommes collectées sont perçues par l'Agence nationale
de l'eau. Les sommes collectées au titre de l'effort de
péréquation du prix de l'eau abondent un Fonds national de
péréquation du prix de l'eau, géré par cette Agence.
Article 6
Les charges pour le budget de l'Etat, générées par le présent texte, sont compensées par une contribution des Agences de l'eau.