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N° 274
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1996 - 1997
Annexe au procès-verbal de la séance du 19 mars 1997.
PROPOSITION DE LOI
relative au contrat d'union sociale,
PRÉSENTÉE
Par MM. Claude ESTIER, Franck SÉRUSCLAT
et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2) ,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale de la République, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
(1) Ce groupe est composé de : MM. Guy Allouche, François Autain, Germain Authié, Robert Badinter, Mmes Monique ben Guiga, Maryse Bergé-Lavigne, MM. Jean Besson, Jacques Bialski, Pierre Biarnès, Marcel Bony, Jean-Louis Carrère, Robert Castaing, Francis Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux, Michel Charasse, Marcel Charmant, Michel Charzat, William Chervy, Raymond Courrière, Roland Courteau, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Gérard Delfau, Jean-Pierre Demerliat, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, M. Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Claude Estier, Léon Fatous, Aubert Garcia, Claude Haut, Roland Huguet, Philippe Labeyrie, Guy Lèguevaques, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, Michel Manet, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Pierre Mauroy, Georges Mazars, Jean-Luc Mélenchon, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Jean-Baptiste Motroni, Jean-Marc Pastor, Guy Penne, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Jean-Claude Peyronnet, Louis Philibert, Bernard Piras, Mme Danièle Pourtaud, M. Claude Pradille, Mme Gisèle Printz, MM. Roger Quilliot, Paul Raoult, René Régnault, Alain Richard, Roger Rinchet, Michel Rocard, Gérard Roujas, René Rouquet, André Rouvière, Claude Saunier, Michel Sergent, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Fernand Tardy, André Vézinhet, Marcel Vidal, Henri Weber.
(2) Apparentés : MM. Rodolphe Désiré, Dominique Larifla, Claude Lise.
Code civil. - Contrat d'union sociale - Code général des impôts - Code de la sécurité sociale -Code du travail.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Depuis une trentaine d'années, certains aspects de la société française ont beaucoup évolué. Les progrès vers une meilleure égalité entre l'homme et la femme dans le mariage, l'instauration de la possibilité du divorce par consentement mutuel, le droit à la contraception et à l'avortement en sont quelques exemples. En général, ces mutations importantes ont été prises en compte par la loi. Tel n'a pas été le cas de l'union hors mariage, qui, jusqu'à présent, n'a pas retenu ou presque l'attention du législateur.
Pourtant, si la famille reste la cellule de base de la société, ses contours ont évolué et ne correspondent plus uniquement à la notion traditionnelle que pouvait en donner l'union par le mariage. C'est un mouvement important devant lequel l'État, qui ne favorise aucun modèle familial particulier, doit rester neutre.
De fait, l'union libre est un mode de vie qui concerne désormais un nombre de plus en plus élevé de personnes.
En 1968, les couples non mariés représentaient seulement 3 % de l'ensemble des couples. En 1990, de 13 % à 20 % suivant les catégories sociales. Aujourd'hui, plus d'un couple sur six est concerné.
L'union libre a longtemps été perçue comme marginale. Dans les années soixante-dix, elle était le choix de couples généralement très jeunes ; actuellement, elle concerne aussi des hommes et des femmes plus âgés.
Ainsi constate-t-on qu'aujourd'hui de nombreux couples vivent durablement une union de fait. Certains y trouvent une solution transitoire qui débouche le plus souvent sur le mariage, d'autres au sortir d'un divorce ou d'un deuil y voient une nouvelle forme d'union possible. Pour la majorité des couples, cela peut constituer en soi un choix de vie ; pour les autres, c'est le seul choix.
Parallèlement, le chômage et la précarité qui en découle, mais aussi - sur un autre plan - l'apparition ou l'expansion de maladies sexuellement transmissibles, ont développé une recherche de stabilité dans la vie à deux qui n'a fait qu'amplifier une évolution déjà perceptible.
On note également l'émergence de nouvelles formes de solidarité et d'entraide entre les individus, notamment chez les personnes âgées, qui tentent ainsi de remédier à leurs difficultés économiques et sociales, et de lutter contre l'isolement. Ces nouvelles formes de solidarité, lorsqu'elles sont très proches d'une vie familiale, doivent être prises en considération par la loi afin de consolider des engagements qui sont apparus au gré des nécessités mais dont la portée reste juridiquement limitée.
Pourtant, tout se passe comme si le législateur avait fait sienne la formule de Napoléon selon laquelle « les concubins ignorent la loi ; la loi les ignore ». Les droits ouverts par la loi aux concubins sont rares et insuffisants, les adaptations jurisprudentielles limitées et fragiles. Quelle que soit l'origine de cette différence, ces droits ne sont pas reconnus à tous de la même façon. Le système en place ne permet pas ainsi de régler de façon équitable ni les situations de crise ni les problèmes quotidiens de ceux qui sont liés par un projet commun de vie. Chaque compagne, chaque compagnon reste juridiquement étranger à l'autre. Les ruptures brutales créent des situations d'inégalités parfois dramatiques. En cas de décès, aucun droit de retraite ni de succession n'est reconnu au survivant, qui, souvent contre la volonté de la personne défunte, perd tout, y compris la possibilité de vivre sous le toit de la personne avec laquelle il partageait sa vie.
La création du contrat d'union sociale a pour objet de combler ces insuffisances et d'offrir de la manière la plus pragmatique possible aux personnes non mariées et liées par un projet de vie commune des droits organisés dans un statut nouveau sans aucune discrimination.
L'objectif est de progresser dans l'égalité conformément aux principes de la République en définissant des formes nouvelles d'organisation de la vie à deux qui assurent un équilibre des droits et des devoirs, dans l'égalité et la solidarité.
Le contrat d'union sociale répond à ces exigences en proposant une forme nouvelle d'union. Il crée un cadre juridique, composé de droits et de devoirs, pour tous ceux qui souhaitent unir leur destin.
L'essence du contrat d'union sociale est la solidarité liant les cocontractants, et le soutien mutuel, matériel et moral auquel ils s'obligent. Sa conséquence est la communauté de vie.
Parce qu'il intéresse l'état des personnes, le contrat d'union sociale est inscrit en marge du registre de l'état civil ; s'il est rompu, mention en est faite dans les mêmes formes.
Il est ouvert à tous, quel que soit le sexe des contractants. Les règles du code civil lui sont applicables : pour sa formation, le consentement doit exister, être libre, non vicié.
La rupture du contrat d'union sociale suppose, elle aussi, un accord des deux intéressés. À défaut, parce que le contrat d'union sociale n'est pas un contrat ordinaire, le juge intervient pour prononcer notamment les mesures équitables qu'il jugera utiles.
Le contrat d'union sociale voulu par les parties leur ouvre certains droits en matière sociale, civile et fiscale. Il devra notamment prévoir les conditions dans lesquelles le bénéfice de l'assurance maladie et de la réversion des pensions peut être ouvert.
Il envisagera l'ouverture de droits à la succession sous certaines conditions. Il pourra se traduire en termes fiscaux par une déclaration et une imposition communes.
Le contrat d'union sociale crée ainsi un véritable statut spécifique pour les personnes liées par un projet de vie commune. Il constitue un cadre juridique nouveau qui n'empiète évidemment en rien sur l'institution du mariage. Il n'empêche pas la pratique du concubinage.
Il ne modifie pas les règles relatives au statut des enfants, à l'adoption et à l'exercice de l'autorité parentale.
En définitive, le contrat d'union sociale accompagne l'évolution de la société. Il ne retire aucun droit à quiconque mais ouvre aux citoyens qui le souhaitent, dans le respect des principes de la République, un espace nouveau de liberté.
PROPOSITION DE LOI
Article premier.
Il est créé un contrat d'union sociale.
Le contrat d'union sociale constate le lien unissant deux personnes physiques juridiquement capables qui désirent établir entre elles un projet commun de vie.
Il n'y a pas de contrat d'union sociale s'il n'y a pas de consentement.
Art. 2.
Les contractants de l'union sociale s'engagent à s'apporter mutuellement un soutien matériel et moral.
Ils sont tenus solidairement à l'égard des tiers des dettes contractées par l'un d'entre eux dans le cadre de la vie courante.
Art. 3.
Une convention passée devant notaire organise le régime des biens au sein du contrat d'union sociale.
Art. 4.
Les contractants de l'union sociale bénéficient de tous les droits accordés par des dispositions législatives, réglementaires ou conventionnelles aux concubins ou aux personnes vivant maritalement.
Art. 5.
Il ne peut y avoir de contrat d'union sociale entre ascendant et descendant en ligne directe et entre collatéraux jusqu'au deuxième degré inclus. Le contrat d'union sociale est signé entre deux personnes de sexe opposé ou de même sexe.
Art. 6.
Une même personne ne peut être engagée à la fois dans l'institution du mariage et par un contrat d'union sociale.
Art. 7.
Le contrat d'union sociale fait l'objet d'une déclaration conjointe effectuée devant un officier d'état civil du domicile ou de la résidence de l'un des contractants, ou, à l'étranger, auprès d'un agent diplomatique ou d'un consul de France, qui recueille le consentement des parties et enregistre cette déclaration.
Art. 8.
Le contrat d'union sociale prend fin par la volonté ou avec le décès de l'un des contractants.
Il ne peut être volontairement rompu dans les douze mois qui suivent sa conclusion.
Art. 9.
Il est mis fin au contrat d'union sociale par déclaration conjointe des parties, à la demande de l'une acceptée par l'autre ou à défaut par décision du juge.
L'accord des parties est recueilli par l'officier d'état civil ou le cas échéant un agent diplomatique ou un consul de France qui l'enregistre.
Une convention écrite règle les conséquences de la rupture. À défaut d'accord des deux cocontractants et à la demande de l'une des parties, le juge prononce la rupture du contrat d'union sociale et ordonne les mesures qui l'accompagnent.
Art. 10.
En cas de départ définitif du logement par le locataire qui a conclu un contrat d'union sociale ou de son décès, le contrat de bail d'habitation continue au profit de son cocontractant.
En cas de non-cohabitation, l'accord du bailleur est obligatoire.
Art.11
Les dispositions relatives au conjoint prévues par les articles L. 223-7, alinéa 3, L. 226-1, L. 784-1 du code du travail sont applicables aux contractants de l'union sociale. Pour l'application des articles L. 121-5, alinéa 10, et L. 223-14, alinéa 4, du même code, le contractant de l'union sociale est considéré comme ayant droit.
Art. 12.
I.- L'article L. 313-3 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le contractant de l'union sociale de l'assuré ».
II. - Après l'article L. 353-5 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 356-6 ainsi rédigé :
« Art. L. 353-5. - Le contractant survivant du conjoint d'un contrat d'union sociale est assimilé au conjoint divorcé non remarié pour l'application de l'article 353-3. »
III. - Les dispositions relatives aux différents régimes de l'assurance veuvage et de l'assurance vieillesse ainsi que l'assurance décès prévue aux titres V et VI du livre III du code de la sécurité sociale sont applicables au cocontractant de l'union sociale d'un assuré social.
Art. 13.
Le treizième alinéa de l'article 6 du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les contractants de l'union sociale sont soumis à une déclaration et une imposition communes des revenus perçus par chacun d'eux. »
Art. 14.
Lorsque le défunt ne laisse pas de parenté au degré successible ou s'il ne laisse que des collatéraux autres que des frères ou soeurs ou des descendants de ceux-ci, les biens de la succession appartiennent en pleine propriété au contractant de l'union sociale survivant.
Le contractant de l'union sociale qui ne succède pas à la pleine propriété a sur la succession du prédécédé un droit d'usufruit.
Art. 15.
Les articles 1091 à 1100 du code civil, relatifs aux donations et legs, sont applicables au contrat d'union sociale.
Art. 16.
Les droits prévus aux articles 11, 12, 13, 14 et 15 de la présente loi sont ouverts au terme d'un délai de douze mois à compter de la conclusion du contrat.
Toutefois, à titre transitoire et pendant une période de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, en cas de décès de l'un des contractants de l'union sociale, les droits prévus au premier alinéa sont également ouverts au bénéfice du contractant survivant qui apporte la preuve d'une communauté de vie d'une durée de douze mois avec le contractant décédé.
Art. 17.
Les pertes éventuelles de recettes pour l'État engendrées par les dispositions prévues ci-dessus sont compensées à due concurrence par une majoration des droits prévus aux articles 575 et 575A du code général des impôts.
Les pertes éventuelles de recettes pour la sécurité sociale engendrées par les dispositions prévues ci-dessus sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 885U et 575A du code général des impôts affectée aux organismes de sécurité sociale.