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N° 465
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018
Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 avril 2018 |
PROPOSITION DE LOI
tendant à adapter aux caractéristiques et contraintes particulières de Mayotte les règles d' acquisition de la nationalité française par une personne née en France de parents étrangers ,
PRÉSENTÉE
Par M. Thani MOHAMED SOILIHI,
Sénateur
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La pression migratoire extrême à laquelle est actuellement confrontée l'île de Mayotte place la République devant un défi qu'il est de son devoir de relever.
L'immigration clandestine y a pris une telle ampleur que cette collectivité représente à elle seule la moitié des reconduites à la frontière effectuées sur l'ensemble du territoire national. Selon les chiffres de l'Insee, en 2015, 41 % des adultes présents à Mayotte étaient de nationalité étrangère. Parmi eux, la moitié était des migrants illégaux, venant principalement des Comores.
Au-delà de la brutalité des chiffres, déjà tristement parlants en eux-mêmes, la gravité du constat est accrue par des considérations telles que l'éloignement et l'insularité de la collectivité ainsi que des infrastructures dont l'insuffisance rend particulièrement préoccupante la situation sanitaire et sociale au regard de l'ampleur des besoins essentiels à satisfaire. De surcroît, le département est appelé à prendre en charge de nombreux mineurs isolés.
S'ajoute à ce constat le fait que Mayotte est la seule collectivité ultramarine de la République dont le territoire est officiellement revendiqué par un État étranger partageant une frontière avec la France.
L'insoutenabilité de la pression migratoire pour les mahorais, à l'origine d'une crise sociale d'une ampleur exceptionnelle que traduit une grève générale dont on n'entrevoit pas l'issue, résulte donc de la combinaison de circonstances quantitatives et qualitatives, pour l'essentiel géographiques et topographiques.
S'il est évidemment inconcevable de chercher à agir sur les secondes, le législateur ne saurait rester inactif face au premières, dont l'ampleur est la conséquence directe de la loi, ou tout au moins de la lecture qu'en font des milliers de femmes enceintes qui, souvent au péril de leur vie, abordent sur les rivages de Mayotte avec l'espoir de donner naissance à un enfant né sur le territoire national afin qu'il puisse y être élevé et ainsi bénéficier d'une naturalisation par « le droit du sol ».
La France a beau ne pas reconnaître un droit du sol « sec », en ce que la naissance sur son territoire ne suffit pas à conférer la nationalité française, cette chimère agit sur ces personnes comme un redoutable chant des sirènes, à la fois terriblement attractif et cruellement trompeur.
Il n'est que trop temps d'y mettre fin et cet impératif catégorique passe d'abord par une modification du droit. Celui-ci permet actuellement à tout enfant né sur le territoire national de parents étrangers, même en situation irrégulière, de solliciter entre treize et dix-huit ans la nationalité française sous réserve qu'il ait séjourné en France un nombre suffisant d'années.
Pour un enfant né à Mayotte, la présente proposition de loi ajoute (articles 1 er et 2) l'exigence que l'un de ses parents ait, au jour de la naissance, été présent de manière régulière sur le territoire national depuis plus de trois mois. Afin de faciliter l'établissement de la preuve de cette condition lorsque l'intéressé sollicitera la nationalité française, soit près de dix-huit ans plus tard, il est prévu que l'officier d'état civil qui rédigera l'acte de naissance précise dès ce moment, et au vu de justificatifs, si l'un des parents au moins la remplit effectivement (article 3).
La modification proposée est donc d'une portée limitée (mais d'une importance cruciale en fait) et l'on ne voit pas vraiment en quoi il pourrait être sérieusement soutenu, comme l'objection en a pourtant été faite à l'auteur de la présente proposition de loi lors de la discussion, en janvier 2017, d'un amendement ayant le même objet, qu'elle porterait aux principes d'égalité et d'indivisibilité de l'État une atteinte de nature à la rendre inconstitutionnelle.
Est-il besoin de rappeler que la Constitution elle-même prévoit, dans un article 73, la possibilité d'adapter les lois et règlements aux caractéristiques particulières des départements d'outre-mer ?
Dès 2011, quelques mois après la « départementalisation » de Mayotte, le Conseil d'État avait déjà, par un arrêt de principe, admis des règles dérogatoires au régime de l'entrée et du séjour des étrangers et applicables au regard de la « situation particulière tenant à l'éloignement et à l'insularité de cette collectivité, ainsi qu'à l'importance des flux migratoires dont elle est spécifiquement l'objet et aux contraintes d'ordre public qui en découlent » dès lors que l'atteinte à la liberté d'aller et venir n'était pas disproportionnée (Conseil d'État, 4 avril 2011, n° 345661).
Par la suite, le Conseil constitutionnel a confirmé que l'article 73 de la Constitution permet de créer des dispositions spécifiques à un ou plusieurs départements d'outre-mer, y compris dans des domaines relatifs aux libertés publiques ou au principe d'égalité devant la loi, dès lors que la dérogation est en lien avec la caractéristique ou la contrainte locale qui la justifie et qu'elle est proportionnée à l'objectif poursuivi (Conseil constitutionnel, 3 juin 2016, n° 2016-544 QPC).
Tel est le cas du dispositif qui vous est proposé et qui n'apporte qu'une dérogation limitée : il ne remet en cause ni le principe de la naturalisation par l'effet de la résidence en France, ni ne modifie la durée de résidence exigée. Il maintient également la possibilité pour un enfant né de parents étrangers de résider sur l'ensemble du territoire national - à Mayotte comme sur le reste du territoire -, cette résidence comptant pour le bénéfice de la naturalisation.
À titre de comparaison, cette condition est moins restrictive que celle qui a perduré entre 1973 et 1993 à Mayotte et qui conditionnait le bénéfice du « droit du sol » au fait d'être né d'au moins un parent de nationalité française (ancien article 161 du code de la nationalité française).
Quant à une prétendue méconnaissance de la Convention internationale relative aux droits de l'Enfant (CIDE), également invoquée en opposition à l'amendement discuté en janvier 2017, ce n'est que par une lecture purement idéaliste (voire politicienne) et au final absolument contraire aux intérêts les plus évidents des enfants eux-mêmes qu'elle pourrait être une nouvelle fois soulevée. Ce traité, adopté par l'ONU en 1989, reconnaît au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant, son droit de vivre et se développer, mais aussi d'avoir un refuge et des conditions de vie décentes. Or la crise migratoire en cours à Mayotte engendre un nombre important de mineurs isolés, estimés à plus de 3000 en 2012 selon un rapport du Défenseur des droits. Ces milliers d'enfants livrés à eux même suite à l'expulsion de leurs parents sont pour la plupart déscolarisés et tentent de survivre dans des conditions indignes.
Telle est la réalité : face à une telle situation, mettant chaque jour gravement en danger de nombreux enfants, c'est bel et bien l'immobilisme, et aucunement la quête d'une solution, qui contrevient à la CIDE.
La présente proposition de loi participe de cette indispensable et urgente recherche de solution... ou plutôt de solutions, car le répertoire des sirènes de l'immigration clandestine à Mayotte ne se borne malheureusement pas à quelques articles du code civil. Elle passe aussi, entre autres, par une lutte efficace contre les reconnaissances de paternité de complaisance effectuées dans le seul but de faire acquérir la nationalité française et contre ceux qui, au mépris des lois de la République (en particulier des articles L. 623-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile), exploitent la misère humaine pour vendre du rêve et, en réalité, semer la détresse.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
L'article 21-7 du code civil est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour un enfant né à Mayotte, le premier alinéa n'est applicable que si, à la date de sa naissance, l'un de ses parents au moins résidait en France de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois. » ;
2° À la première phrase du second alinéa, les mots : « s'applique le premier alinéa » sont remplacés par les mots : « s'appliquent les deux premiers alinéas ».
Article 2
L'article 21-11 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Pour un enfant né à Mayotte, les deux premiers alinéas ne sont applicables que si, à la date de sa naissance, l'un de ses parents au moins résidait en France de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois. »
Article 3
Le premier alinéa de l'article 57 du code civil est complété par une phrase ainsi rédigée :
« A Mayotte, l'officier de l'état civil précise, au vu de justifications à apporter dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'État, si l'un des parents, au jour de la naissance de l'enfant, résidait en France de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois ».
Article 4
A la première phrase de l'article L. 511-4 du code de l'éducation, le mot : « second » est remplacé par le mot : « troisième ».