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N° 494
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 mai 2014 |
PROPOSITION DE LOI
autorisant l' ouverture des commerces la nuit dans des zones touristiques d' affluence exceptionnelle ou d' animation culturelle permanente ,
PRÉSENTÉE
Par MM. Pierre CHARON, René BEAUMONT, Joël BILLARD, Jean BIZET, Mme Marie-Thérèse BRUGUIÈRE, MM. François-Noël BUFFET, Christian CAMBON, Jean-Pierre CANTEGRIT, Jean-Noël CARDOUX, Jean-Claude CARLE, Gérard CÉSAR, Jean-Pierre CHAUVEAU, Marcel-Pierre CLÉACH, Christian COINTAT, Raymond COUDERC, Serge DASSAULT, Mme Isabelle DEBRÉ, MM. Robert del PICCHIA, Francis DELATTRE, Mmes Catherine DEROCHE, Marie-Hélène DES ESGAULX, M. Philippe DOMINATI, Mme Marie-Annick DUCHÊNE, M. Louis DUVERNOIS, Mme Jacqueline FARREYROL, MM. André FERRAND, Michel FONTAINE, Pierre FROGIER, Yann GAILLARD, Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, M. Jacques GAUTIER, Mme Colette GIUDICELLI, MM. Alain GOURNAC, François GROSDIDIER, Charles GUENÉ, Michel HOUEL, Benoît HURÉ, Jean-Jacques HYEST, Mlle Sophie JOISSAINS, MM. Roger KAROUTCHI, Robert LAUFOAULU, Antoine LEFÈVRE, Jean-Pierre LELEUX, Philippe LEROY, Roland du LUART, Mme Hélène MASSON-MARET, M. Jean-François MAYET, Mme Colette MÉLOT, MM. Philippe PAUL, Louis PINTON, Christian PONCELET, Hugues PORTELLI, Mmes Sophie PRIMAS, Catherine PROCACCIA, MM. Henri de RAINCOURT, Bernard SAUGEY, René-Paul SAVARY, Michel SAVIN, Mme Catherine TROENDLÉ, MM. François TRUCY, Jean-Pierre VIAL, Jacques LEGENDRE, Ladislas PONIATOWSKI, Jean-Jacques PIGNARD, Hervé MARSEILLE et Mme Françoise BOOG,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le ministre des Affaires étrangères et du développement international a récemment insisté sur la nécessité de tout mettre en oeuvre pour réserver le meilleur accueil aux touristes se rendant en France et notamment par une ouverture accrue des magasins le dimanche dans les zones touristiques, à proximité des gares, des aéroports et dans un certain nombre de quartiers.
Le ministre chargé du tourisme avait admis que le régime actuel du travail dominical était encore trop restrictif au regard de l'évolution de l'économie touristique.
Un autre aspect de cette question concerne l'ouverture nocturne des commerces de détail dans ces mêmes zones . En effet, dans un arrêt rendu le 23 septembre dernier, la cour d'appel de Paris a jugé que les activités du magasin Sephora des Champs-Élysées ne relevaient pas de la « nécessité d'assurer la continuité de la vie économique ou des services d'utilité sociale » dont l'article L. 3122-32 du code du travail fait une condition du recours au travail de nuit.
Cet arrêt - qui a été porté devant la Cour de cassation - est révélateur de l'inadéquation de notre législation, principalement conçue pour l'industrie, à une économie désormais très largement tournée vers les services. Le problème est d'autant plus aigu que, depuis la loi du 9 mai 2001, notre pays a adopté une définition extensive du travail de nuit : tout travail entre 21 heures et 6 heures (alors que précédemment le travail de nuit allait de 22 heures à 5 heures).
En considérant que le commerce d'articles de parfumerie ne pouvait se rattacher à la nécessité d'assurer la continuité de la vie économique, l'arrêt de la cour d'appel de Paris a fragilisé le recours du travail nocturne dans d'autres établissements du même type, même lorsque le travail nocturne s'y effectue sur la base d'un accord collectif conformément à l'article L. 3122-33 du code du travail.
Manifestement inadaptée à la situation des zones de grande affluence touristique et à l'évolution de vie urbaine (tout comme à l'existence du commerce en ligne qui fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre), notre législation a un coût non négligeable en termes d'activité économique et d'emploi.
Il convient de rappeler que, même si l'activité touristique est difficile à mesurer avec précision, on peut estimer que les emplois directs et indirects qu'elle induit en Île-de-France représentent plus de 9 % de l'emploi total, et que la part du tourisme dans le PIB régional est du même ordre (elle est de 6,5 % dans le PIB national). Les touristes qui visitent les Champs-Élysées à 21 heures et trouvent porte close ne reviendront généralement pas ultérieurement pour faire leurs achats : l'activité commerciale est tout simplement perdue (encore faut-il noter que, pour respecter l'arrêt du travail à 21 heures, il est nécessaire de fermer l'établissement sensiblement plus tôt).
Il est significatif que, dans le cas de Sephora, le « Comité de liaison intersyndical du commerce parisien » (Clic-P), dont l'action est à l'origine de l'arrêt de la cour d'appel de Paris, ait vu son action contestée par les salariés de Sephora, qui ont fait valoir que cette intersyndicale ne les avait jamais consultés et n'avait jamais été présente dans l'établissement.
La législation particulièrement restrictive qu'applique notre pays le distingue de ses voisins européens qui sont aussi ses concurrents sur le plan touristique : à Rome, à Madrid, à Londres, la règle est la liberté des horaires des commerces de détail. Même la législation allemande, réputée restrictive, est plus « libérale » que la législation française, puisque le travail de nuit y commence à 23 heures. En Suède, pays auquel il est difficile d'accoler le qualificatif d'antisocial, la liberté des horaires des commerces de détail s'applique depuis plus de quarante ans.
Pour autant, la présente proposition de loi n'entend pas proposer un bouleversement du droit du travail qui ne manquerait pas de déclencher une polémique retardant d'autant les évolutions indispensables. Elle vise seulement, de manière pragmatique, à régler la question du travail nocturne dans les zones touristiques particulièrement fréquentées, pour lesquelles l'inadaptation de notre législation saute aux yeux.
Pour cela, elle s'appuie sur la catégorie de « zone touristique d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente » introduite pour le recours dérogatoire au travail dominical. Dans ces zones, le recours au travail de nuit serait possible non seulement sur la base d'un accord collectif ou d'une autorisation de l'inspection du travail, mais encore sur la base d'une décision de l'employeur approuvée par référendum auprès de l'ensemble des salariés.
Constituant une dérogation à l'article L. 3122-32 du code du travail, ce recours au travail nocturne n'aurait plus à être justifié par la « nécessité d'assurer la continuité de la vie économique ou des services d'utilité sociale » , ce qui lèverait l'obstacle constitué par l'interprétation que les tribunaux donnent désormais de ces notions. La proposition de loi précise, en contrepartie, les garanties spécifiques accordées aux salariés concernés : volontariat, supplément de rémunération, protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Les contreparties au travail nocturne devront être détaillées dans l'accord collectif ou l'autorisation de l'inspecteur du travail, ou sinon dans la décision de l'employeur soumise à référendum.
Le contentieux entre « Clic-P » et la société Sephora ayant donné lieu à une question prioritaire de constitutionnalité, il est nécessaire de souligner que la décision rendue par le Conseil constitutionnel laisse au législateur une marge d'appréciation importante pour concilier les impératifs constitutionnels en présence : la liberté d'entreprendre découlant de l'article 4 de la Déclaration de 1789 d'une part, et d'autre part les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 (la Nation « assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et garantit « la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs » ).
En effet, en considérant dans sa décision du 4 avril dernier que la législation en vigueur opérait une conciliation qui n'était pas « manifestement déséquilibrée » entre ces impératifs, le Conseil constitutionnel a fait ressortir que son contrôle se limitait à celui du déséquilibre manifeste, reconnaissant ainsi au législateur la faculté de définir un nouvel équilibre tenant compte des évolutions de la société. Il a ainsi confirmé sa décision du 6 août 2009 sur le travail dominical, dans laquelle il avait jugé qu'en introduisant une dérogation pour tenir compte de l'évolution des usages de consommation, le législateur avait fait usage de son pouvoir d'appréciation sans priver de garanties légales les exigences constitutionnelles résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de 1946.
Dans la situation d'incertitude juridique et de difficultés économiques où nous nous trouvons, le législateur se doit d'utiliser ce pouvoir d'appréciation pour définir un cadre adapté à la situation des zones touristiques de grande affluence.
Tel est le sens de la présente proposition de loi, qui s'inspire étroitement de la proposition de loi n° 1486 présentée à l'Assemblée nationale par Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET et du rapport n° 1584 de M. Luc CHATEL sur cette proposition.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
Après l'article L. 3122-32 du code du travail, il est inséré un article L. 3122-32-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3122-32-1. - Par dérogation à l'article L. 3122-32, les établissements de vente au détail peuvent être autorisés par le maire à avoir recours au travail de nuit, dès lors qu'ils sont situés dans des zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente. Le périmètre de ces zones est établi par le préfet sur proposition du maire, après consultation du comité départemental du tourisme, des syndicats d'employeur et de salariés intéressés, ainsi que, selon le cas, de la communauté de communes, de la communauté d'agglomération, de la métropole ou de la communauté urbaine dont est membre la commune.
« Le recours au travail de nuit dans le cadre de la dérogation prévue à l'alinéa précédent prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.
« Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent article, et notamment l'amplitude maximale des horaires d'ouverture des établissements. »
Article 2
À la fin du second alinéa de l'article L. 3122-33 du même code, la référence : « à l'article L. 3122-32 » est remplacée par les références : « aux articles L. 3122-32 et L. 3122-32-1. »
Article 3
Après l'article L. 3122-36 du même code, il est inséré un article L. 3122-36-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3122-36-1. - Par dérogation aux dispositions des articles L. 3122-33 et L. 3122-36, les autorisations prévues à l'article L. 3122-32-1 peuvent être accordées, à défaut d'un accord collectif ou d'une autorisation de l'inspecteur du travail, par une décision unilatérale de l'employeur prise après avis du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, lorsqu'ils existent, et approuvée par référendum auprès de l'ensemble des salariés. La décision approuvée par référendum contient les contreparties accordées aux salariés travaillant la nuit.
« Lorsqu'un accord collectif est conclu postérieurement à la décision visée à l'alinéa précédent, cet accord s'applique en lieu et place des contreparties prévues par cette décision. »
Article 4
Après l'article L. 3122-39 du même code, il est inséré un article L. 3122-39-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3122-39-1. - Dans le cadre de la dérogation prévue à l'article L. 3122-32-1, chaque salarié travaillant la nuit bénéficie d'un complément de rémunération au moins égal à 30 % de la rémunération normalement due pour une durée équivalente. »
Article 5
Après l'article L.3122-39-1 du même code, il est inséré un article L.3122-39-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 3122-39-2. - Seuls les salariés volontaires ayant donné leur accord par écrit peuvent travailler la nuit sur la base de l'autorisation prévue à l'article L.3122-32-1. Le refus de travailler la nuit ne peut être un motif de refus d'embauche ou de licenciement, ni entraîner de mesure discriminatoire dans le cadre de l'exécution du contrat de travail.
« L'accord collectif prévu à l'article L. 3122-33 fixe les conditions dans lesquelles l'employeur prend en compte l'évolution de la situation personnelle des salariés ayant donné leur accord pour travailler la nuit.
« À défaut d'accord collectif applicable, l'employeur informe chaque année tout salarié qui travaille la nuit qu'il a la faculté de cesser le travail de nuit sous réserve d'un préavis de trois mois et qu'il bénéficie alors d'une priorité pour occuper ou reprendre un emploi équivalent ne comportant pas de travail de nuit dans le même établissement ou, à défaut, dans la même entreprise. »