N° 377
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004
Annexe au procès-verbal de la séance du 28 juin 2004
PROPOSITION DE LOI
tendant à autoriser le vote électronique à distance pour l' élection des représentants au Parlement européen ,
PRÉSENTÉE
Par MM. Robert DEL PICCHIA et Hubert HAENEL,
Sénateurs.
( Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Elections et référendums. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les citoyens européens élisent leurs représentants nationaux au Parlement européen au suffrage universel direct, conformément à l'acte annexé à la décision du Conseil des communautés européennes en date du 20 septembre 1976, rendu applicable en France par la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen.
Le 13 juin 2004, 338 millions de citoyens dans 25 États membres ont pour la première fois été appelés à élire leurs représentants au Parlement européen. L'Union élargie dispose, à partir de la législature 2004-2009, d'une assemblée de 732 membres. Le nombre de représentants français est passé de 87 à 78, afin de respecter la représentativité des 25 États membres.
Cette échéance électorale s'inscrivait dans la construction européenne : l'élargissement à 10 nouveaux membres et l'adoption prochaine d'un projet de Constitution entraînent un renforcement des pouvoirs du Parlement.
En effet, le Parlement européen est devenu une véritable assemblée législative, exerçant des pouvoirs comparables à ceux des Parlements nationaux. Son poids est de plus en plus prépondérant dans le processus d'adoption de la législation communautaire. Ses décisions ont des répercutions considérables, sur notre législation nationale, notre économie, notre cadre social et notre environnement quotidien.
Pourtant, l'institution européenne souffre d'un déficit de représentativité et de visibilité.
L'accroissement de l'abstention électorale à chaque élection des représentants au Parlement européen en témoigne : en 1979, première élection au suffrage universel direct des « eurodéputés », 39,3 % des électeurs ne se sont pas déplacés. 43,3 % en 1984 et 48,5 % en 1989. On a assisté à un faible rebond citoyen en 1994 après la ratification du traité de Maastricht : « seuls » 47,3 % des citoyens se sont abstenus. Mais, en 1999, le taux d'abstention est remonté à 53,2 %.
Un nouveau record d'abstention a été battu lors du scrutin européen du 13 juin 2004 : 57,2 %, soit quatre points de plus qu'en 1999 et près de 18 points au-dessus du niveau d'abstention atteint en 1979.
Elections |
Inscrits |
Votants |
Participation |
Abstention |
1979 |
35 180 531 |
21 356 960 |
60,7% |
39,3 % |
1984 |
36 880 688 |
20 918 772 |
56,7% |
43,3 % |
1989 |
36 297 496 |
18 690 692 |
51,5% |
48,5 % |
1994 |
39 019 797 |
20 566 980 |
52,7% |
47,3 % |
1999 |
40 132 517 |
18 766 155 |
46,8% |
53,2 % |
2004 |
41 518 225 |
17 763 649 |
42,8% |
57,2 % |
Opacité du rôle et des pouvoirs des parlementaires européens, absence de visibilité de l'impact de chaque vote, distance des organes européens : différentes causes ont été évoquées pour expliquer ce désintérêt des citoyens envers l'institution européenne.
Mais la démocratie européenne ne peut se satisfaire du fait que 3 électeurs sur 5 ne se soient pas déplacés pour choisir leurs représentants au Parlement européen. C'est en effet la seule institution européenne légitimée par le suffrage universel direct.
Le rôle du Parlement s'est considérablement accru depuis cinquante ans, tant dans le domaine législatif et budgétaire qu'en matière de contrôle sur l'ensemble de l'activité communautaire. Il joue également dans l'Union européenne un rôle politique croissant.
Plus de 400 lois ont été adoptées en codécision avec le Conseil de l'Union européenne durant la dernière législature, 80 % des projets de loi ayant pu être adoptés sans le recours à la procédure de conciliation. Dans 30 % des cas, ces projets de loi ont concerné des domaines touchant directement les citoyens comme l'environnement, la santé publique, la consommation.
Dans le projet de Constitution, ce sont près de 80 domaines qui devraient être soumis à la procédure de codécision.
L'Europe n'est pas une abstraction : c'est une réalité tangible qui s'inscrit de plus en plus dans le quotidien des Français et des autres citoyens des États membres. Une meilleure participation aux élections européennes renforcerait la conscience d'une citoyenneté européenne, condition impérative d'une intégration européenne qui n'est pas une évidence dans une Union élargie à 25 membres.
Augmenter la participation, c'est impliquer l'électeur dans le mandat de son représentant, c'est le responsabiliser par rapport à la politique menée. C'est pourquoi il est de notre devoir d'encourager et de faciliter ce choix.
La nécessité de rapprocher les élus européens du terrain avait conduit à l'adoption de la loi du 11 avril 2003. En assurant une représentation équilibrée des composantes du territoire, la réforme du mode de scrutin avait pour ambition d'instaurer un lien plus direct et plus visible entre le parlementaire européen et le citoyen.
Le taux très élevé d'abstention lors des élections du 13 juin 2004, qui s'inscrit dans la désaffection croissante des Français pour ce scrutin, prouve que la réforme peut encore être améliorée.
À l'heure où l'on prône une plus grande transparence de la vie publique et une simplification des procédures administratives, il est nécessaire d'instaurer un mode de votation moderne qui facilite la participation électorale. Un nouveau mode de votation plus direct, plus rapide, plus simple, contribuerait au renforcement de ce lien.
Si l'électeur ne va pas à l'urne, l'urne ira à l'électeur...
Le vote électronique à distance serait une réponse à l'impérieuse nécessité de mettre tout en oeuvre pour lutter contre une abstention grandissante.
L'on définit parfois la démarche d'aller voter comme étant un acte de foi citoyenne et l'on craint que le vote par Internet ne porte atteinte au caractère sacré de cette démarche.
Différentes expérimentations ont déjà été menées en matière électorale. Elles ont démontré un impact véritable de ce mode de votation sur la participation.
La première expérimentation qui a démontré la faisabilité du vote électronique à distance, a eu lieu le 1 er juin 2003 lors du renouvellement partiel des Délégués au Conseil supérieur des Français de l'étranger, et a concerné les Français résidant aux États-Unis. Elle s'est avérée concluante à différents égards.
Premièrement, un grand nombre de votants ont choisi Internet : plus de 60 %. En comparaison, le vote physique n'a attiré que 5,6 % des citoyens dans les consulats.
Deuxièmement, la chute de la participation a été enrayée. On peut affirmer que si le vote Internet n'avait pas été autorisé, la participation aurait continué à baisser pour ne plus concerner qu'environ 10 % des électeurs inscrits. En effet, la participation des Français établis au Canada, où seuls les modes de votation traditionnels étaient autorisés, a poursuivi sa chute de près de 7 %.
En matière de sécurité, le fait que le poste informatique puisse ne pas être isolé n'est pas un obstacle à la confidentialité du vote.
Car même s'il n'existe pas de garantie absolue que le votant ne subisse aucune pression extérieure, on peut légitimement penser que l'électeur trouvera un moment pour s'isoler face à son ordinateur durant la période ouverte pour le vote en ligne, qui peut être de plusieurs semaines.
Si 1,2 million de contribuables ont choisi de payer leurs impôts sur Internet en 2003, si l'on consulte ses comptes bancaires en ligne, c'est bien que nos concitoyens sont assurés de la confidentialité et de la discrétion de cette démarche. La confidentialité du vote électronique à distance dépend avant tout de la vigilance des internautes. De la même manière que l'on ne donne pas son code de carte bancaire à n'importe qui, on ne communiquera pas son identifiant et son code d'accès au site qui permettra de voter en ligne.
Le vote par procuration est une atteinte reconnue et admise au caractère secret du vote, qui a pourtant une valeur constitutionnelle (article 3 de la Constitution de 1958). En effet, ne pas pouvoir voter est considéré comme étant un préjudice plus grand que de devoir renoncer au secret de son vote. Un raisonnement par analogie devrait être admis en matière de vote électronique à distance.
En outre, dans le cas d'une personne handicapée ou incapable temporairement de se déplacer, l'accès à un réseau informatique représente un facteur d'intégration. Voter par Internet pourrait permettre une participation effective et directe à la vie citoyenne.
S'agissant de la sécurisation du scrutin, les techniques ont montré une résistance efficace aux éventuelles attaques « pirates » et plusieurs systèmes rodés offrent déjà les garanties indispensables pour assurer un vote sécurisé.
Ainsi, aucun incident n'a été constaté lors de l'expérimentation du vote par Internet le 1 er juin 2003. Aucune tentative de fraude ni de piratage n'a pu aboutir. Les mesures de protection se sont avérées opérantes et fiables. Des dispositions d'envergure avaient été prises comme par exemple les identifiants à 8 chiffres ou lettres, doublés de codes aussi importants portant la probabilité de trouver une faille à 1,35 milliard multiplié par 1,35 milliard...
Rappelons que l'ensemble du système bancaire mondial fonctionne sur un réseau électronique, ou encore que le moyen de paiement privilégié dans notre économie est la carte bancaire.
De plus, un grand nombre de votes d'actionnaires se déroulent par voie électronique à distance, ce qui représente des quantités d'informations à traiter beaucoup plus importantes que les élections politiques.
Enfin, il faut savoir que le vote électronique à distance est aujourd'hui autorisé pour les élections professionnelles, lesquelles souffrent des mêmes maux que les élections européennes : abstention grandissante, manque de lisibilité des enjeux...
Or, là aussi l'impact du vote électronique à distance a pu être mesuré. À titre d'exemple : en 2002 se sont déroulées les élections des délégués du personnel dans une grande banque française. La totalité des électeurs ont choisi le vote électronique à distance, alors qu'ils avaient la possibilité de voter avec un bulletin papier. C'est le signe d'une adoption immédiate du processus. Le taux de participation moyen a augmenté de 29 % par rapport aux élections 2000, pour atteindre 72,4 %.
Des technologies fiables existent pour envisager l'application du vote électronique à distance pour les élections des représentants au Parlement européen. Les différents succès techniques sont une confirmation du système pour l'avenir.
L'article unique de la présente proposition de loi introduit la possibilité de voter par voie électronique à distance pour l'élection des représentants au Parlement européen.
C'est pourquoi, je vous demande, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de loi suivante.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
Après le premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation à l'alinéa précédent, le vote par voie électronique à distance est autorisé dans des conditions définies par décret. »