la Poste

N° 104

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 novembre 2000

PROPOSITION DE LOI

relative à l' entreprise nationale La Poste ,

PRÉSENTÉE

par MM. Gérard LARCHER,, Pierre HÉRISSON, Paul GIROD, François TRUCY, Louis ALTHAPÉ, et Philippe ADNOT

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

Postes et télécommunications

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Il y a dix ans, un seul des opérateurs postaux de l'Union européenne avait le statut de société de droit privé (le hollandais KPN, depuis 1988). Tous les autres étaient des administrations d'Etat ou commençaient à se transformer en établissement public.

Aujourd'hui, la société de capitaux est la forme adoptée par dix postes européennes sur quinze. Dernière grande poste à avoir un statut similaire à la nôtre, la British Post est devenue société par actions en juillet 2000. En outre, la poste espagnole qui n'a pas la même taille mais qui dessert un grand pays réfléchit à un abandon de son statut d'organisme autonome de droit public.

Bientôt, notre poste sera la seule grande poste européenne installée dans un statut d'établissement public. Seules les postes belge, danoise et luxembourgeoise continueront à lui ressembler sur ce point. Et encore, il semblerait que dans certains de ces pays - au contraire du nôtre - on discute de l'évolution statutaire de l'opérateur historique.

• La question se doit donc d'être posée clairement en France : a-t-on tort de maintenir La Poste dans ses habits juridiques de 1990 et doit-on lui en confectionner de nouveaux ?

Pour les auteurs de la présente proposition de loi, la réponse à cette double interrogation est clairement oui.

•  La grande majorité des postes européennes, dont toutes celles d'une envergure comparable à la nôtre, n'ont pas été transformées en société anonyme pour suivre une mode. Ce choix a été effectué pour leur permettre de s'adapter à la nouvelle donne postale et d'en tirer avantage.

La formule de l'établissement public correspond aux nécessités de gestion d'un monopole important mais tend à devenir un handicap dans un environnement concurrentiel en voie d'internationalisation. En effet, comme elle exclut toute constitution d'un capital social et qu'elle cantonne la gestion de l'entreprise dans un dialogue singulier avec sa tutelle politique :

- elle interdit l'édification d'alliances solides reposant sur des participations croisées ;

- elle ne permet pas l'accompagnement du développement par un recours aux marchés financiers, comme vient par exemple de le faire la Deutsche Post World Net ;

- elle ne favorise pas la transparence de la structure des comptes ;

- elle soumet les décisions stratégiques internes aux préoccupations électorales de la tutelle ministérielle.

• Or, d'ores et déjà, le monopole sur le courrier représente moins de la moitié du chiffre d'affaires de La Poste. Les propositions de la Commission de Bruxelles, si elles étaient retenues en l'état par le Conseil, aboutiraient à réduire cette part à un peu plus du tiers en 2003.

Même si ce choc est atténué pour l'échéance prévue, l'avenir est tracé sans équivoque. La concurrence postale ne va cesser de s'accentuer et l'actuel statut de La Poste constituera, pour elle, une entrave de plus en plus pénalisante.

Conserver le statut d'établissement public, c'est donc prendre le risque, à la fois, de compromettre les chances d'avenir de l'entreprise, de fragiliser ses missions de service public et de menacer, à terme, les emplois des postiers.

Ce risque est d'autant plus inacceptable que - contrairement à ce que les partisans du statu quo laissent accroire - la transformation en société anonyme ne met en cause :

- ni le maintien du caractère public de l'opérateur ;

- ni l'accomplissement de ses missions de service public ;

- ni sa présence territoriale ;

- ni les droits acquis de ses personnels.


De 1936 à 1983, la S.N.C.F. a été, de par la volonté du Gouvernement de Front Populaire, une société anonyme. Depuis 1997, France Télécom a également ce statut. Aujourd'hui, elle est toujours une entreprise publique ; ses missions de service public ont été confortées ; elle continue à employer des fonctionnaires ; les droits de ses personnels ont été accrus, en particulier par une participation au capital qui s'est avérée fructueuse ; et, elle s'est remarquablement adaptée aux évolutions foudroyantes que son secteur d'activité a connu ces dernières années.

France Télécom en serait-elle là si elle était encore un établissement public ? Bien peu osent l'affirmer. En revanche, beaucoup jugent que, si elle n'avait pas été transformée en société anonyme, elle aurait définitivement " perdu la main ".

•  C'est pour toutes ces raisons que les auteurs de la présente proposition de loi préconisent que La Poste devienne une société anonyme publique détenue majoritairement par l'Etat.

•  Pour ce faire, le texte proposé s'articule : autour de 8 articles , dont les trois premiers s'insèrent dans la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications.

- L'article 1er dispose que La Poste est transformée en société anonyme à compter du 1er décembre suivant la publication de la loi et organise le transfert à cette société des biens, droits et obligations de l'actuelle personne publique.

- L'article 2 déroge à la loi de démocratisation du secteur public pour garantir que le conseil d'administration de La Poste demeurera composé de 21 membres, au lieu de 18, que l'Etat détienne plus ou moins de 90 % du capital.

- L'article 3 vise à garantir la continuité du service public postal et organise une procédure spécifique pour les mouvements d'actifs, qui cantonne les conséquences du déclassement du domaine public des biens de La Poste, prévu à l'article 1er.

- L'article 4 pérennise les droits des fonctionnaires employés par La Poste, maintient la possibilité de procéder à des recrutements externes de fonctionnaires pendant un certain temps et affirme la liberté d'embauche de personnels contractuels.

- L'article 5 a pour objet de donner une consécration législative au principe de négociation sociale au sein de la nouvelle entreprise La Poste.

- L'article 6 rend applicable à La Poste, à compter de sa transformation en société, les dispositions du code du travail relatives à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise et aux plans d'épargne entreprise.

- L'article 7 étend aux agents de La Poste les dispositions du code des sociétés relatives à l'actionnariat des salariés et réserve au personnel 10% du capital de La Poste.

- L'article 8 renvoie à un décret en Conseil d'Etat les modalités d'application des règles fixées par les articles précédents.

•  Le dispositif présenté ne prétend pas résoudre toutes les questions posées par la transformation ainsi organisée. Par exemple, de manière délibérée, il n'apporte aucune réponse à la question de la représentation collective de tous les personnels de l'entreprise -fonctionnaires et contractuels- ni au gros problème que constitue l'obligation pour La Poste de payer les pensions de retraite des anciens postiers fonctionnaires, ce qui représente de 2000 à 2015 une charge cumulée d'environ 360 milliards de Francs.

Les auteurs de la proposition estiment que les solutions à apporter ne pourront être dégagées qu'au terme d'une grande négociation sociale avec les organisations représentatives des postiers et ne souhaitent pas préjuger de ses conclusions. Ils considèrent d'ailleurs que le passage en société anonyme imposera, notamment, d'assujettir La Poste aux charges sociales de droit commun et entraînera automatiquement l'ouverture de la négociation sur les retraites.

En définitive, la présente proposition de loi vise, en priorité, à briser le tabou du silence qui pèse sur le statut de La Poste et à ouvrir publiquement le débat sur le sujet.

Aujourd'hui, ce débat est refusé au nom du culte dévot des moyens d'hier. Il s'agit désormais de le conduire, de manière pragmatique, en rappelant la nécessité, pour demain, d'une culture du résultat.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Il est inséré, dans la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, un article 1er-2 ainsi rédigé :

" Art. 1er-2. -1. La personne morale de droit public La Poste mentionnée à l'article 1er est transformée, à compter du 31 décembre suivant la publication de la présente loi, en une entreprise nationale dénommée La Poste dont l'Etat détient directement plus de la moitié du capital social.

" Cette entreprise est soumise aux dispositions de la présente loi en tant que celle-ci concerne l'exploitant public La Poste et, dans la mesure où elles ne sont pas contraires à la présente loi, aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes.

" 2. Les biens, droits et obligations de la personne morale de droit public La Poste sont transférés de plein droit, au 31 décembre suivant la publication de la présente loi, à l'entreprise nationale La Poste. Les biens de la personne morale de droit public La Poste relevant du domaine public sont déclassés à la même date.

" Le transfert mentionné à l'alinéa précédent est effectué à titre gratuit et ne donne lieu ni à indemnité, ni à perception de droits ou taxes, ni au versement de salaires ou honoraires.

" 3. Le dernier alinéa de l'article 37 de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public est applicable à l'entreprise nationale La Poste. "

Article 2

Il est inséré, dans la même loi, un article 10-2 ainsi rédigé :

" Art. 10-2. - Les articles 5 à 13 de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 précitée sont applicables au conseil d`administration de La Poste sous réserve des dispositions suivantes :

" a) Le conseil d'administration de La Poste est composé de vingt et un membres ;

" b) Pour l'application de l'article 5 de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 susmentionnée, les représentants de chacune des catégories définies aux 1er, 2° et 3° dudit article sont au nombre de sept . "

" c) Dès lors que l'Etat ne détiendra plus la totalité du capital social, une représentation des autres actionnaires est assurée au sein du conseil d'administration.

Article 3

Il est inséré, dans la même loi, un article 23-2 ainsi rédigé :

" Art. 23-2.- Lorsqu'un élément d'infrastructure du réseau de La Poste est nécessaire à la bonne exécution par La Poste des obligations de son cahier des charges, notamment de la continuité du service public, l'Etat s'oppose à sa cession ou à son apport ou subordonne la réalisation de la cession ou de l'apport à la condition qu'ils ne portent pas préjudice à la bonne exécution desdites obligations, compte tenu notamment des droits reconnus à La Poste dans la convention passée avec le cessionnaire ou le destinataire de l'apport.

" Le cahier des charges de La Poste fixe les modalités de la procédure d'opposition mentionnée ci-dessus qui est prescrite à peine de nullité de la cession ou de l'apport. "

Article 4

Au 31 décembre suivant la publication de la présente loi, les corps de fonctionnaires de La Poste sont rattachés à l'entreprise nationale La Poste et placés sous l'autorité de son président qui dispose des pouvoirs de nomination et de gestion à leur égard. Les personnels fonctionnaires de l'entreprise nationale La Poste demeurent régis par les statuts particuliers et les dispositions statutaires qui leur étaient applicables avant cette date.

L'entreprise nationale La Poste peut procéder jusqu'à une date fixée par décret en Conseil d'Etat à des recrutements externes de fonctionnaires pour servir auprès d'elle en position d'activité.

L'entreprise nationale La Poste emploie librement des agents contractuels sous le régime des conventions collectives.

Article 5

1. La Poste recherche par la négociation et la concertation la conclusion d'accords avec les organisations syndicales, tout particulièrement dans les domaines de l'emploi, de la formation, de l'organisation et des conditions de travail, de l'évolution des métiers et de la durée de travail. A cette fin, après avis des organisations syndicales représentatives, La Poste établit, au niveau national et au niveau local, des instances de concertation et de négociation qui suivent également l'application des accords signés. En cas de différend sur l'interprétation de ces derniers, une commission paritaire de conciliation, dont la composition est fixée par décret, est saisie afin de favoriser le règlement amiable du différend.

2. Avant la date d'application de la présente loi, le président de La Poste négociera avec les organisations syndicales représentatives un accord sur l'emploi à La Poste.

Article 6

Les dispositions du chapitre II et du chapitre III du titre IV du livre IV du code du travail sont applicables à l'ensemble des personnels de La Poste, y compris ceux visés aux deux premiers alinéas de l'article 4 ci-dessus, à compter du 31 décembre suivant la publication de la présente loi.

Article 7

Les dispositions des articles L. 225-177 à L. 225-197 du code de commerce, les articles 11 à 14 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations et les dispositions législatives relatives aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières et portant création des fonds communs de créances, qui sont applicables dans le cadre des deux lois précitées, s'appliquent également aux agents ou anciens agents relevant des catégories visées aux deux premiers alinéas de l'article 4 ci-dessus, affectés à La Poste ou ayant été affectés pendant au moins cinq ans à la personne morale de droit public La Poste ou à l'entreprise nationale La Poste.

Dans ce cadre 10 % du capital de La Poste seront proposés au personnel de l'entreprise.

Article 8

1. Les statuts initiaux de l'entreprise nationale La Poste sont déterminés par décret en Conseil d'Etat. Ils pourront être modifiés dans les conditions prévues pour les sociétés anonymes par le livre II du code de commerce dès lors que l'Etat ne détiendra plus la totalité du capital.

2. Le montant et les conditions de détention du son capital social de l'entreprise nationale La Poste, les modalités de constitution de son bilan, ainsi que les règles relatives au mandat des membres de son conseil d'administration au moment de la date d'entrée en vigueur de la présente loi sont également déterminées par décret en Conseil d'Etat.

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